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L'ancienne ville de Palmyre. Ulrich Waack, CC BY-SA

Khaled Al As’ad, le martyr de Palmyre

L’Etat islamique ou Daech veut-il détruire totalement le site archéologique de Palmyre ? Le 10 septembre dernier, les djihadistes extrémistes ont mis en ligne sur Internet la destruction du temple Bêl et de celui de Baal Chamin, les deux temples majeurs de Palmyre, confirmée par des images satellites. Moins d’un mois plus tôt, le 19 août, ils avaient décapité Khaled Al As’ad, le directeur du site archéologique pendant environ cinquante ans. Son corps a été suspendu et exposé et tous ses biens ont été dispersés par Daech. Il avait été détenu depuis un mois avec son fils Walid.

Né le 1er janvier 1934, âgé de 82 ans. Khaled Al As’ad n’avait, en fait, jamais vraiment pris sa retraite et restait toujours très actif, se sentant une sorte de mission à l’égard du site de Palmyre auquel il avait voué son existence. Très jeune, il s’était intéressé à l’archéologie qui en était seulement à ses débuts en Syrie. Ce n’est, en effet qu’à l’époque du mandat, confié après la fin de la première Guerre mondiale à la France qui administrait alors la Syrie, que commence la recherche archéologique à Palmyre. Palmyre n’était à ce moment-là qu’un nœud routier dans la steppe entre Homs et Deir ez Zor, un passage obligé où l’hôtel Zénobie, dirigé par un officier du renseignement français, accueillait les voyageurs qui faisaient étape entre les régions de l’Euphrate et Homs puis Damas.

Un terrain d’aviation y avait été établi par l’armée française pour le contrôle aérien de la steppe et un escadron de méharistes français y stationnait. L’aumônier de cette garnison, l’abbé Jean Starcky, s’était intéressé aux monuments du site et aux inscriptions palmyréniennes au point d’en devenir le spécialiste universellement reconnu et de publier le premier guide archéologique de Palmyre.

Dès 1930, Henri Seyrig, jeune savant nommé en 1929 pour diriger les Antiquités de Syrie, avait organisé le déplacement de la population de Palmyre qui vivait dans les ruines imposantes du grand temple de Bêl pour la reloger dans une ville nouvelle au nord du site, l’actuelle Palmyre. Seyrig organise alors la fouille archéologique du temple de Bel avec, en particulier, R. du Mesnil du Buisson qui travaille à la fouille du temple de Bêl et conduit celle du temple de Baalchamin. Mais la fin du mandat, le 17 avril 1946, entraîne le départ des militaires et savants français.

Le nouveau musée de Palmyre

A cette époque, Khaled Al As’ad fait sa scolarité à Homs. Puis, dans les années 1960, il s’inscrit en histoire à l’Université de Damas (il n’existait pas alors, ni en France, ni a fortiori en Syrie, d’études d’archéologie à l’Université). Sa licence en poche, il entre comme fonctionnaire à la Direction générale des Antiquités et Musées de Syrie à Damas. Un an plus tard, en 1963, le jeune Khaled Al As’ad est nommé à Palmyre comme conservateur en chef du nouveau musée de Palmyre et Directeur des Antiquités de Palmyre.

Dans la jeune république syrienne, beaucoup reste à construire. Ainsi, il n’existait pas alors de service des Antiquités à Palmyre même puisque le site dépendait administrativement de Homs, la capitale régionale. Khaled Al As’ad entreprend donc de créer ex nihilo le service des Antiquités de Palmyre en profitant de l’expérience d’H. Seyrig puis de D. Schlumberger qui avait fait sa thèse sur la Palmyrène du Nord-Ouest et avait succédé à H. Seyrig dont il était très proche.

En Syrie, comme partout en Orient, un directeur des Antiquités doit avoir toutes les compétences à la fois scientifique et grand public. Khaled Al As’ad crée donc l’infrastructure qui n’existait pas au début de son mandat, relance le travail archéologique sur le site de Palmyre et contrôle les antiquités des sites de la région (comme, par exemple, les deux grands sites de Qasr el Kheir Ouest et Est étudiés par Schlumberger).

Ses nombreuses fouilles à Palmyre ont porté sur plusieurs temples et monuments religieux, mais aussi sur des quartiers d’habitation et des tombeaux. Il a également fait dégager une partie des fortifications en pierre de taille et de marbre qui avaient été élevées à l’époque de Dioclétien et renforcées à l’époque de Justinien autour du centre monumental de la ville. Plus récemment, il a complété la fouille et la restauration de la rue principale dont il a retrouvé le dallage antique enfoui sous des sols tardifs et encombré de canalisations antiques.

Le temple de Bêl. Bernard Gagnon, CC BY-SA

Khaled Al As’ad avait le sens de la responsabilité de l’archéologue et ses fouilles ont toujours été suivies de restaurations. Ce sont ces restaurations efficaces, discrètes et intelligentes qui, en fait, ont donné leur visage actuel aux ruines.

Khaled Al As’ad travaillait sur tous les fronts. Il se préoccupait aussi de la popularisation de la civilisation palmyrénienne et réalisait des circuits touristiques, cherchant à rendre Palmyre accueillante aux visiteurs individuels ou en groupes touristiques.

Mais c’était surtout un scientifique. Dès la première année de sa nomination à la direction des Antiquités, il a commencé à publier un certain nombre de livres sur l’histoire de Palmyre et de sa région. C’est ainsi qu’il a rédigé un guide sur les antiquités de Palmyre et écrit un livre sur Zénobie, la célèbre reine de Palmyre. Il participait aussi de manière active à l’organisation d’expositions sur les antiquités palmyréniennes, dont la première a eu lieu au Petit Palais, à Paris, en 1974 et a participé au nom de la Syrie à plusieurs rencontres internationales.

Un héros et un martyr

Khaled Al As’ad avait un esprit ouvert et a toujours soutenu de manière active les missions françaises, allemandes, polonaises, japonaises et suisses œuvrant à Palmyre. C’est ainsi que récemment il a collaboré avec une mission de l’institut allemand de Damas à une prospection géomagnétique au sud du ouadi de Palmyre, qui a conduit à la découverte d’un important quartier d’habitation dont l’existence était jusque-là insoupçonnée, au sud du ouadi de Palmyre

Jusqu’au bout, il est resté simple avec tout le monde, en particulier avec les ouvriers qui l’appréciaient et le respectaient profondément car ils reconnaissaient en lui une générosité qui n’excluait pas pour autant une réelle exigence dans le travail. Il était aussi apprécié de tous ses collègues, en particulier le Dr A. Bounni, directeur des Services archéologiques qui était l’un de ses plus fidèles soutiens et se félicitait de son amitié.

Même théoriquement retiré des affaires, Khaled Al As’ad restait un expert précieux car il lisait le palmyrénien et connaissait remarquablement la civilisation palmyrénienne. La Direction des Antiquité le consultait toujours quand la police découvrait des statues volées pour les expertiser.

« Daech a exécuté un des plus éminents experts du monde antique », a déploré, mercredi 19 août, Maamoun Abdelkarim, Directeur général des Antiquités et des Musées de Syrie. Khaled Al As’ad a été décapité sur une place de Palmyre devant des dizaines de personnes, après avoir été interrogé pendant un mois avec son fils Walid Al As’ad, l’actuel directeur des Antiquités de la ville. Ses bourreaux voulaient connaître la cachette où se trouvait prétendument l’or. Une croyance très répandue chez une partie de la population qui ne comprend pas qu’on accorde du prix à des objets extraits de la terre. « Mais il n’y a pas d’or à Palmyre », a-t-il dit et les djihadistes en ont conclu qu’il voulait cacher un secret.

Parmi les cinq raisons affichées pour justifier son exécution, Khaled Al As’ad est aussi accusé d’avoir été un « partisan du régime syrien et de l’avoir représenté dans des conférences internationales ».

Comme pratiquement tous les responsables et les fonctionnaires de l’archéologie syrienne, résolument soutenus en cela par la Direction des Antiquités de Syrie, Khaled Al As’ad a tenu à rester à son poste. Ce faisant, il n’estimait pas être au service du régime, mais à celui de l’état, de son pays. Et, en Syrie, où le patriotisme est vivace, le sens de l’état n’est pas une notion vaine. Le Dr M. Abdulkarim témoigne : « Nous avons supplié Khaled de quitter la ville, mais il a toujours refusé, disant : “Je suis de Palmyre et j’y resterai même s’ils doivent me tuer” ».

Son courage a été fatal à Khaled Al As’ad. Il est mort en juste et en martyr.

Une traduction de cet article a été publiée sur The Conversation UK, « Khaled al-Asaad, the martyr of Palmyra  ».

This article was originally published in English

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