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Une ampoule lumineuse touchée par deux mains, dont une artificielle
Pour l'instant, les prouesses créatives de l'Intelligence artificielle ne peuvent émerger qu'en collaboration avec la personne derrière l'écran. (Shutterstock)

La créativité de l’IA repose sur la personne derrière l’écran… pour l’instant

Dans un monde où les outils d’intelligence artificielle générative (IA) tels que ChatGPT, Midjourney ou d’autres technologies similaires émergent comme des instruments disruptifs, une question se pose : la créativité est-elle encore exclusive à l’être humain ?

J’ai eu une conversation à ce sujet avec mon étudiant, Ryan Derfoul, qui a contribué à la rédaction de cet article. En tant que chercheurs spécialisés en psychologie, nous souhaitons apporter des nuances qui nous semblent importantes. Qu’est-ce que la créativité ? L’IA génère-t-elle des produits créatifs ? S’engage-t-elle dans un processus créatif et peut-elle être utilisée pour assister le nôtre ? Et enfin, menace-t-elle notre propre créativité ?

Qu’est-ce que la créativité ?

La créativité ne se limite pas à la création artistique. Elle est indispensable à toutes les sphères d’activité où les idées novatrices sont valorisées. Cela comprend des domaines d’expertise tels que la science et l’ingénierie, mais aussi les activités quotidiennes dont la portée est plus modeste, comme la conception d’une nouvelle recette pour compenser les ingrédients manquants dans le garde-manger.

Pour évaluer la tendance créative d’une personne, les scientifiques utilisent souvent des questionnaires qui couvrent un grand éventail de domaines d’activité, comme les arts visuels, la musique, l’écriture, la danse, le théâtre, l’architecture, l’humour, les découvertes scientifiques, les inventions et même la cuisine. Il est possible d’envisager le rôle de l’IA dans chacune de ces activités. L’omniprésence de la créativité au travail, dans les loisirs et dans la vie quotidienne est probablement l’une des raisons pour lesquelles l’IA suscite tant d’inquiétudes.

Les idées, solutions ou produits créatifs, ne sont qu’une dimension de la créativité. Comme le dit bien mon étudiant Ryan, celle-ci peut être comprise à la fois comme un voyage et comme une destination. Les idées créatives forment la destination, mais un long voyage précède : le processus. Les scientifiques qui s’intéressent à la créativité font depuis longtemps cette distinction entre le produit et le processus. À notre avis, cette nuance importante devrait colorer toutes les questions entourant la créativité et l’IA.

L’IA génère-t-elle des produits créatifs ?

Oui.

Plusieurs études en psychologie soutiennent l’idée que l’IA produit des idées plus créatives que l’être humain moyen, du moins dans certains exercices classiques étudiés par les scientifiques.

Un chercheur en Australie a comparé les performances de ChatGPT 4.0 à celles d’un échantillon d’environ 8 000 personnes. Il leur fallait effectuer un exercice de pensée divergente consistant à produire le plus grand nombre possible de mots différents les uns des autres. La créativité des idées produites par l’IA était supérieure à celle d’environ 80 % des idées proposées par les êtres humains.

Un autre groupe de scientifiques a demandé à ChatGPT 4.0 de réaliser plusieurs exercices tirés de la batterie de tests de créativité de Torrance, l’instrument le plus utilisé pour évaluer la pensée créative. Les réponses ont ensuite été soumises aux Scholastic Testing Services, un organisme chargé d’évaluer objectivement les performances. Les idées de l’IA ont été jugées plus originales que celles de 99 % des personnes ayant complété la batterie par le passé. Ces résultats ont été répliqués par d’autres groupes de scientifiques américains et européens.

L’IA est donc en mesure de générer des produits créatifs, qui remportent même des concours d’art. Cette prouesse signifie-t-elle que ses produits sont le résultat d’un processus créatif ?

L’IA s’engage-t-elle dans un processus créatif ?

Non, probablement.

Plusieurs scientifiques ont étudié les précurseurs du processus créatif et ses opérations mentales chez l’être humain. Une des approches les plus influentes est celle du modèle Geneplore, qui décompose la formation de produits créatifs en deux phases :

  1. La génération : la phase au cours de laquelle plusieurs idées préliminaires sont formées.

  2. L’exploration : la phase pendant laquelle les idées sont affinées pour répondre aux exigences du contexte.

Selon ce modèle, le processus créatif de l’être humain implique un va-et-vient entre ces deux phases, ainsi qu’une réflexion active et une intention de la personne à s’engager dans un tel processus.

Qu’en est-il pour l’IA ?

L’IA ne dispose pas d’une telle intention de créativité, et pour l’instant, cette intention incombe à la personne qui utilise l’outil et qui performe le processus créatif. Au mieux, les produits de l’IA pourraient être définis comme de la créativité artificielle et, pour l’instant, la prouesse créative de cette technologie ne peut émerger qu’en collaboration avec la personne derrière l’écran.

L’IA peut-elle assister notre processus créatif ?

Oui, probablement.

Certains travaux émergents s’intéressent à l’utilisation de l’IA pour assister notre processus créatif. Une équipe de recherche à Prague a demandé à environ 130 personnes de réaliser un exercice de créativité en utilisant ou non ChatGPT 3.5. Les personnes qui ont utilisé l’IA ont produit des idées de meilleure qualité et plus originales, et ont fait part d’un plus grand sentiment d’efficacité personnelle.

Le potentiel est indéniable, mais tout comme le risque d’utiliser l’IA en tant que substitut au processus créatif. En vérité, la littérature scientifique actuelle en dit encore trop peu sur la manière dont les êtres humains utilisent l’IA pour trouver des solutions originales.

Comment donc harmoniser l’utilisation de l’IA avec notre processus créatif ?

L’une des possibilités est d’utiliser cette nouvelle technologie pour aider les personnes à affiner leurs idées et à réfléchir sur leur propre processus, ce qu’on appelle la métacognition. Une série d’études récentes, menées dans notre laboratoire, ont exploré les bénéfices d’une rétroaction automatisée pendant la génération et l’exploration d’idées. Les personnes ayant reçu une rétroaction sur leur degré d’originalité ont obtenu de meilleurs résultats dans les exercices que celles qui n’ont reçu aucune assistance. Le contexte de cocréation avec l’IA pourrait, peut-être, accroître le potentiel créatif de l’être humain.

L’IA menace-t-elle notre créativité ?

C’est à voir…

Une telle transformation technologique n’est pas sans précédent.

Si l’être humain apprend « cela », il implantera l’oubli dans son âme ; il cessera d’exercer sa mémoire puisqu’il s’en remettra à « cette technologie », se souvenant des choses non plus en lui-même, mais par des références extérieures.

Ce passage, tiré d’un célèbre texte de Platon, fait référence à l’écriture et à la crainte qu’elle n’altère le fonctionnement de la pensée humaine.

L’émergence de l’IA suscite parfois des inquiétudes similaires, à savoir qu’elle se substitue à ce que l’être humain fait de mieux. Tous et toutes continuent d’apprendre à mesure que de nouveaux outils basés sur l’IA apparaissent. L’idée d’utiliser cette technologie pour assister le processus créatif des êtres humains représente à la fois un grand potentiel et un risque.

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