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Des pneus brûlent dans les rues d'Haïti.
Des pneus brûlent après avoir été incendiés par des manifestants mécontents de la violence croissante, tandis que la police patrouille et tente d'éteindre les flammes et de libérer la route pour les véhicules dans le quartier de Lalue à Port-au-Prince, en Haïti, le 14 juillet 2021. (AP Photo/Matias Delacroix)

La crise en Haïti reflète l’échec de la communauté internationale pour stabiliser le pays

L’assassinat du président de la République d’Haïti, Jovenel Moise, le 7 juillet dernier, a créé une onde de choc dans la politique régionale. Les circonstances entourant cet assassinat demeurent obscures quoique tout laisse présager qu’il s’agirait d’un complot ourdi de l’intérieur, appuyé par des acteurs floridiens et des mercenaires colombiens dans un réseau complexe de banditisme politique organisé et sophistiqué.

La plupart des dirigeants de la région ayant réagi à cet événement ont fait part de leur émotion et consternation devant ce crime dont a été victime ce chef d’État contesté de cette île des Caraïbes.

Haïtien d’origine, je suis docteur en science politique, détenteur d’une maîtrise en relations internationales et d’un diplôme d’études spécialisées en droit international de l’International Institute of Social Studies, de La Haye. J’enseigne les relations internationales et suis directeur adjoint de l’Observatoire des Amériques rattaché au Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation. Par le passé, j’ai travaillé au sein de la direction des affaires politiques du ministère des Affaires étrangères d’Haïti.

Des appels à l’aide internationale

Au plan interne, depuis de nombreuses années, Haïti se trouve fragilisé par une profonde déliquescence sociale et politique, une dégradation de la situation économique et humanitaire et une violence généralisée qui attaque tout le tissu social et environnemental. Si l’on ajoute les risques liés à la dégradation sanitaire – risques exacerbés par la pandémie de Covid-19 – le morcellement du territoire, favorisé par le renforcement des capacités de violence armée des gangs organisés et la déroute totale des forces régulières, cela produit un cocktail explosif qui n’attend qu’une bougie d’allumage.

Plusieurs voix s’élèvent pour demander une réponse internationale « robuste » et « définitive » à la situation en Haïti.

Elles redoutent que la situation provoquée par l’assassinat du président vienne s’ajouter à ce portrait hautement « toxique » du pays et contribuer ainsi à déstabiliser davantage un environnement régional précaire miné par une triple crise économique, politique et sanitaire.

Un homme dépose des fleurs alors qu’une foule s’est réunie autour d’un autel rendant hommage au président assassiné
Un homme dépose des fleurs sur un autel créé à l’extérieur du palais présidentiel en mémoire du président Jovenel Moise, à Port-au-Prince, Haïti, le mercredi 14 juillet 2021. Le président a été assassiné le 7 juillet. AP Photo/Fernando Llano

Dans le Miami Herald du 9 juillet 2021, l’éditorialiste Andres Hoppenheimer, curieusement sensible à la situation critique du pays caribéen, implore le président américain Joseph Biden de prendre le leadership d’une nouvelle force onusienne en Haïti. Dans l’optique d’Hoppenheimer, cette force serait dotée « de pouvoirs et capacités étendus en vue de prévenir une fois pour toutes ce cycle de violence et une nouvelle crise migratoire qui affecterait la région ».

Le ministre des affaires étrangères dominicain Roberto Alvarez, pays voisin et frontalier de la République d’Haïti a évoqué, quant à lui, le danger réel d’une « somalisation d’Haïti qui pourrait affecter la paix et la sécurité de la région dans son ensemble. » Le chancelier faisait écho à la situation catastrophique qu’a vécue le peuple somalien lors de la guerre civile qui a opposé différentes factions armées de la société et dont le pays n’est pas parvenu à s’en remettre jusqu’à aujourd’hui.

Même le mystérieux premier ministre provisoire haïtien, Claude Joseph, se mêle de la partie. Dépassé par les événements, ce dernier a sollicité sans ambages l’envoi de soldats américains et de Casques bleus des Nations unies sur le territoire haïtien.

Un vide non comblé après le départ de l’ONU

Ce qui motive ces nouvelles prises de position interventionnistes dont j’ai fait état précédemment, c’est l’ampleur du désordre interne haïtien. En effet, le départ des forces militaires onusiennes, en 2017, coïncidant avec l’arrivée au pouvoir de Jovenel Moise en Haïti et de Donald J. Trump aux États-Unis, avait laissé un vide sécuritaire qui n’a pas été comblé. La gangstérisation de la vie quotidienne est devenue une source de préoccupation.

Le premier ministre intérimaire Claude Joseph donne une conférence de presse à Port-au-Prince, le 13 juillet 2021. Une photo de feu le président haïtien Jovenel Moise, qui a été assassiné à son domicile le 7 juillet, est accrochée au mur derrière
Le premier ministre intérimaire Claude Joseph donne une conférence de presse à Port-au-Prince, le 13 juillet 2021. Il a sollicité l’intervention et de Casques bleus des Nations unies sur le territoire haïtien. AP Photo/Joseph Odelyn

Étant donné l’acuité de la situation et le manque de ressources de l’État haïtien pour y faire face, on postule que la solution immédiate et continue de la crise haïtienne passerait par un réengagement, étendu ou limité, des forces onusiennes chapeautées politiquement par les États-Unis.

Porteurs du dossier haïtien au Conseil de sécurité et puissance tutrice par excellence du pays depuis son invasion, suivie de l’occupation de 1915, les États-Unis demeurent à la fois l’arbitre et le décideur ultime des différends entre les protagonistes haïtiens. Le président Biden a affirmé qu’« il n’a pas de plans pour fournir l’assistance militaire à l’heure actuelle. » Quant à l’ONU, des menaces de définancement des opérations de paix continuent de planer sur l’organisation en raison de la situation pandémique mondiale.

Une solution externe à un problème interne

À moins d’une hypothétique collaboration sinoaméricaine au Conseil de sécurité sur le dossier haïtien, il serait difficile d’imaginer l’organisation mondiale se lancer dans une autre aventure militaire en Haïti.

De telles suggestions relèvent d’un diagnostic erroné de la longue crise haïtienne. Bien qu’elles paraissent très attrayantes pour les observateurs non avisés, elles s’appuient néanmoins sur les émotions vives, entretiennent le mythe de la solution externe à une problématique interne et séculaire et marginalisent les acteurs internes.


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En même temps, la dynamique actuelle conforte les États-Unis dans leur rôle de puissance tutrice d’Haïti. Elle offre le prétexte nécessaire et l’occasion choisie pour dicter la voie à suivre sur le terrain et replacer Haïti au centre du projet démocratique libéral entretenu par Washington et les Nations unies en parfaite synergie.

L’échec du projet de stabilisation démocratique

Depuis l’invasion suivie de l’occupation de 1915-1934, la mainmise des États-Unis sur l’espace politique haïtien est totale. Cette situation s’est renforcée avec le contrôle politique et économique exercé par Washington sur les organisations internationales et la vague des missions de paix onusiennes qui a déferlé dans le pays depuis 1991.

La nomination de l’Américaine Helen Lalime à la tête du Bureau intégré des Nations unies en Haïti illustre cet état de fait et atteste en même temps de l’accord parfait sur le terrain entre les politiques interventionnistes des États-Unis en Haïti et le dispositif institutionnel offert par l’ONU à Washington à cette fin.

Leon Charles, à gauche, directeur général de la police haïtienne, quitte une salle après une conférence de presse au siège de la police à Port-au-Prince
Leon Charles, à gauche, directeur général de la police haïtienne, quitte une salle après une conférence de presse au siège de la police à Port-au-Prince, le 14 juillet 2021. M. Charles a fait le point sur l’enquête concernant l’assassinat du président Jovenel Moise le 7 juillet. AP Photo/Fernando Llano

La situation de catastrophe généralisée que vit Haïti en ce moment est en partie le reflet de l’échec du projet libéral de stabilisation démocratique dans le pays. L’assassinat du président en exercice, suivi de l’incertitude générale qui entoure la trajectoire future du pays, témoigne de l’épuisement du modèle conventionnel et des stratégies mises en place jusque-là.

Aider Haïti à trouver son propre modèle

La mobilisation des mêmes vieilles politiques ne ferait qu’amplifier le chaos, décrédibiliser davantage les acteurs externes et amplifier les rivalités internes. Trop souvent les réponses et solutions à la longue crise haïtienne ont été pensées de l’extérieur. Cette situation est humiliante et dégradante pour ce peuple pionnier de la liberté des esclaves noirs dans le monde.

Il est donc nécessaire et urgent de procéder à un changement de paradigme et mettre un terme à cette thérapie de choc externe qui n’a pas réussi à générer un nouveau contrat social en Haïti et lui apporter la prospérité promise.

Certes il n’y a aucune assurance non plus que des solutions proprement haïtiennes amèneraient la paix longtemps espérée. Mais il y a ici une mince fenêtre d’opportunité à saisir. Trop longtemps le peuple haïtien a été traité en acteur passif des solutions venues d’ailleurs. Il est temps de sortir de ce modèle interventionniste, qui n’a fait qu’accompagner la destruction du tissu social national, pour aider les Haïtiens à inventer leur propre modernité et instituer leur propre modèle.

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