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La curieuse histoire du « Yellow Kid » et l’origine de la presse à sensation

Seis viñetas de un niño vestido de amarillo que inicia una pelea de gallos junto a otro amigo.
Les avantures du « Yellow Kid » publiées le 29 novembre 1896 dans le New York Journal, dessinées par Richard F. Outcault. Wikimedia Commons

Considérée à certaines périodes de l’histoire comme « puérile » et sans valeur artistique, la bande dessinée était pourtant, à l’origine, destinée aux adultes : on la trouvait dans la « presse sérieuse ».

C’est Joseph Pulitzer (1847-1911) qui eut l’idée d’introduire dans le supplément dominical de son journal, The New York World une caricature pleine page dans laquelle un garçon rancunier nommé Mickey Dugan, au crâne rasé et aux oreilles décollées, vêtu d’un sac, utilise un langage ordinaire, voire argotique (slang), totalement étranger au bon goût des classes moyennes et supérieures de l’époque, pour faire sourire les lecteurs et les inciter à la réflexion.

La première de ces vignettes est parue le 5 mai 1895 sous le titre Hogan’s Alley, et son créateur est Richard Felton Outcault (1863-1928), un artiste né à Lancaster, dans l’Ohio. Il a commencé sa carrière en tant qu’illustrateur technique pour la société de Thomas Edison (1847-1931). Il est ensuite employé comme caricaturiste pour des magazines hebdomadaires tels que Judge et Puck.

Comme, pour des raisons techniques et esthétiques, la robe du garçon est colorée en jaune à l’impression, il est connu des lecteurs sous le nom de The Yellow Kid (le gamin jaune), une nomenclature qui sera finalement adoptée par la bande dessinée elle-même. Le rédacteur en chef du supplément du journal, intitulé Sunday World’s, était Morrill Goddard (1865-1937), l’un des journalistes les plus influents de son époque. C’est lui qui a suggéré à Pulitzer d’embaucher Outcault, mais il a également inspiré bon nombre des thèmes abordés dans ces vignettes.

La presse « jaune »

Joseph Pulitzer était un visionnaire de la presse écrite qui avait suivi avec grand intérêt la coutume européenne qui consistait à introduire des dessins d’illustration ou d’humour dans la presse quotidienne, et il cherchait à faire de même pour son journal, pour des raisons stratégiques. Pour lui, un média était aussi une entreprise. Il devait donc non seulement être intéressant et agréable pour ses lecteurs réguliers, mais aussi générer des lecteurs potentiels pour assurer son avenir.

Or, les États-Unis sont un pays à fort taux d’immigration, où des milliers de personnes arrivent chaque jour avec peu ou pas de connaissance de la langue. Seul un vocabulaire simple et populaire, tel que celui du Yellow Kid, qui tentait également d’aborder de nombreux problèmes quotidiens de cette catégorie de la population, pouvait les captiver. Et puis, il y avait les enfants : les lecteurs potentiels de journaux de demain, qu’il fallait familiariser avec le format, afin qu’ils puissent y être initiés dès leur plus jeune âge.

La théorie de Pulitzer était donc aussi audacieuse que brillante : le journal ne devait pas être seulement un instrument pour le chef de famille ou l’Américain anglo-saxon de classe moyenne, mais un instrument transclasse, transgénérationnel, transculturel qui circulerait dans le plus grand nombre de mains possible avant de finir ses jours en emballage de poisson.

Le premier à assimiler et à comprendre la portée et le grand potentiel de l’idée de Pulitzer fut précisément le célèbre magnat de la concurrence, William Randolph Hearst (1863-1951). Plus jeune et plus agressif que son adversaire, à peine un an après que la création ait vu le jour, il offrit à Outcault plus d’argent pour ses services, et c’est ainsi que le garçon aux grandes oreilles passa aux pages du supplément du dimanche du The New York Journal-American.

Deux hommes déguisés en Yellow Kid poussent les côtés opposés d’un pilier de bois épelant WAR
Caricature éditoriale de Leon Barritt, 1898. Joseph Pulitzer et William Randolph Hearst déguisés en Yellow Kid poussent les côtés opposés d’un pilier de bois épelant WAR. Il s’agit d’une satire du rôle des journaux de Pulitzer et de Hearst dans la mobilisation de l’opinion publique américaine en faveur de la guerre contre l’Espagne en 1898. Wikimedia

Certes, le journal de Pulitzer avait progressivement développé une tendance au sensationnalisme, mais le journal de Hearst allait encore plus loin, horrifiant les secteurs les plus éduqués de la société américaine.

C’est pourquoi l’apparition dans les pages des deux journaux du Yellow Boy, et la formidable controverse qu’elle suscita sur l’« authenticité » du personnage que chacun mettait en avant, allait bientôt conduire à l’établissement de la dénomination de « yellow papers » pour parler des journaux destinés à un lectorat peu éduqué, à la ligne éditoriale populiste et une fâcheuse tendance à inventer ou déformer les informations au détriment des faits réels.

C’est Hearst qui eut l’heureuse idée de transformer la vignette unique en une succession de vignettes, ou récit narratif séquentiel, ce qui lui permettait d’aller plus loin et de développer une histoire complète dans l’espace dévolu à la vignette. Outcault, quant à lui, résout le problème de la narration et du dialogue en créant les fameux phylactères (les bulles) qui permettent aux personnages de communiquer entre eux, et permettent d’aller au-delà de la simple transmission d’informations contextuelles au lecteur.

C’est ainsi que le 25 octobre 1896, avec une célèbre histoire tournant autour de l’intrigue d’un perroquet caché dans un gramophone – « The Yellow Kid and His New Phonograph » (« L’enfant Jaune et son nouveau phonographe ») –, paraît ce qui est très probablement la première bande dessinée qui respecte rigoureusement les conventions narratives que l’on connaît toujours aujourd’hui – l’histoire de l’invention de la bande dessinée, elle, remonte plus loin, dans l’Europe du XIXe siècle.

Dessins tirés d’une bande dessinée dans laquelle un garçon vêtu de jaune reçoit un phonographe d’où sort un perroquet à la fin
« The Yellow Kid and His New Phonograph ». Wikimedia

A qui appartient un personnage ?

Pulitzer accusait son concurrent d’avoir volé l’idée et le personnage, puisqu’il avait déposé la marque et qu’il continuait à apparaître dans son journal sous ce nom, mais dessiné par d’autres artistes, comme George Luks (1867-1933).

Entre-temps, Hearst et Outcault ont été contraints de chercher d’autres titres pour publier leur bande dessinée, parmi lesquels l’original Hogan’s Alley. C’est ainsi qu’est né le premier conflit dans l’industrie de la bande dessinée au sujet de la propriété d’un personnage, posant une question fondamentale : le personnage est-il la propriété de son créateur ou de l’éditeur ? Cette question peut sembler absurde aujourd’hui, mais elle ne l’était pas à l’époque.

La question de la propriété des droits d’auteur et des marques faisait encore l’objet de nombreux débats juridiques. Les tribunaux ont tranché à la manière du roi Salomon : le créateur avait le droit de déployer son personnage librement et où il voulait, mais la maison d’édition qui l’avait enregistré en premier lieu avait le droit de le publier si elle le jugeait bon, même s’il était conçu par une autre équipe créative.

Ayant échoué à enregistrer le personnage comme sa propriété intellectuelle exclusive (bien qu’il ait réussi à enregistrer plusieurs licences pour l’exploitation de son image), Outcault s’est peu à peu désintéressé de son Yellow Kid. Cela a conduit – ironie de l’histoire – les deux journaux en conflit à cesser brusquement de publier la vignette en 1898. Mais à cette date, la bande dessinée était déjà devenue un produit culturel très demandé par les lecteurs.

This article was originally published in Spanish

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