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La D1 féminine de football, ou les oubliées de la démocratisation sportive

Deux footballeuses au duel, les yeux rivés sur un ballon en l'air
La lyonnaise Kadeisha Buchanan (à gauche) et la parisienne Kadidiatou Diani au duel lors d'un match OL-PSG au Groupama Stadium de Décines-Charpieu, près de Lyon, le 11 décembre 2022. Les matchs du championnat de France féminin ont attiré en 2022-2023 moins de 1 000 spectateurs en moyenne. Olivier Chassignole/AFP

La pratique du football par les filles est devenue en France un fait presque banal et l’équipe nationale une sélection qui n’est pas inconnue du grand public. Lors de la 9e édition de la Coupe du Monde de football 2023, l’équipe de France espère bien figurer.

Mais cette sélection française a-t-elle été placée dans les conditions optimales pour performer lors de ce Mondial austral ? En d’autres termes, le Championnat de France de Division 1 Arkema (du nom du sponsor officiel depuis 2019) a-t-il préparé au mieux les footballeuses françaises à une éventuelle réussite ? Et, plus encore, les joueuses ont-elles bénéficié, cette année comme depuis leurs débuts dans le football amateur, de moyens susceptibles de les transformer en compétitrices avides de victoire ?

Des critiques récurrentes

En réalité, le tableau du football féminin en France est loin d’être idyllique. Pour ne s’en tenir qu’à l’élite, seuls trois clubs – l’Olympique lyonnais, le Paris Saint-Germain et à un degré moindre Montpellier – ont les moyens d’offrir un statut professionnel à leurs joueuses.

Dans les neuf autres équipes que compte la Division 1, ce sont des contrats fédéraux qui sont proposés aux joueuses : ces dernières sont des salariées au sens strict du droit du travail, mais les contrats qu’elles signent ne sont pas suffisants pour subvenir à leurs besoins. Dans la moitié des équipes de Division 1, le salaire mensuel moyen brut est inférieur à 2 000 euros, loin de la moyenne de 100 000 euros bruts mensuels enregistrés par leurs homologues masculins du championnat de Ligue 1. La plupart des joueuses sont obligées d’occuper un autre emploi ou de poursuivre leurs études en même temps, voire d’arrêter leur pratique dans l’élite.

Ces disparités, mais également le manque de considération dont fait preuve la Fédération française de football (FFF) pour le football féminin, ont occasionné des prises de position virulentes de la part de personnalités du ballon rond. Ainsi, au début de l’année 2022, l’attaquante lyonnaise Ada Hegerberg, premier Ballon d’Or européen de l’histoire en 2018, a incriminé directement la FFF, l’invitant à investir davantage dans le championnat national.

Au printemps 2023, c’est l’ancienne et mythique attaquante Marinette Pichon qui s’en prend aux instances fédérales et dénonce le manque de structures d’entraînement, ainsi que le déficit en éducatrices et éducateurs, notamment chez les jeunes filles qui représentent l’avenir du football français.

Enfin, c’est le nouveau sélectionneur national Hervé Renard qui déplore la qualité indigne des retransmissions télévisées des matches de Division 1 disputés dans des stades de stades de quatrième niveau, peu propices à la production d’un spectacle susceptible de susciter l’intérêt de potentiels téléspectateurs.

L’exemple anglais

Pourtant, d’autres pays ont entamé leur révolution culturelle en matière de médiatisation du football féminin. En Angleterre, par exemple, la Women’s Super League (WSL) a commencé à capitaliser sur le succès de la sélection nationale des « Three Lionesses » lors de l’Euro 2022. Comme le révèle la journaliste Anna Pheulpin, le football féminin a conquis la télévision anglaise.

La croissance de l’audience lors des rencontres télévisées a été spectaculaire lors de la saison 2022-2023. Il est vrai que le partenariat historique signé par la WSL avec la BBC et Sky Sports en 2021, à hauteur de 24 millions de livres sur trois ans, a renouvelé le public des téléspectateurs, mais également des spectateurs présents dans les stades. En effet, la progression de l’affluence est elle aussi probante, car la hausse par rapport à la saison précédente était de 227 % en décembre 2022.

La FFF peut-elle s’inspirer de l’exemple anglais ? C’est l’impression que veut donner l’institution, qui sous la houlette de Jean-Michel Aulas, membre du Comex en charge du football féminin, vient d’annoncer un plan ambitieux de développement : 7,3 millions d’euros seront alloués pour la saison 2023-2024 à la D1 Arkema. Ce budget est destiné principalement aux clubs et surtout aux licenciées : les joueuses de l’élite, mais aussi les équipes de jeunes. Les dotations iront aussi aux six centres de formation existant pour l’instant sur le territoire français, ainsi qu’à l’arbitrage féminin.

Il va de soi que cette mesure financière, même conséquente, ne suffira pas à elle seule à sortir le football féminin français du relatif anonymat dans lequel il se trouve. Car effectivement, si voir jouer une jeune fille au football en 2023 ne choque plus grand monde, ce n’est pas pour autant que le public afflue en masse dans les tribunes de D1. Une comparaison peu flatteuse pour le football féminin français montre par exemple que la finale de la Coupe de France 2023 s’est disputée devant 6 217 personnes, contre 77 390 présentes à Wembley pour la finale de la FA Cup (la Coupe d’Angleterre).

Le nerf de la guerre : les retransmissions télévisées

Pour implanter définitivement le football des filles dans le paysage sportif et médiatique français, deux leviers ont été actionnés. Le premier est constitué par le renouvellement des droits de retransmission à Canal+ pour une durée de six ans, jusqu’à la saison 2028-2029 incluse.

Deux matches de Division 1 Arkema seront retransmis dès le début de la saison 2023-2024, et chaque dimanche soir l’actualité du championnat sera évoquée lors d’un plateau télévisé. Les 5,3 millions d’euros annuels de droits TV générés par le football féminin, sélection nationale comprise, seront intégralement attribués au football féminin. Cette somme connaît ainsi une augmentation qui même peu spectaculaire puisqu’elle était la saison précédente de 4,5 millions, devrait permettre d’accroître l’attractivité de la D1 – sous réserve évidemment que les retransmissions des matches soient de qualité.

Le deuxième levier qui pourrait consacrer un pas en avant pour le football féminin réside dans la création d’une ligue féminine de football, certes toujours affiliée à la FFF, mais dédiée exclusivement au football professionnel. Cette ligue, qui ne verra hélas le jour qu’à partir de la saison 2024-2025, a pour objectif de professionnaliser les deux plus hauts niveaux de pratique en France, soit la D1 et la D2, resserrée pour l’occasion à 12 clubs (contre les 24 que compte actuellement la D2). Ces différentes mesures pourraient enfin conférer aux footballeuses la place qui leur est due, après des décennies d’ostracisme ou, au moins, de traitement différencié par rapport aux garçons.

Pour un développement tous azimuts

Néanmoins, pour développer et stabiliser le football français, il semble indispensable de s’adresser à tous les niveaux, et pas seulement à l’élite. La Premier League anglaise (et non la fédération anglaise) a par comparaison investi 21 millions de livres sterling sur 3 ans dans la WSL à l’été 2022, afin de développer le « grassroots football », c’est-à-dire le football amateur, dont celui des jeunes et très jeunes joueuses. En contrepartie, entre juin et décembre 2022, la fédération anglaise a enregistré une augmentation de 15 % de ses équipes de jeunes.

Pourquoi la France ne s’inspirerait-elle pas de l’exemple anglais, et qu’est-ce qui empêcherait la Ligue nationale de soutenir massivement le football féminin ? Cela passerait évidemment par le développement des équipes de jeunes mais aussi par le milieu scolaire, puisqu’en 2022, sur les 1 077 sections sportives scolaires labellisées par la FFF, 173 sont dédiées aux filles et concernent 5 600 élèves. Les meilleures jeunes viendront alimenter les centres de formation des équipes professionnelles, puis éventuellement les meilleures équipes de la future ligue.

Selon l’historienne Audrey Gozillon, contrairement à d’autres pays comme la Norvège ou l’Allemagne où ces politiques ont été mises en place dès les années 1970, la FFF a tardé à lancer un plan de féminisation du football, lequel n’a été effectif qu’à partir de 2011 et dans des proportions relativement modestes, malgré les affirmations de l’ancien président de la FFF Noël Le Graet.

Pour l’équipe de France qui dispute actuellement la Coupe du Monde 2023, au vu des conditions que nous avons énumérées, un succès tiendrait du miracle, même si la plupart des sélectionnées évoluent au Paris Saint-Germain ou à l’Olympique lyonnais, deux clubs peu représentatifs des conditions vécues par les meilleures joueuses de D1.

Pour qu’à l’avenir l’équipe de France puisse jouer un rôle de premier plan lors des échéances internationales, il faut que la professionnalisation totale de l’élite, prévue dès 2024, produise des effets rapides. Mais cela passe aussi par la structuration et l’encadrement des 200 000 licenciées actuelles, notamment les équipes de jeunes, par l’octroi de conditions de pratique égales à celles des garçons, par un traitement médiatique approprié, conditions sine qua non du succès, de la visibilité et l’amélioration des conditions auxquelles elles ont droit.

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