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Les sens du politique

La marche confirmée de la gauche vers sa gentrification

Dans une rue de Paris, à la veille du second tour de la présidentielle. Lorie Shaull/Flickr, CC BY-SA

La gentrification est un terme habituellement utilisé pour désigner la métamorphose sociologique de quartiers populaires en quartiers plus bourgeois, peuplés par de nouveaux arrivants tels que des professionnels de l’information, des arts et des spectacles, mais aussi des ingénieurs et des cadres du privé, et enfin des cadres et professions intellectuelles supérieures.

C’est ce que l’on peut constater dans certains quartiers de Paris qui est peu à peu devenue une « ville sans peuple ».

Cette métamorphose s’observe de façon tout aussi évidente dans la vie politique et notamment au sein de la gauche française socialiste ou plutôt sociale-démocrate. Cette gauche française qui aura fini sa mue en portant Emmanuel Macron au pouvoir, celui qui pose là le libéralisme économique, tout aussi bien qu’une forme certes timide mais réelle du libéralisme culturel.

Au bon endroit et au bon moment

Car en effet, c’est bien cette gauche-là qui porte majoritairement ce nouveau Président au pouvoir, parachevant sa gentrification.

En tout premier lieu, 45 % des électeurs qui avaient voté pour François Hollande en 2012 ont soutenu Emmanuel Macron dès le premier tour – pour des raisons diverses et variées : vote utile, stratégique, perplexité face à Benoît Hamon, campagne médiatique complexe…

En second lieu, certains groupes de réflexion de gauche, à l’instar de la Fondation Jean Jaurès, ont livré des notes démontrant combien Macron était la bonne personne, au bon endroit, au bon moment ; son Président comptait d’ailleurs parmi les invités d’Emmanuel Macron lors de sa prise de fonction, le 14 mai. De même, Terra Nova, traditionnel think-tank de la gauche, n’est pas pour rien non plus dans cette élection et certains ouvrages émanant de ces milieux ont pu influencer la matrice du Président actuel, ainsi que certaines réunions à Bercy-même avec les responsables de ces groupes de réflexion.

Enfin, au sommet de la pyramide, de nombreux ministres et autres figures de proue de cette gauche dite socialiste voire écologiste ont peu soutenu Benoît Hamon pour préférer se tourner vers Emmanuel Macron.

Finalement, une grande partie de la base, les corps intermédiaires mais aussi le top du pouvoir socialiste ont largement migré pour aller marcher avec lui.

Changer de working class

Nous disons ici que ce mouvement correspond à une sorte de gentrification de cette gauche, à son embourgeoisement et à sa coupure visible, voire assumée avec les classes populaires.

Depuis deux décennies on sait combien une partie de classes populaires s’est détournée de cette gauche-là pour aller vers le FN.

Mais cette année marque un pas de plus : c’est comme si la présidence Macron avait cristallisé cette coupure, ce fait électoral et sociologique. Rappelons-nous du rapport de Terra Nova rédigé pour la précédente présidentielle « Gauche quelle majorité électorale pour 2012 ? ».

Que disait ce rapport pour rappel ?

Il préconisait pour la gauche de changer de soubassement électoral et, grosso modo, de changer de working class. La principale recommandation de ce rapport était de se détourner de la classe ouvrière pour se tourner vers un électorat représentant « la France de demain » : « plus jeune, plus diverse, plus féminisée, plus diplômée et plus progressiste sur le plan culturel. »

Le monde ouvrier ne paraissait plus être une cible pertinente pour plusieurs raisons : d’une part parce qu’il se rétrécissait démographiquement, d’autre part car il votait de moins à moins à gauche et enfin parce que, selon les auteurs, ses valeurs étaient par trop structurées autour des « réactions de repli », et qu’il n’était donc « plus en phase avec ses valeurs ». Dans ce rapport, les électorats des classes moyennes et populaires étaient uniquement considérés comme des « compléments stratégiques ».

Une mue libérale parachevée

L’élection de Macron pose la pierre finale à cette mue sociologique et politique. Elle laisse un Parti socialiste exsangue et franchit le dernier pas de cette métamorphose à savoir : ajouter à cette France que d’aucuns qualifieraient de « bobo » – féminine, urbanisée, diverse – la France de la Ivy League – cadres du privé, ingénieurs – et celle de la Silicon Valley – start-upeurs. C’est exactement, trait pour trait le processus de gentrification que peut connaître Paris (« Paris sans le peuple », déjà cité) ou d’autres grandes villes, et qui se traduit ici du point de vue d’un mouvement politique, se cristallisant dans le mouvement « En Marche ! »

Un mouvement qui parle de libéralisme, d’empowerment, de liberté, de gouvernement de soi-même, pour ne pas dire de « self-start-up ».

Aujourd’hui, cette mue libérale, cette migration électorale est achevée, voire dépassée : la France gentrifiée a laissé la gauche canal historique-socialiste exsangue, les classes populaires ont été en partie récupérées par Jean‑Luc Mélenchon et sont encore largement fidèles à Marine Le Pen. Quant aux libéralismes, ils se sont réconciliés au cœur d’un bloc élitaire venant de la droite et de la gauche. On peut voir d’ailleurs combien ce qu’il est convenu d’appeler les populismes ne s’additionnent pas, contrairement à cesdits libéralismes.

C’est le parachèvement de cette mue que raconte l’élection d’Emmanuel Macron, c’est une sorte de remake du vote au référendum de 2005, c’est la France de la façade atlantique et des villes contre la France de la façade européenne, c’est la France des insiders contre celle des outsiders. Finalement, la nature – et la politique – ayant horreur du vide, l’effacement du clivage gauche-droite s’est mué en clivage de classe. Une sorte de retour vers le futur.

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