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La social-démocratie désarmée face aux « populismes »

Jean-Luc Mélenchon, en meeting à Bordeaux, en novembre 2016. Georges Gobet/AFP

Au jeu des sept différences, les candidats de la « primaire citoyenne » tentent de se positionner idéologiquement. Ainsi, Benoît Hamon et Arnaud Montebourg se disputent la gauche du Parti socialiste (PS), tandis que Vincent Peillon et Manuel Valls rivalisent à sa droite. Par ailleurs, Sylvia Pinel représente le radicalisme, François de Rugy l’écologisme et Jean-Luc Bennahmias un progressisme de centre-gauche.

En dépit de ces nuances avec lesquelles les candidats comptent bien se démarquer, les uns et les autres ont pour modèle la social-démocratie. Mais, à l’inverse de la droite dont le gaullisme historique a facilité le truchement idéologique vers le conservatisme, la « primaire citoyenne » tend à démontrer la faible capacité de résilience de la gauche de gouvernement face aux populismes de son propre camp.

En effet, Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron – bien que taxés de « populistes » – aiguillent le débat à gauche, et ce après qu’ils aient refusé de participer à ladite primaire.

L’accusation de populisme, une arme politique

Dans son célèbre ouvrage Idéologie et Utopie (1929), le sociologue Karl Mannheim relevait que qualifier une idéologie d’« utopique » vise davantage à discréditer l’adversaire qui s’en réclame plutôt que jauger l’efficience de cette même idéologie. De la sorte, désigner une personnalité politique de « populiste » permet d’attaquer à la fois son message et son intégrité.

Bien souvent, la distinction entre une personnalité « populaire » et une personnalité « populiste » tient plus à la monopolisation du discours qu’aux propos énoncés. Dès lors, qu’importe le degré réel ou fantasmé de populisme de Jean-Luc Mélenchon ou d’Emmanuel Macron, la social-démocratie s’ingénie à délégitimer les adversaires aux extrémités de son espace politique aussi certainement que ses adversaires critiquent son bilan.

La petite ritournelle du populisme ne date donc pas du Brexit ou de l’élection de Donald Trump, quoiqu’elle ait des raisons distinctes selon la personnalité taxée de « populiste ».

Le « populisme traditionnel » d’extrême gauche

À l’égard de Jean-Luc Mélenchon, les accusations de « populisme » relèvent de l’opposition classique entre la gauche de gouvernement et de la gauche radicale – cette dernière étant souvent accusée par la première de violence verbale à l’encontre des élites économiques, politiques ou sociales et de critique irraisonnée des institutions démocratiques lorsqu’elle prétend s’adresser au peuple. Toutefois, et bien que Jean-Luc Mélenchon ne récuse pas son populisme – revendiquant alors une inspiration de la gauche sud-américaine –, le mettre à l’index peut se révéler hasardeux.

En effet, le PS et ses alliés devraient craindre le précédent grec. Pour rappel, le mépris du Mouvement socialiste panhellénique (PASOK) à l’égard de la Coalition de la gauche radicale (SYRIZA) dans sa gestion de la crise économique s’est retourné contre lui. Résultat, le PASOK majoritaire en 2009 a dégringolé à 12 % en 2012, puis à 6 % en 2015.

Dans des contextes plus proches de celui de la France, le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) concède de plus en plus de terrain à Podemos, de même que le Parti démocrate italien face au Mouvement 5 étoiles. Un peu partout en Europe, la social-démocratie s’essouffle face à la gauche radicale. Il n’est donc pas certain qu’un électorat déçu du tournant social-libéral du PS s’indigne encore du « populisme » de Jean-Luc Mélenchon.

Le « nouveau populisme » d’extrême centre

C’est, d’ailleurs, ce tournant social-libéral qui est responsable du déclin de la culture de gauche au sein de la social-démocratie française et de son manque de résilience face à l’idéologie managériale incarnée par Emmanuel Macron.

Par « culture de gauche », j’entends les représentations et les pratiques qui relèvent à la fois des institutions et des expériences collectives qui structurent les références communes. S’il existe probablement plusieurs gauches, et donc plusieurs cultures, persistent certaines références qui se retrouvent dans l’ensemble des formations dites de gauche. L’abandon des références marxistes en 2008 dans la Charte de principes du PS et l’absence de profils issus du mouvement social dans les instances dirigeantes des formations engagées dans la primaire, ceci participe au déclin de la culture de gauche.

Emmanuel Macron à Berlin, le 10 janvier 2017. Odd Andersen/AFP

Mais ce n’est pas tout, la culture de gauche est surtout menacée par l’idéologie managériale popularisée au sein de la social-démocratie par l’action gouvernementale. Cette idéologie repose sur la compréhension qu’une bonne gestion publique – à savoir, une gestion efficace et stable – outrepasse les passions politiques et les déterminismes sociaux, lesquels peuvent se greffer dans le processus de décision politique.

Car Emmanuel Macron incarne parfaitement cette idéologie managériale qui se veut ni de gauche ni de droite, d’extrême-centre en quelque sorte, tout en reprenant à son compte un progressisme devenu a-culturel et donc susceptible de convaincre les électeurs de droite, il en devient indubitablement « populiste » pour Manuel Valls. En effet, l’ancien Premier ministre cherche à le concurrencer sur cet espace politique laissé vacant par la droite, et ce après la nomination d’un François Fillon réputé conservateur.

Que ce soit contre ce « nouveau populisme » d’extrême centre ou contre le « populisme traditionnel » d’extrême gauche, la social-démocratie française reproduit ainsi la même erreur que celle commise par Hillary Clinton face à Donald Trump : celle de croire que des idées raisonnables suffisent pour gagner la guerre idéologique. Le candidat qui sortira victorieux de la primaire citoyenne ferait bien de s’inspirer d’un Bernie Sanders, social-démocrate déclaré et « populiste » à bien des égards.

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