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Bâtiments et zones protégés de Macao (2004). State Administration of Cultural Heritage of the PRC.

La ville-patrimoine : visite dans le cœur historique de Macao

Au milieu du XVIe siècle, les portugais développent sur la péninsule de Macao un comptoir cosmopolite au cœur du commerce entre la Chine et le monde. En 2005, le classement de son centre historique au Patrimoine mondial de l’Unesco a mis la rencontre pacifique des cultures entre Orient et Occident au cœur de sa « valeur universelle exceptionnelle ».

Cependant, en ce qui concerne la ville, le fait de classer ce secteur urbain au nom de la supposée ancienneté de son bâti et en vue de sa sauvegarde a abouti à créer une frontière artificielle à l’intérieur d’un territoire jusque-là cohérent et porteur de cette valeur en tant qu’ensemble : une ville-monument désormais figée au cœur d’un paysage urbain en mutation.

Macao, Place du Sénat. Author provided

Il s’agit ici de prendre l’exemple de Macao pour s’interroger sur l’évolution des théories de patrimonialisation de la ville au cours du dernier demi-siècle. Abandonnant définitivement l’idée stéréotypée que le classement des zones urbaines soit un frein au développement, nous l’envisagerons plutôt comme une ressource essentielle à prendre en compte dans des démarches planifiées, durables et intégrées de mutation urbaine, visant à dissoudre les frontières internes et à retrouver l’unité de la ville.

Les monuments historiques de Macao

Le premier dossier déposé auprès de l’Unesco, en 2002, proposait le classement de 12 bâtiments, des périmètres de protection respectifs, ainsi que de quelques zones reconnues « d’intérêt » par la législation locale, le tout étant censé représenter l’héritage architectural européen en Chine, « produit singulier de l’échange culturel sino-occidental tout au long de 400 ans de coexistence harmonieuse et pacifique ».

Mais les critères de sélection de cet ensemble ne sont pas clairs : seulement 12 des 128 bâtiments classés localement intègrent cette première liste. De même, la délimitation des deux périmètres de protection semble hésitante, aboutissant finalement à une sorte de collage des périmètres individuels de protection des monuments.

Vers le classement d'un ensemble urbain

Après avis du Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS), la candidature déposée en 2004 réétudie la délimitation de la zone de protection 1, qui intègre désormais les périmètres individuels de protection des monuments, les quelques zones urbaines d’intérêt, ainsi qu’une réflexion nouvelle sur la délimitation de la vieille ville à partir de la mise en lumière de sa structure urbaine et des anciennes rives naturelles de la péninsule avant 1850. Soit 22 monuments liés par un parcours urbain composé d’espaces publics protégés, reprenant la structure de la rue principale de la vieille ville : c’est l’émergence de l’idée de centre historique.

Plan de Macao, XVIIIᵉ siècle. Arquivo do Gabinete de Estudos Arqueológicos de Engenharia Militar, Lisbonne, Portugal.

Cette transition du « monument » vers « l’ensemble urbain » modifie considérablement la réflexion sur la patrimonialisation de Macao, en proposant pour la première fois l’idée que sa « valeur universelle exceptionnelle » ne réside pas exclusivement dans les bâtiments d’intérêt architectural, mais plutôt dans le tout qui est la ville elle-même, témoin le plus complet de la singularité historique et culturelle du territoire.

Cependant, la nouvelle délimitation de la zone de protection 1 exclut, en théorie, toute extension urbaine en dehors de limites naturelles de la péninsule au 18e siècle. Elle comprend, en revanche, des interventions urbaines, des espaces publics, et même des monuments postérieurs à 1850 : si d’une part l’idée de centre historique contribue à la libération de la contrainte « monument », d’autre part elle implique la création d’une frontière urbaine artificielle avant/après 1850.

Le classement au patrimoine mondial, en 2005

L’ICOMOS recommande que le bien inscrit soit appelé « Le centre historique de Macao ». Malgré ce changement de nom, dans la pratique, ce qui est classé ce sont toujours les « monuments de Macao ». La ville, elle, n’acquiert de valeur patrimoniale qu’en fonction d’eux. L’ensemble est d’ailleurs classé patrimoine mondial dans la catégorie « patrimoine culturel », en tant qu’« ensemble d’édifices ». La réflexion d’origine, axée sur le « monument », ainsi que le souci de remplir les critères de patrimonialisation de l’Unesco, auraient ainsi influencé l’émergence d’un résultat incohérent du point de vue de l’unité et de la complexité urbaines.

La patrimonialisation de la ville : conservation vs développement ?

En tant que manifestation humaine d’organisation de l’espace, la ville est une expression culturelle ayant une valeur patrimoniale à part entière. Cependant, elle n’est pas un « monument », mais plutôt un organisme en permanente mutation. Comment donc classer des morceaux de ville avec des critères conçus pour interrompre les processus de mutation des monuments architecturaux, au nom des principes de conservation des valeurs patrimoniales ? Comment appliquer ce processus dans un contexte aussi singulier que Macao, où le paysage urbain se transforme à un rythme effréné depuis maintenant cent-cinquante ans ?

Une ville en mutation permanente.

Depuis les années 1970 l’Unesco, entre autres, mène une réflexion parallèle à la Convention du Patrimoine mondial visant l’émergence d’instruments opérationnels nouveaux pour le traitement « non-muséologique » des tissus urbains et pour leur conservation « vivante ». La clé proposée est l’intégration des principes de sauvegarde et de mise en valeur du patrimoine urbain aux stratégies locales de développement socio-économique et de cohésion sociale.

En ce qui concerne la ville, l’idée est que le patrimoine cesse d’être associé à l'idée de « restriction » et soit vu comme une « ressource », au nom de la sauvegarde de la diversité des identités urbaines : le patrimoine culturel peut ainsi devenir un pilier du développement durable.

Vue aérienne de Macao. State Administration of Cultural Heritage of the PRC (2004)

Dans la pratique, il s’agit de remplacer la progression illustrée par le cas de Macao (passant de « monument » à « zone de protection » puis à « centre historique ») par une réflexion sur la ville dans son territoire, dans une démarche de gestion urbaine intégrée, de façon à conjuguer interventions nouvelles, développement urbain durable et sauvegarde de l’intégrité du paysage, et de passer ainsi de la ville-monument au « paysage urbain historique ».

La conservation comme activité prospective

L’introduction de cette approche nouvelle vient changer la donne en ce qui concerne la patrimonialisation de la ville, qui passe d’exclusive à inclusive, de rétroactive à prospective. Cette promotion du rapprochement entre les historiens-conservateurs et les urbanistes vise à en finir avec la traditionnelle méfiance mutuelle et ainsi établir un dialogue d’anticipation et de réflexion, au sein duquel la conservation urbaine et le développement urbain puissent servir d’outils à l’une comme à l’autre discipline, au nom de la qualité des interventions futures et de la durabilité des processus de mutation.

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