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Manifestation à New York le 1er juin après l’annonce du retrait de l’Accord de Paris par Donald Trump. Jewel amad/AFP

L’Accord de Paris sans Washington, un électrochoc positif ?

Donald Trump aura fait durer le suspense plusieurs mois. On se souvient que son élection à la présidence des États-Unis en novembre 2016 en pleine COP22 de Marrakech avait plongé les négociateurs du climat dans une grande inquiétude.

Durant sa campagne, le candidat républicain avait en effet qualifié les changements climatiques de « canular » et évoqué une possible « annulation » de l’Accord de Paris. Il avait également promis de supprimer les mesures rendant obsolètes les vieilles centrales au charbon et de relancer l’extraction offshore de pétrole et de gaz.

Une fois élu, ses premières déclarations sur climat étaient restées ambiguës. Évoquant une possible connexion entre les changements climatiques et les activités humaines, Donald Trump ne répondait pas clairement à la question que lui posaient des journalistes du Times sur le fait de savoir si, oui ou non, les États-Unis allaient dénoncer l’Accord. Il se contentait de lancer un énigmatique « Je vais y jeter un œil »

Les semaines passant, les décisions du Président renforçaient les craintes initiales. Après avoir nommé le climatosceptique Scott Pruitt à la tête de l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA), Donald Trump s’attaquait avec entrain au détricotage des mesures environnementales adoptées par son prédécesseur Obama.

Sa politique de relance des énergies fossiles, sans compter le redéploiement des crédits affectés à la recherche sur le climat vers la conquête spatiale, ne pouvait que conduire les États-Unis à ne pas respecter leurs engagements internationaux.

L’intervention de Donald Trump sur l’Accord de Paris, le 1erjuin 2017 (The White House).

À quoi les États-Unis s’étaient engagés

Dans leur contribution nationale à l’Accord de Paris, les États-Unis, alors gouvernés par l’administration Obama, s’étaient engagés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 26 à 28 % en 2025 par rapport au niveau de 2005. Juridiquement, ils ne pouvaient revoir cette contribution nationale qu’à la hausse (article 4). Ils devaient également se conformer aux autres obligations que prévoit l’Accord notamment des engagements financiers (ils contribuent par exemple pour près de 25 % au budget de fonctionnement du régime international du climat).

Allaient-ils effectivement sortir de l’Accord de Paris ? Choisir d’y rester tout en ne respectant pas leurs engagements, sachant que l’Accord ne prévoit pas de sanctions – autre que politique – en ce cas ? Ou tenter de négocier une troisième voie : abaisser le niveau d’engagement de leur contribution ?

Cette dernière possibilité semblait sérieusement étudiée ces dernières semaines par les partisans d’un maintien des États-Unis dans l’Accord (avec l’espoir d’une continuation de leur niveau de financement). Contraire à l’esprit, sinon à la lettre de l’Accord de Paris, cette option faisait craindre l’amorce d’une course générale vers le bas à l’heure où, bien au contraire, un relèvement rapide du niveau d’ambition des contributions nationales s’impose. Juridiquement plus que fragile, elle ne semblait pas politiquement opportune et a été finalement abandonnée.

Soumis à des pressions contradictoires de la part de son entourage, le Président Trump a fait durer le suspense, repoussant cette décision sensible de semaine en semaine. Pour finalement annoncer dans un long discours le retrait américain de l’Accord de Paris le 1er juin dernier.

Les modalités du retrait

L’Accord de Paris offre la possibilité aux États Parties de se retirer. Ce n’est donc pas violer l’Accord que de décider d’en sortir ; on se souvient que le Canada a déjà par le passé dénoncé le Protocole de Kyoto. Encore faut-il respecter la procédure prévue à cet effet (article 28).

La dénonciation officielle par laquelle les États-Unis « sortiraient » du traité, ne peut intervenir qu’à l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la date d’entrée en vigueur de l’Accord, soit pas avant le 5 novembre 2019. Il faudra donc que Donald Trump patiente trois ans avant d’annoncer officiellement son retrait. En outre, sa décision ne prendra effet qu’à l’expiration d’un nouveau délai d’un an, soit… à la toute fin de son mandat et au moment de l’élection d’un nouveau Président (ou de son hypothétique réélection).

Ainsi, que Donald Trump le veuille ou non, les États-Unis sont bel et bien engagés internationalement pour la durée de son mandat. Ils doivent se conformer à leurs obligations internationales et mettre en œuvre leur contribution nationale. Le successeur de Donald Trump pourrait d’ailleurs décider d’engager les États-Unis à nouveau, limitant ainsi à quelques mois la période de retrait.

Les États-Unis auraient une autre possibilité, celle de dénoncer la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques datant de 1992 ; c’est en quelque sorte la convention « mère » de l’Accord de Paris. Dans ce cas, ils seraient réputés avoir dénoncé l’Accord de Paris et la dénonciation prendrait effet dans un délai d’une année (article 28§3 de l’Accord de Paris).

Aujourd’hui, même si le discours de Trump reste ambigu, ce n’est pas cette voie qu’il semble avoir choisie. Il a d’ailleurs insisté à plusieurs reprises dans son discours du 1er juin sur la volonté américaine de négocier un nouveau deal en remplacement de l’Accord de Paris, ce pour quoi il semble plus logique de garder un pied dedans en restant dans la Convention-cadre de 1992.

Si tout cela reste à préciser, l’annonce du Président Trump laisse à penser que les États-Unis vont d’ores et déjà s’asseoir sur leurs obligations, se mettre au ban de la communauté des Parties, couper leurs financements (y compris ceux obligatoires pour les Parties ?) et pratiquer une politique de la chaise vide en attendant que le retrait puisse être effectif juridiquement.

Il faut savoir que l’Accord de Paris est incitatif plus que contraignant : il ne prévoit pas de sanction en ce cas, contrairement à ce qu’affirme Donald Trump dans son discours. Peu de choses à craindre donc de ce côté-là, à part des conséquences d’ordre réputationnel que ne semble pas appréhender le Président Trump.

Les conséquences du retrait

Incontestablement, la décision de retrait envoie un mauvais signal aussi bien aux États-Unis qu’au reste du monde.

Les États-Unis contribuent pour 18 % aux émissions mondiales de gaz à effet de serre (ce qui les place en seconde position des plus gros émetteurs mondiaux, juste derrière la Chine). Sans eux, l’objectif posé par l’Accord de Paris (contenir « l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5 °C ») semble plus que jamais hors d’atteinte.

Les financements américains vont également cruellement manquer pour faire fonctionner les institutions conventionnelles : les États-Unis avaient promis d’abonder le Fonds vert pour le climat à hauteur de 3 milliards de dollars. Le Président Trump annonce qu’ils s’en tiendront au milliard déjà versé sous l’administration de Barack Obama.

Interview d’Hela Cheikhrouhou, l’ex-directrice générale du Fonds vert pour le climat (France24, octobre 2015).

De fait, le Fonds vert pour le climat aura bien du mal à atteindre les 100 milliards de dollars prévus pour faire face aux besoins des pays en développement avec un risque de démotivation de ces derniers. Sans compter que la décision américaine fait craindre également un effet domino sur d’autres pays.

Au-delà du climat, elle inquiète par la vision cynique et égocentrique des relations internationales qu’elle véhicule à un moment où de multiples enjeux globaux (tel que le terrorisme) requièrent une étroite collaboration des nations et un sursaut de multilatéralisme. À tous ces points de vue, cette décision, qui relève d’un protectionnisme court-termiste et étriqué, suscite colère et indignation sur la planète entière.

Des conséquences vraiment si néfastes ?

Partout dans le monde, entreprises, banques, fonds d’investissement, collectivités locales et individus s’engagent dans la voie de la décarbonations de nos économies. Poussés à l’innovation, ils prennent de l’avance sur leurs concurrents. Ils créent les technologies et les emplois de demain.

La réactivation des centrales charbon est ainsi une mesure de courte vue. Le charbon n’est déjà plus compétitif et le détricotage du Clean Power Act mis en place par Obama n’aura qu’un effet limité. Dans le secteur de l’énergie, les emplois se créent massivement dans le secteur des renouvelables, y compris aux États-Unis. C’est là que sont les investissements rentables.

La politique de Trump se heurte ici à la volonté d’une large majorité de la société civile, des acteurs économiques et de beaucoup d’États fédérés, de grandes villes, qui pourraient au contraire s’en trouver « dopés ». Même chose à l’échelle internationale. Il est peu probable que Donald Trump obtienne la renégociation de l’Accord de Paris qu’il souhaite. La fin du leadership sino-américain que signe sa décision laisse la place à de nouvelles initiatives, de nouvelles alliances, et pourrait pour certains faire l’effet d’un électrochoc positif.

Michael Bloomberg, l’ancien maire de New York, a aussitôt annoncé que sa fondation comblerait les 15 millions de dollars de participation des États-Unis au fonctionnement du régime climat. Un sommet Union européenne–Chine s’est conclu, dès le lendemain de sa décision, par un engagement mutuel à réduire la part des énergies fossiles et travailler à la levée de 100 milliards de dollars d’origine publique et privée par an d’ici à 2020 pour aider les pays en développement et en particulier les plus vulnérables.

Appuyée par la France, l’Allemagne, qui accueillera le G20 en juillet et la COP23 en novembre, semble particulièrement motivée à aller de l’avant. De telles initiatives vont probablement se multiplier dans et hors des États-Unis.

« Cet élan est irréversible, il est guidé non seulement par les gouvernements mais aussi par la science, par le monde des entreprises ainsi que par une action mondiale de tous types et à tous niveaux », affirmait solennellement la déclaration finale de Marrakech adoptée lors de la COP 22. Méthode Coué ou prophétie autoréalisatrice ? L’avenir seul le dira, mais bien des signaux sont aujourd’hui positifs.

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