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L’adoption de la voiture électrique sous contrainte, un non-sens en marketing

Symbole de voiture électrique
Les véhicules électriques ne représentaient en 2020 que 0,6 % du marché automobile européen. Paul Krueger/Flickr, CC BY-SA

À la fin du mois de mars 2023, l’Union européenne (UE) a adopté un règlement interdisant la vente de voitures émettant du CO₂ à partir de 2035, obligeant ainsi les consommateurs à acheter des véhicules électriques (VE). En 2020, sur les quelque 250 millions de voitures circulant dans l’UE, près de 1,5 million sont électriques, soit 0,6 % du marché total. Cette part est appelée à augmenter au cours des prochaines années, car les constructeurs automobiles européens comme Volkswagen et Renault mettent sur le marché un nombre croissant de voitures électriques, à grand renfort de campagnes publicitaires.

Parmi les avantages des VE, tels qu’ils sont annoncés ou promus par les gouvernements et les constructeurs automobiles, figurent notamment une conduite souple (c’est vrai), une qualité prétendument supérieure (qui, selon la publicité, ne cessera de s’améliorer) et une grande fonctionnalité (à mesure que de nouvelles stations de recharge seront construites dans toute l’Europe), un bon rapport qualité-prix (ce qui n’est vrai que si les acheteurs bénéficient de subventions de leurs gouvernements respectifs et si l’on ne tient pas compte du fait qu’une nouvelle batterie doit être achetée tous les cinq ou six ans), et un impact moindre sur l’environnement (ce qui reste à prouver).

Marché du véhicule du tourisme (histogramme en vert, axe de gauche) et de la voiture électrique (courbe rouge, axe de droite) dans l’Union européenne entre 2013 et 2021. Données Eurostat

D’un point de vue marketing, parier sur le fait que les gens s’appuieront presque exclusivement sur des avantages futurs représente un véritable défi. Le règlement de l’Union européenne contredit un principe fondamental du marketing et de la théorie économique classique : le libre choix du consommateur. Il donne également une fausse image du produit, ce qui, comme le savent tous les spécialistes, peut décevoir les consommateurs. Les gens n’achètent pas des voitures, ils achètent la liberté.

Un besoin d’expertise en gestion du temps

Une voiture est en effet un gage de liberté : elle vous donne la possibilité de vous déplacer quand vous le souhaitez, avec des avantages et des inconvénients que vous connaissez à l’avance et que vous avez acceptés, parce que les avantages l’emportent largement sur les inconvénients. La liberté acquise avec les véhicules à essence (VAE) n’est pas un vague futur concept : elle se matérialise dans le présent.

Lorsqu’on achète une voiture électrique, on achète nécessairement des produits complémentaires : un câble de recharge, une borne de recharge ou l’accès à celle-ci (avec une carte de recharge, ou plutôt une poignée de cartes de recharge compte tenu de l’incohérence des normes de recharge), et une batterie. Les consommateurs s’exposent à la contrainte de pouvoir recharger leur véhicule à une borne de recharge quand ils le voudront, dans un quartier sûr et bien éclairé (où des individus malveillants ne vont pas endommager leurs câbles, les couper, les déconnecter – car il est en effet possible de les déconnecter de la borne de recharge contre son gré, et/ou de les voler).

Les VE engendrent également des difficultés pour les personnes handicapées ou personnes âgées (qui seront plus nombreuses en Europe en 2035 qu’aujourd’hui). Le poids du câble de charge varie en fonction de son type et de sa longueur, mais en général, il faut s’attendre à utiliser ses muscles pour manipuler de 2 à 5 kg (jusqu’à plus de 10 kg). Les handicapés, les blessés, les femmes enceintes et les personnes âgées doivent accéder au câble, qui prend de la place dans le coffre, le porter jusqu’à la borne de recharge et le brancher (malgré l’arthrite, les béquilles ou les douleurs aux hanches et aux genoux), si et seulement si les places de stationnement autour des bornes de recharge ont été prévues pour ces vulnérabilités, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle.

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De surcroît, les acheteurs ont besoin d’un téléphone ou d’un ordinateur pour localiser les bornes de recharge (celles qui ne sont pas dysfonctionnelles et qui disposent de la prise de connexion adéquate) et calculer leur itinéraire. En exagérant un peu, disons qu’avant d’acheter une voiture électrique, il faut s’assurer d’avoir un doctorat en gestion du temps et une centrale nucléaire transportable dans son sac à dos. Toutes ces caractéristiques indésirables des VE constituent donc une forme de taxe cachée de sorte que le texte européen impose aux consommateurs plus d’inconvénients que d’avantages.

Voiture branchée à une prise électrique
Les câbles de recharge, une contrainte supplémentaire pour l’automobiliste en voiture électrique. Noya Fields/Flickr, CC BY

Les voitures sont ce que j’ai appelé dans une communication récente un ensemble NGP. Cela signifie que les consommateurs les achètent pour satisfaire leurs besoins (N : needs) – se déplacer –, atteindre leurs objectifs (G : goals) – acquérir de la liberté –, et se conformer à leurs préférences (P : preferences) – absence de tracas lorsqu’il s’agit d’avoir accès à une source d’énergie. Chaque élément, N/G/P, est un facteur clé de la décision d’achat et tout ce qui met en péril ce fragile équilibre crée de l’anxiété chez le consommateur. Étant donné les caractéristiques actuelles (et probablement futures) de l’offre et de l’infrastructure des VE, chaque élément N/G/P est compromis : l’acheteur se rend extrêmement vulnérable aux événements inattendus tels que les comportements délinquants, les conditions météorologiques, les stations de recharge et éventuellement les heures d’attente liées au service technique en cas de problème.

Tout ce qui précède va à l’encontre d’une saine démarche marketing : c’est probablement la raison pour laquelle l’UE doit passer par la contrainte pour favoriser l’adoption du VE. Commercialiser des produits présentant de tels inconvénients représente un défi gigantesque ; cela revient à présenter la térébenthine comme une nouvelle boisson énergisante pour les jeunes enfants souffrant de troubles de l’attention…

Une compréhension douteuse du consommateur

Le concept qu’implique le VE pourrait en outre créer plusieurs problèmes sociaux. Lorsque les consommateurs en auront assez de faire la queue pour accéder à une station de recharge, ils pourraient s’énerver. Les habitants d’immeubles pourraient également se quereller au sujet de l’installation des câbles de raccordement aux bornes de recharge (emplacement, prix, impact sur l’immeuble, coûts et conséquences de l’installation, etc.). Les bornes deviendront un instrument de pouvoir entre les propriétaires en conflit, si et seulement si l’espace est suffisant pour les accueillir sur le terrain.

À l’approche de 2035, les consommateurs devraient donc chercher à entretenir leurs véhicules thermiques du mieux qu’ils pourront, simplement pour conserver la liberté dont ils jouissent depuis tant d’années. Un marché noir des batteries, des bornes de recharge et des câbles (y compris ceux volés), mais aussi des véhicules thermiques, pourrait en outre se développer.

Les acheteurs de VE et la population dans son ensemble pourraient donc se rendre compte que les politiques publiques n’ont pas apporté grand-chose. Les consommateurs risquent de se sentir lésés par la décision de l’UE qui reflète une compréhension du comportement des consommateurs à remettre en question. La Chine, qui dispose de réserves de minerais rares indispensables à la fabrication des batteries et de droits d’accès à diverses mines en Afrique, apparaîtrait alors comme la grande gagnante de cette ambition européenne.

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