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L’Alsace divise le Grand Est

Drapeau administratif adopté par le conseil régional en 2003 mêlant celui du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Ses couleurs sont celles des comtes de Werd, rouge et blanc auxquelles il ajoute 6 couronnes jaunes qui symbolisent les aspirations de la dynastie des Habsbourg originaire d'Alsace. AFP

En 2015, la réforme des régions est venue bouleverser la carte de France. Parmi cette nouvelle donne territoriale, l’Alsace, la Champagne-Ardenne et la Lorraine ont été amenées à fusionner pour former le Grand Est.

La semaine dernière, le premier ministre a annoncé la création d’une « collectivité européenne d’Alsace » pour 2021 issue de la fusion entre les départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin.

Cette nouvelle Alsace constituerait une collectivité au statut très particulier, qui pourrait bouleverser l’unité régionale.

Une précédente tentative de fusion

En 2013, les Alsaciens avaient rejeté par référendum la création d’une collectivité unique censée rassembler le conseil régional d’Alsace, le conseil général du Haut-Rhin et le conseil général du Bas-Rhin. Cette expérience avortée s’inscrivait dans la volonté du précédent gouvernement de supprimer une strate entre régions et départements, comme l’avait proposé le comité Balladur de 2009. L’objectif était de mieux coordonner l’action des collectivités et d’éviter les doublons. Par exemple : le conseil départemental gère les collèges et le conseil régional les lycées, alors que de nombreux établissements sont à la fois collèges et lycées, et ont ainsi deux interlocuteurs au lieu d’un.

L’échec du référendum alsacien dissuadera François Hollande de poursuivre la réforme de son prédécesseur, et l’incitera plutôt à transformer la carte des régions.

L’impasse des grandes régions

« Depuis 1964 la France était divisée en 22 régions métropolitaines dont la taille variait de 800 000 habitants dans le Limousin à 12 millions en Ile-de-France. Elles surplombaient un millefeuille territorial assorti d’un enchevêtrement inextricable de compétences et de responsabilités. Il était temps de passer à l’acte et de simplifier cet édifice. » (François Hollande, dans « Les leçons du pouvoir »)

L’expression « il était temps » résume à elle seule l’impatience du Président Hollande à rationaliser la carte administrative, tandis que l’opposition dénonce « une réforme élaborée sur un coin de table ».

Carte des igamies en 1948. Wikipédia

Pourtant, la fusion des régions était déjà évoquée dans le rapport du comité Balladur, et la région Grand Est a repris le découpage administratif de l’igamie de Metz en 1948, une circonscription prévue pour coordonner l’action de la région militaire et des préfets de départements.

L’inconvénient de la réforme fut de préserver le millefeuille territorial en confortant les départements sur la sellette depuis la loi du 16 décembre 2010.

Ce nouveau cadre des grandes régions pose des limites à toute nouvelle réforme : les départements peuvent certes fusionner entre eux, mais plus avec les conseils régionaux. Par ailleurs, la fusion des régions n’a pas permis de réaliser les économies souhaitées.

Carte du redécoupage des régions de France en 2015. AFP

Les régions non fusionnées se montrent même plus vertueuses. Le Grand Est n’échappe pas à cette règle avec une augmentation de 15 % de ses dépenses réelles de fonctionnement.

Un mariage forcé

Il existe entre l’Alsace et ses nouveaux partenaires d’importantes disparités économiques : en 2015, l’Alsace était en revenus déclarés la deuxième région la plus riche de France derrière l’Ile-de-France, tandis que la Champagne-Ardenne et la Lorraine se classent respectivement 12e et 14e.

Le magazine de la région Grand Est. Grand Est Magazine

Récemment, le journal de la région Grand Est a d’ailleurs titré : « Vaut-il mieux être alsacien ? ».

Pour faire accepter la fusion, Strasbourg devient chef-lieu de la nouvelle région, et un Alsacien, Philippe Richert, est choisi pour la présider.

Après deux ans de turbulences administratives, le président Richert démissionne, accusé de ne pas suffisamment défendre les intérêts alsaciens au sein du conseil régional, le maire de Mulhouse, Jean Rottner lui succède.

Depuis, les spéculations se poursuivent sur l’avenir de la Grande Région. La disparition administrative de l’Alsace a provoqué un profond malaise identitaire. En février dernier, l’Ifop publiait un sondage local estimant que 83 % des administrés souhaitent voir leur ancienne région retrouver un statut de collectivité territoriale. Enfin, l’été dernier, un rapport du préfet Jean‑Luc Marx venait relancer le projet de fusion entre les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.

La Renaissance programmée de l’Alsace

Si toute sortie ou fragmentation des compétences du Grand Est est pour le moment exclue, le nouveau statut de l’Alsace reste bien ambigu, et fragilise l’avenir de la grande région.

Un super département dans le Grand Est

Le Président Macron a affirmé que l’Alsace serait dotée des compétences d’un département au sein du Grand Est. Toutefois, la dénomination « collectivité européenne d’Alsace » prête à confusion. Enfin, l’État accepte de transférer à l’Alsace certaines de ses propres compétences qui rendront ce « super-département » encore plus original. Les missions évoquées seraient les coopérations transfrontalières avec l’Allemagne et la Suisse, le renforcement du bilinguisme, la politique touristique, la gestion du réseau des routes nationales et de l’autoroute A 35.

Ce transfert de compétences pourrait aussi être une manière pour l’État de se désengager tout en flattant l’ego des Alsaciens. En effet, l’entretien des routes est une prérogative coûteuse, quant à l’A35 aussi appelée « autoroute des cigognes », elle est accessible gratuitement car non concédée à des partenaires privés. Elle est également inachevée : il manque le tronçon entre Houssen et Guémar actuellement à l’étude. Des investissements coûteux en perspective…

Après le fiasco de 2013, le gouvernement ne devrait plus recourir cette fois-ci au référendum, optant plutôt pour la procédure législative, qui nécessitera auparavant une délibération identique dans les deux conseils départementaux.

Vers une région à deux vitesses ?

Cette décentralisation au cas par cas pose un problème d’égalité des territoires. Au sein du Grand Est, les élus du « Sillon Lorrain » ont publié, en septembre dernier, un « manifeste pour un édifice régional équilibré », estimant qu’« un éventuel transfert de compétences de l’État et de la région à un département d’Alsace serait de nature à remettre en cause la légitimité même de la collectivité régionale. »

De plus, les problématiques de tourisme, des axes routiers, et de coopérations transfrontalières ne concernent pas seulement l’Alsace. D’autant plus que la Lorraine, et a présent le Grand Est, coopèrent déjà dans la gestion des fonds européens avec le Luxembourg, La Sarre, la Rhénanie-Palatinat, la Wallonie et Bruxelles, au sein d’une « grande région » européenne.

Pour André Rossinot, président de la métropole du Grand Nancy :

Leur désir d’Alsace, c’est du réchauffé. […] Moi, je milite pour un désir de Lorraine, et je demande un effort pour la Lorraine et le Sillon lorrain.

Une décentralisation anarchique

Le président du Conseil Départemental de Meurthe-et-Moselle, Mathieu Klein, a d’ailleurs proposé la fusion de la Meurthe-et-Moselle et de la Moselle dans une nouvelle Lorraine. L’objectif est à la fois de contrebalancer l’influence du « super département » alsacien et d’obtenir les mêmes compétences que ses homologues alsaciens.

Pour Roger Cayzelle, président de l’Institut de la Grande Région : « Donner satisfaction aux Alsaciens déséquilibrerait la Région à leur profit ». Sur son blog, il dénonce un Grand Est en miettes.

Carte des pays sous l’Ancien Régime en 1789. Wikipédia

En une décennie, on voit se multiplier des statuts particuliers de collectivités territoriales : Mayotte en 2011, la Guyane et la Martinique en 2014, la Métropole de Lyon en 2015, la Corse en 2018, et bientôt l’Alsace en 2021.

Ces statuts particuliers remettent en cause la conception égalitaire des territoires, héritée de la Révolution. Le sens actuel des réformes territoriales introduit un droit à la différentiation. L’objectif vise, d’une part, à accorder un droit à l’adaptation, en dérogeant aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent leurs compétences. D’autre part, il s’agit d’accorder la possibilité à certaines collectivités de même niveau d’exercer des compétences différentes des autres.

Nous assistons actuellement à ce que le professeur Hélène Pauliat appelait « une recomposition pragmatique au cas par cas mais sans véritable projet global stratégique et sans véritable vu d’ensemble ».

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