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L'avant-première du film Les Vétos, à l'UGC Ciné Cité de Ludres. Charly atelier photographique. , Author provided (no reuse)

Le cinéma selon… Clovis Cornillac et Julie Manoukian

« Le cinéma selon… » consacre ses lignes à une série d’entretiens menés auprès de réalisateurs français à la sortie de leur long-métrage en salle. Avec passion, humilité ou humour, ils livrent leurs perceptions du 7e art et leur conception du métier. Confidences, réflexions, introspections, bienvenue dans l’intimité de ces faiseurs d’images.


Derrière la caméra, une réalisatrice qui vient de mettre en scène son premier long-métrage. Devant, un acteur-réalisateur aguerri qui interprète un vétérinaire passionné par son métier. Et c’est de vocation dont il est question dans cette rencontre avec Julie Manoukian et Clovis Cornillac puisqu’à l’occasion de la sortie du film Les Vétos, les deux artistes confient leur vision du septième Art et leur désir de cinéma. Regards croisés sur des discours empreints de passion !

Le cinéma, une histoire d’amour absolue

Clovis Cornillac : Pourquoi je fais du cinéma aujourd’hui ? Ou pourquoi je continue à en faire ? il y a une chose, qui a mon avis, est absolument évidente, c’est la passion. C’est comparable à une histoire d’amour. Ce qui est sûr, c’est que faire ce métier pour être connu ou reconnu, c’est une erreur. C’est sujet à déception. Si c’est pour « faire de l’argent », c’est une erreur. C’est sujet à déception. Si ce n’est pas né profondément de quelque chose qui t’anime… Après plus de trente ans à faire l’acteur, j’ai découvert le métier de la réalisation. Et en fait, j’ai rencontré une nouvelle femme ! C’est une histoire d’amour absolue.

Clovis Cornillac. Charly, Atelier photographique

Un instant « t »

Julie Manoukian : Oui, c’est vrai qu’il y a un quelque chose de l’ordre du coup de foudre. C’est un métier que je rêvais de faire depuis toute petite, réaliser des films. Avant même de savoir que ça s’appelait comme ça, faire des images et raconter des histoires avec des images. Pour moi, le moment décisif est lié à un film de Spielberg qui s’appelle Hook ; pas le plus connu et peut-être pas le meilleur. Mais c’était la première fois que j’allais au cinéma et que je comprenais que les décors étaient faux. C’est ce que Spielberg cherche, que les décors sortent de l’imagination des enfants perdus. Donc il y avait cet effet de carton-pâte qui était hyper visible, qui m’a un peu sorti de l’histoire mais en même temps j’ai compris que c’était fabriqué ; c’était la première fois que les quatre murs tombaient pour moi. Je me souviens vraiment être sortie du cinéma en me disant « OK, si c’est un métier, c’est ça que je veux faire ». La première fois que je suis arrivée sur un plateau, j’avais 21 ans, j’étais dans l’équipe régie sur un court-métrage, on tournait de nuit, et je me souviens que j’ai appelé ma mère à minuit pour lui dire « Je ne sais pas comment je vais faire mais c’est là ». C’était un truc physique qui ne s’explique pas du tout, complètement irrationnel. Et encore maintenant, voir les camions de locations sur un tournage, ça me met en transe.

Donner du sens

CC : C’est difficile de résumer parce que c’est quelque chose d’évolutif, qui au départ n’est pas forcément très conscient, pas forcément réfléchi. On trouve des justifications qui ne sont pas les bonnes. Moi par exemple, mon idée c’était d’être champion du monde de boxe et, en fait, c’était un détour de la scène. C’est des choses que l’on découvre bien après. […] Pour le pratiquer, il faut le faire à fond. Il faut travailler. Il y a beaucoup de gens qui pensent que ce sont des métiers pour lesquels il n’y a pas besoin de travailler. Ce côté, « mes idées sont formidables, je travaille « à l’instinct »… En réalité, c’est du travail. Et je pense que ça oblige à donner du sens à ce que l’on fabrique.

Comprendre les comédiens

JM : Parmi les défis à relever, il y a le fait de comprendre les gens et notamment les comédiens. Dans une conversation, il y en a dix en fait. Tu choisis ton équipe et ton comédien, et très vite après ça, tu commences à travailler. Donc tu n’as pas le temps… quand tu débutes en tout cas. Tu découvres des gens et, entre le temps qu’il faut pour comprendre comment quelqu’un fonctionne, ce qu’il y a derrière certains mots, certaines intonations… voilà, ce truc qu’il faut choper très vite pour arriver à communiquer vraiment et obtenir ce qu’on veut, et aussi rassurer quand il faut rassurer… Je me rends compte maintenant que c’est un sacré challenge et je comprends les réalisateurs qui ont envie de travailler avec les mêmes équipes quand ça se passe bien. Ils savent déjà comment parler à telle personne. On se parle, les choses sont dites et, en même temps, il y a des couches et des couches de sensibilité, d’interprétation. Moi naïvement, j’ai écrit un texte et j’ai l’impression qu’il n’y a qu’une façon de l’interpréter et évidemment non. Parce que je suis un peu obsédée par le langage, j’essaie d’avoir des mots précis et pourtant chacun pose ses émotions et sa vision dessus. Voilà, ce qui m’a marqué, c’est ce temps contracté dans lequel il faut apprendre, soit à être claire pour tout le monde, soit à comprendre plus subtilement celui qu’on a en face de soi.

Julie Manoukian. Charly, Atelier photographique

Être chef

CC : C’est très grégaire un tournage. S’il n’y a pas de chef, c’est le chaos. Si on ne sait pas pour qui on travaille, il y a un moment où ça ne marche pas. Et le paradoxe – je ne suis pas dans cette situation parce que je suis acteur et que j’ai eu la chance de faire beaucoup de films – c’est que le réalisateur, c’est-à-dire celui qui décide, est celui qui en sait le moins par rapport à l’équipe. On a tous fait plus de films que celui qui décide. C’est très paradoxal parce que le réalisateur dit « On fait comme ça » à des gens qui connaissent mieux que lui comment fonctionne un plateau. Mais il y a une chose qu’on ne doit jamais oublier. Je le dis toujours à mes équipes au début : « Si le film est réussi, c’est grâce à vous. Vous m’avez écouté et le film est réussi. Moi je ne sais pas tirer un câble, je ne sais pas faire le point, moi je ne sais pas… En revanche, si le film est raté, je serai seul parce que vous m’aurez écouté et, qu’il n’y a qu’une personne qui doit assumer cet échec, c’est moi. Donc écoutez-moi, vous ne risquez rien. La seule chose que vous risquez, c’est de réussir un film si vous tombez sur le bon cheval. On est ensemble, suivez-moi avec passion, avec amour ».

Se sentir artiste

CC : Ce qui m’a fasciné et ce qui me fascine dans la réalisation, c’est que tout m’intéresse. Tout ce qui est dans ton cadre, c’est tout ce que tu inventes, c’est-à-dire que c’est ton monde. Fabriquer son monde, c’est l’artiste, c’est le peintre, c’est le photographe. À partir du moment où tu choisis ton cadre, tu choisis ce qu’il y a dedans, tu es maître de tout. […] C’est l’endroit où moi je me sens artiste. C’est un truc que je trouve phénoménal. C’est merveilleux. Je n’ai rien touché dans ma vie de plus extraordinaire que ça.

Avant-première du film, UGC Ciné Cité Ludres. Charly, Atelier photographique

Cet entretien a été réalisé grâce au précieux concours de l’UGC Ciné Cité Ludres et Nancy. Photographies Charly, Atelier Photographique.

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