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Le mensonge politique au cœur de la campagne présidentielle de Donald Trump

Des membres de la Coalition for Humane Immigrant Rights (CHIRLA), le plus grand groupe de défense des droits des immigrés en Californie, brandissent des pancartes portant la mention « Menteur », en anglais et en espagnol, lors du discours du président Trump sur l'état de l'Union, le 5 février 2019, à Los Angeles, en Californie. Mario Tama/Getty Images North America/Getty Images via AFP

Le mensonge est aussi ancien que la politique. Jonathan Swift, dans son essai L’Art du mensonge politique, explique que « si un mensonge est cru pendant une heure, il a accompli son office ».

S’il n’a pas inventé le concept de post-vérité qui est souvent associé à son nom, l’actuel président américain aura, tout au long de son mandat, appliqué l’adage swiftien dans des proportions sans précédent.

Les mensonges de Trump

Jamais, probablement, un homme ou une femme politique n’a menti autant que Donald Trump : selon le Washington Post, il en était en août 2020 à 20 000 mensonges répertoriés depuis son élection, un phénomène en accélération constante : de 5 par jour en début de mandat il est passé à 23 par jour depuis 14 mois, un bond constaté après son acquittement par le Sénat lors de la procédure de destitution, avec une pointe à 62 dans la seule journée du 9 juillet, dont la moitié en une seule interview accordée à Sean Hannity, de Fox News. Il affectionne tout particulièrement certaines affirmations, spécialement : « la situation économique est la meilleure de l’Histoire » (une phrase qu’il continue de marteler malgré les conséquences du virus) et « le mur va être construit » (répété 261 fois alors qu’en fait seuls 3 miles sont des nouvelles constructions).

À ce critère quantitatif s’ajoutent plusieurs spécificités : Donald Trump ne s’excuse jamais, même lorsqu’il est pris en flagrant délit de mensonge avéré (ce qui se produit pratiquement chaque jour) et il ne paye aucun prix politique pour ses mensonges. Comme la poêle Tefal, il semble protégé par un revêtement protecteur.

Un autre élément caractéristique est la chambre d’écho qui existe entre, d’une part, le président, la chaîne Fox News et son journaliste vedette Sean Hannity et des conspirationnistes comme Alex Jones ou le mouvement QAnon. Le président – ou l’un de ses partisans – lance une affirmation fausse ou grossièrement exagérée (« Trump est en butte aux attaques constantes d’un État profond », « Obama a fait espionner la campagne Trump en 2016 », « il y a des émeutes terroristes à Seattle »…) ou outrancière (« les deux camps sont également responsables des événements de Charlottesville »,) et celle-ci est reprise en boucle par les membres de cette coalition partisane et sur les réseaux sociaux, tant et si bien qu’elle acquiert un statut de vérité incontestable au sein des groupes favorables à Trump.

Barack Obama avait en son temps fait les frais de ces méthodes : les birthers, avec à leur tête Donald Trump, ont martelé dès 2011 qu’il ne devrait pas être président car il n’était pas né aux États-Unis. Aujourd’hui encore, 40 % des Républicains restent convaincus qu’il est né au Kenya. Et cela, alors qu’il a rendu public et mis en ligne son acte de naissance précisant qu’il est né à Hawaï, qui est jusqu’à nouvel ordre l’un des 50 États américains…

Donald Trump emploie aujourd’hui des méthodes similaires pour s’en prendre à Kamala Harris, née en Californie mais de parents étrangers. Ces accusations infondées, doublées d’attaques que bon nombre d’observateurs jugent racistes et sexistes, vont-elles discréditer la colistière de Joe Biden ?

Le règne des infox et deepfakes

Aujourd’hui ne règne plus simplement le mensonge mais les infox, ou « fake news » (c’est-à-dire des « informations fausses souvent sensationnelles diffusées sous le couvert de reportage »). Toute l’ironie est que Donald Trump et ses soutiens n’hésitent pas à qualifier toute information qui ne leur convient pas de « fake news »… d’où la création de la notion de « faits alternatifs », selon la fameuse formule de sa conseillère Kellyanne Conway.

Il y a aussi les deepfakes, ces vidéos trafiquées généralement dans un but hostile et qui sont difficiles à détecter pour l’utilisateur lambda. L’un des canaux privilégiés de ces mensonges et infox est le fil Twitter de Donald Trump, suivi par près de 80 millions de fidèles qui, à leur tour, répercutent les attaques et « craintes » du président, par exemple sur les risques de fraude inhérents au vote par correspondance, alors que ceux-ci sont en réalité quasi inexistants.

Or une étude menée par le MIT fait apparaître que les fausses nouvelles sont diffusées plus vite, davantage et plus largement que les vraies et qu’elles ont 70 % de chances de plus d’être retweetées. L’étude montre aussi que l’amplification est autant le fait des bots que de la nature humaine et des individus enfermés dans leurs biais cognitifs et les bulles qui renforcent leurs préjugés existants. En d’autres termes, information et pédagogie doivent faire partie des remèdes à mettre en place.

La multiplication des mensonges et infox sur Twitter, Facebook et les autres réseaux sociaux pose deux questions : ceux-ci doivent-ils bannir les mensonges (y compris ceux du président des États-Unis) et certains types de discours comme les appels à la haine raciale, l’antisémitisme, l’homophobie ou le sexisme ? Le contrôle doit-il être volontaire ou imposé par la loi ? Dans le premier cas, ceci impliquerait une acceptation de ce rôle par les réseaux sociaux et la mise en place de cellules de vérification des faits, similaires à celle du Washington Post (Fact checker) qui emploie quatre personnes à plein temps. Bien que Twitter ait exclu certains utilisateurs et fermé leurs comptes, les réseaux sociaux sont réticents à intervenir, toujours prompts à invoquer le Premier amendement. Dans les deux cas, se pose la question de la liberté d’expression garantie par le Premier amendement, question réelle mais instrumentalisée.

Il faut en effet admettre que le débat est dominé par la vision libertarienne et idéalisée du cyberespace présenté comme une civilisation de l’esprit plus humaine et plus juste que le monde construit par les gouvernements. C’est la philosophie véhiculée par John Barlow, créateur de la Fondation de la frontière électronique (EFF) en 1990, qui n’hésite pas à invoquer Jefferson pour affirmer :

« Nous créons un monde dans lequel tout individu peut exprimer ses croyances et ses convictions, si singulières soient-elles, sans craindre d’être réduit au silence ou à la conformité. »

Malgré ces belles paroles, Internet n’est pas ce paradis sur terre, lieu de libre expression et d’égalité ; il a toujours été régi par des interdictions, des règles et des limites. C’est ce que soulignent Danielle Citron dans Freedom of Speech in the Digital Age (OUP, 2019) et Mary Ann Franks dans The Cult of the Constitution (Stanford University Press, 2019). Certaines règles sont fixées par le gouvernement et d’autres par les acteurs puissants que sont les réseaux sociaux, qui décident de leurs algorithmes et de leurs conditions d’utilisation. Pour les deux auteurs, ceux qui s’opposent aux règles le font en invoquant l’alibi commode du Premier amendement mais, en réalité, ils craignent simplement que les nouvelles règles leur soient moins favorables. Pourtant, les risques liés à une absence de régulation sont sérieux.

Les infox néfastes pour la démocratie.. et la santé

La multiplication des mensonges et des infox rend impossible le libre marché des idées – socle du système pluraliste des États-Unis – et, plus globalement, met en danger la démocratie, l’unité de la société et l’intégrité des élections car ces mensonges portent atteinte à la confiance dans les institutions et exacerbent les divisions sociales. En 2020, ils ont joué un rôle majeur dans la mort de plus de 180 000 individus à qui « on » a expliqué que le virus était un canular, une invention des Démocrates, avant de moquer les consignes de précaution et d’inciter au refus de port du masque. Parce que le modèle économique des réseaux sociaux repose sur la publicité, ceux-ci collectent le maximum d’informations sur chacun d’entre nous afin de déterminer ce qui va nous faire réagir et utilisent les algorithmes permettant d’amplifier les messages les plus outranciers, comme ceux des suprémacistes blancs ou les théories du complot. Et l’amplification fonctionne mieux si la nouvelle est fausse.

Une manifestante porte un masque facial proclamant « Trump ment, des gens meurent » lors d’un cortège funèbre symbolique organisé devant la Maison Blanche le 20 mai 2020 pour dénoncer la gestion de l’épidémie de Covid-19 par le président. Eric Baradat/AFP

Il importe donc de réguler les mensonges sur les réseaux sociaux… mais cela pose question. Sur le plan juridique, le Premier amendement interdit au gouvernement d’entraver ou de limiter la libre expression, mais les entreprises privées pourraient être régulées ou s’autoréguler. Certains ont recruté des « modérateurs » sous-payés et en nombre insuffisant, d’autres mis en place un début de fact checking, trois d’entre eux (Facebook, Twitter et YouTube) ont banni Alex Jones et plusieurs dizaines de milliers de personnes d’un groupe QAnon mais dans l’ensemble, les actes ont été rares, d’autant qu’il est toujours tentant, répétons-le, de s’abriter derrière le Premier amendement. De quel droit une personne privée pourrait-elle décider de priver de sa libre expression une autre personne privée ou le président des États-Unis ? C’est la porte ouverte à l’arbitraire.

C’est le sens des attaques de Donald Trump après que Twitter a osé vérifier un de ses tweets (mensonger) : il accuse les plates-formes d’être hostiles aux conservateurs et de discriminer. En l’occurrence, on pourrait considérer que c’est l’inverse car malgré les quelques mesures évoquées ci-dessus, elles ont tendance à ne pas censurer les théories du complot, dont le président s’est fait l’un des principaux propagateurs, et qui bénéficient davantage à son camp qu'à ses adversaires…

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