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Le « Penelopegate » à l'aune des stéréotypes de genre

Depuis le 24 janvier dernier, le « Penelopegate » agite l’actualité politique française. L’épouse du candidat des Républicains est soupçonnée d’avoir bénéficié d’un emploi fictif d’assistante parlementaire et de conseillère littéraire à la Revue des deux mondes.

Au-delà des débats portant sur l’éthique, la probité et l’exigence de transparence au sein de nos démocraties, l’affaire n’en est pas moins intéressante d’un point de vue sociologique et managérial. L’histoire peut en effet constituer une opportunité didactique pour mettre en lumière les rapports de genre qui continuent de régir et structurer nos sociétés et organisations. Cette affaire est imprégnée de stéréotypes de genre et attire l’attention sur la persistance des rôles sexués au sein de nombreuses de nos structures sociales.

Les stéréotypes de genre

Les stéréotypes de genre consistent en un ensemble de représentations, de croyances ou d’impressions attribuées à un individu selon son appartenance à un sexe. En entreprise, les stéréotypes de genre se manifestent par une représentation binaire des compétences professionnelles associées aux femmes et aux hommes. Ainsi, les qualités de leadership, d’autorité et du sens de l’action seront plus aisément attribuées aux hommes, et les qualités d’écoute, d’organisation et d’empathie seront plutôt attribuées aux femmes.

Les stéréotypes prennent appui sur un processus de catégorisation sociale. Ils sont un moyen utile de simplifier la complexité du monde qui nous entoure, pour mieux l’appréhender et le comprendre. Néanmoins, ils consistent souvent en des généralisations arbitraires qui gomment les différences individuelles entre les personnes appartenant à un même groupe, ce qui mène souvent à des interprétations erronées de la réalité et des discriminations.

Le syndrome de « l’homme leader et de la femme assistante »

Dans cette perspective, l’enquête menée en 2012 par Patrick Scharnitzky, docteur en psychologie sociale, est très instructive. Cette étude avait pour objectif d’identifier les stéréotypes des managers sur les femmes et les hommes au travail et mesurer l’impact des actions menées par les entreprises pour les déconstruire. Plus de 1 200 managers de neuf entreprises avaient alors été interrogés. Il en ressortait que l’homme était perçu comme un « leader », doué pour l’action et fort en charisme, alors que la femme était souvent évoquée en tant qu’« assistante », fonction support dotée d’empathie et d’un bon sens de l’organisation.

De manière consensuelle, les compétences masculines étaient reconnues comme privilégiant la rationalité, la force, l’autorité hiérarchique et statutaire. Les compétences féminines s’articulaient autour de qualités comme l’écoute, l’aisance relationnelle et l’organisation. Ces observations sont aujourd’hui confirmées par les dernières recherches en la matière, la masculinité reste la norme en leadership : les qualités attribuées à un leader continuent d’être définies à partir d’un stéréotype masculin incluant des traits de caractère tels que l’agressivité, la rationalité, l’esprit de compétition et de domination. Les représentations demeurent têtues et les évolutions lentes

Un renforcement des stéréotypes ?

Ainsi, le binôme Penelope et François Fillon pourrait s’inscrire dans cette configuration dichotomique. Elle, la « femme de l’ombre », assistante dévouée, femme discrète et peu volubile. Lui, le patriarche, l’homme charismatique et le père protecteur, accaparant le verbe, la défense de sa femme et le combat, comme l’illustrent ses propos le 26 janvier dernier, sur TF1 :

« Mon épouse est remarquable, elle est exceptionnelle, vous n’imaginez pas à quel point elle souffre qu’on puisse penser qu’elle n’a pas respecté les règles. Je l’aime, je la protégerai, et je dis à tous ceux qui voudront s’en prendre à elle qu’ils me trouveront en face. »

Une posture relativement éloignée d’une vision égalitaire, équilibrée et progressiste des relations femmes-hommes.

Leur duo fait aussi écho à d’autres travaux de recherche portant sur le coût de la réussite au sein des couples composés de hauts dirigeants. À cet égard, le poste d’Isabelle Barth « La face obscure de la réussite : 3 récits » vient illustrer parfaitement les dégâts collatéraux de la réussite des hommes haut placés pour l’entourage proche. Éduquée, diplômée (elle est avocate de formation), Penelope Fillon a beaucoup sacrifié pour se consacrer à ses enfants et soutenir les ambitions politiques et la carrière de son mari. Une vision stéréotypée de la répartition sexuée des rôles (la femme responsable de la sphère domestique, l’homme œuvrant dans la sphère publique) qui vient consolider un schéma d’organisation sociale conforme aux rôles traditionnels.

Ce qui est intéressant dans cette affaire, c’est bien l’analyse des rôles sexués des deux acteurs et la dimension psychologique de leur relation. Les ingrédients de la division sexuée du travail et de la valence différentielle des sexes étudiées par Françoise Héritier s’y retrouvent, montrant que les stéréotypes de genre sont tenaces et toujours prégnants dans nos organisations, qu’elles soient sociales, politiques ou managériales. Ce qui est en tous les cas certain dans ce scandale c’est qu’il intensifiera la distanciation et la méfiance croissantes des Français vis-à-vis de leurs dirigeants politiques.


_Pour plus d’informations sur le sujet**
« Le drôle de genre des stéréotypes » : une formation en ligne visant à sensibiliser sur les stéréotypes existant entre les femmes et les hommes à l’école, dans la vie quotidienne, dans les activités sportives et au travail.
« L’école du genre », un très intéressant web-documentaire.

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