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Une illustration surréaliste de deux têtes avec des portes et des escaliers et d'autres têtes à l'intérieur.
En comparant les rêves, on constate qu’ils se déroulent de manière très différente selon l’environnement socioculturel. (Shutterstock)

Le rêve pourrait constituer une stratégie de survie par la coopération

Vous est-il déjà arrivé de vous réveiller d’un songe chargé d’anxiété, de peur ou d’un sentiment de ne pas être préparé  ? On retrouve typiquement dans ce genre de rêves des éléments tels que perte de voix, chute de dents, ou encore, une situation où un être menaçant nous poursuit.

Je me suis toujours demandé si ces rêves étaient communs à toutes les cultures. Et si certaines caractéristiques des rêves sont universelles, pourraient-elles avoir amélioré les chances de survie de nos ancêtres dans le grand jeu de l’évolution  ?


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Mes recherches portent sur les caractéristiques distinctives qui font de notre espèce la plus performante sur Terre. J’ai exploré la question de l’unicité humaine en comparant l’Homo sapiens à divers animaux, dont les chimpanzés, les gorilles, les orangs-outans, les lémuriens, les loups et les chiens. Récemment, j’ai fait partie d’une équipe de chercheurs qui s’est consacrée à l’étude de petites sociétés de chasseurs-cueilleurs.

Nous voulions étudier comment le contenu et la fonction émotionnelle des rêves pouvaient varier selon le contexte culturel. En comparant les rêves des communautés de chasseurs-cueilleurs d’Afrique à ceux de populations occidentales, nous avons tenté de comprendre comment les facteurs culturels et environnementaux influencent les songes.

Recherche comparative sur les rêves

Dans le cadre de cette recherche, publiée dans Nature Scientific Reports, mes collègues et moi avons travaillé pendant plusieurs mois avec les Bayaka en République démocratique du Congo et les Hadza en Tanzanie pour consigner leurs rêves. Pour les Occidentaux, nous avons utilisé des récits détaillés de songes, recueillis de 2014 à 2022 en Suisse, en Belgique et au Canada, ainsi que des journaux de rêves.

Les Hadza de Tanzanie et les Bayaka du Congo permettent de combler une lacune importante dans la recherche sur les rêves, en raison de leur mode de vie devenu rare. Leur culture égalitaire, qui repose sur l’équité et la coopération, facilite la survie, la cohésion sociale et le bien-être. Ces communautés de chasseurs-cueilleurs dépendent essentiellement des relations de soutien et du partage des ressources.

Les maladies, les conflits entre différents groupes et les environnements physiques difficiles font en sorte que le taux de mortalité est plus élevé dans ces collectivités (sans le filet de sécurité sociale qu’on retrouve dans les sociétés post-industrielles occidentales) et que les relations interpersonnelles sont déterminantes pour leur survie d’une manière caractéristique aux sociétés de chasseurs-cueilleurs.

une photo en noir et blanc d’un groupe d’hommes assis
Les Hadza, une communauté indigène de Tanzanie, constituent l’une des dernières sociétés de chasseurs-cueilleurs. (Shutterstock)

Le rêve selon les cultures

En étudiant les rêves, nous avons commencé à entrevoir des thèmes récurrents et avons observé que les rêves diffèrent selon le milieu socioculturel. Nous avons utilisé un nouvel outil informatique pour répertorier le contenu des songes qui relie d’importantes constructions et théories psychosociales à des mots, des phrases et d’autres constructions linguistiques. Cela nous a apporté une compréhension du type de rêves que font les humains. Et nous avons pu établir une modélisation statistique afin de tester des hypothèses scientifiques sur la nature des rêves.

Les rêves des Bayaka et des Hadza sont riches en contenu communautaire, reflétant les liens sociaux forts dans ses sociétés. Le contraste est saisissant avec les thèmes prévalant dans les rêves des sociétés occidentales, où les émotions négatives et l’anxiété sont plus fréquentes.

Il est intéressant de noter que si les rêves des chasseurs-cueilleurs commençaient souvent par des menaces représentant les dangers réels auxquels ils sont confrontés au quotidien, ils se terminaient généralement par une résolution reposant sur du soutien social. Ce schéma donne à penser que les rêves pourraient jouer un rôle déterminant dans la régulation émotionnelle, en transformant les menaces en situations gérables et en réduisant l’anxiété.

Voici un exemple de rêve hadza chargé d’un contenu menaçant :

J’ai rêvé que j’étais tombé dans un puits qui se trouve près de la région de Hukumako du peuple Dtoga. J’étais avec deux autres personnes et l’un de mes amis m’a aidé à sortir du puits.

Remarquez que la résolution du défi posé par le rêve inclut une solution sociale. Comparons maintenant cette situation avec celle d’Européens ayant reçu un diagnostic de trouble cauchemardesque. Les trames de leurs rêves étaient plus effrayantes, la fin était souvent ouverte et la résolution moins positive. Nous avons constaté que leurs rêves avaient des niveaux plus élevés de contenu avec des émotions négatives par rapport aux sujets « normaux » des groupes contrôles. À l’inverse, les songes des Hadza comprenaient beaucoup moins d’émotions négatives. Voici le type de cauchemars rapportés :

Ma mère m’a téléphoné et m’a demandé de mettre le haut-parleur pour que ma sœur et ma cousine puissent entendre. En pleurant, elle nous a annoncé que mon petit frère était mort. Je criais de tristesse et pleurais de douleur.

J’étais avec mon petit ami, notre relation était parfaite et je me sentais complètement épanouie. Puis il a décidé de me quitter, ce qui a réveillé en moi un profond sentiment de désespoir et d’angoisse.

un homme dormant avec la bouche ouverte
Les rêves des Occidentaux ont tendance à refléter une grande anxiété. (Shutterstock)

Le rôle fonctionnel des rêves

Les rêves présentent une grande diversité. Et si l’une des clés du succès de l’humanité en tant qu’espèce résidait dans les rêves  ? Et s’il s’y produisait quelque chose qui avait amélioré les chances de survie et de reproduction de nos ancêtres du paléolithique  ?

Mon travail comparatif m’a permis de constater que, de tous les primates vivants, les humains sont ceux qui dorment le moins, mais qui ont le plus de sommeil paradoxal. Pourquoi le sommeil paradoxal — l’état le plus souvent associé aux rêves — a-t-il été aussi protégé alors que l’évolution réduisait nos heures de sommeil  ? Peut-être que quelque chose d’inhérent au rêve a-t-il joué un rôle protecteur pour notre espèce   ?


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Nos recherches confirment l’hypothèse selon laquelle les rêves ne sont pas de simples activations aléatoires d’un cerveau endormi, mais qu’ils pourraient jouer un rôle fonctionnel dans notre bien-être émotionnel et notre cognition sociale. Ils reflètent les défis et les valeurs de notre vie éveillée, offrant un aperçu de la manière dont nous traitons les émotions et les menaces. Dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs, les rêves se terminent souvent par des résolutions mettant en jeu un soutien social, ce qui laisse supposer qu’ils pourraient servir de mécanisme psychologique pour renforcer les liens sociaux et les valeurs de la communauté.

Pourquoi rêve-t-on  ?

Le but ultime du rêve constitue encore un sujet de recherche et de débat. Cependant, ses thèmes semblent renfermer des éléments universels qui laissent entrevoir une fonction essentielle à la survie.

Certaines théories suggèrent que le rêve agit comme une sorte de réalité virtuelle qui sert à simuler des situations menaçantes ou sociales, permettant aux rêveurs de se préparer à affronter les défis de la vie réelle.

Si c’est bel et bien le cas, il est possible que les rêves de nos ancêtres, qui parcouraient le monde à l’époque lointaine du paléolithique, aient joué un rôle déterminant dans l’évolution de la coopération qui a contribué à leur survie.

This article was originally published in English

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