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Le système financier est-il plus sécurisé qu’en 2008 ?

Le 24 septembre 2010, le logo de Lehman Brothers était mis en vente chez Christie’s, deux ans après la spectaculaire faillite de la banque. Ben Stansall / AFP

Le 15 septembre 2008, la banque d’investissement Lehman Brothers faisait faillite, victime de la crise des subprimes. Les échos de sa chute se sont répercutés partout sur la planète, ébranlant les places boursières. Dix ans plus tard, avec l’aide des États, la finance mondiale s’est ressaisie. Mais la régulation financière, plus exigeante, suffira-t-elle à prévenir de nouvelles crises ? Le système financier est-il vraiment plus stable qu’en 2008 ?

En étant objectif, le bilan est mitigé. Globalement la stabilité du système a été renforcée de façon incontestable et le cadre réglementaire auquel sont aujourd’hui soumises les banques est clairement plus contraignant, avec davantage de gardes-fous. Néanmoins il reste quelques sujets de fragilité qui me font dire qu’en cas d’incident majeur sur un établissement de grande taille, les protections qui ont été mises en place ne seront pas suffisantes pour éviter une nouvelle crise, potentiellement encore plus grave que celle dont nous sortons à peine.

Davantage de fonds propres et de liquidité

Revenons sur les progrès réalisés. L’étude des bilans des principales banques françaises et européennes montre que leur taille et leur structure n’a pas fondamentalement progressé, mais la quantité de fonds propres a pratiquement doublé sur la période. Autrement dit, leur capacité d’absorption de pertes a été multipliée par deux, car la principale mission des fonds propres dans une entreprise, c’est de permettre de résister aux pertes.

La faiblesse des fonds propres de certaines banques en 2008 a clairement été la cause de leur disparition et personne n’avait vraiment fait attention à leur faible niveau quoiqu’en disent certains experts. Les banques peuvent donc encaisser un choc deux fois plus important que par le passé. La réglementation, issue du Comité de Bâle et transposée en droit national, a donc eu l’effet recherché.

Dans un autre registre, celui de la liquidité, ce même cadre réglementaire a demandé aux banques de pouvoir résister à une crise de liquidité de 30 jours. Il y a dix ans, les plus imprudentes n’avaient que deux ou trois jours d’avance ! Cependant la question qui revient régulièrement est : est-ce suffisant ? Les acteurs concernés conviennent tous que oui.

Des stress tests exigeants

Pour s’assurer de la solidité des mesures adoptées, la Banque centrale européenne, nouveau superviseur commun aux grandes banques européennes, a introduit le système des stress tests, des scénarios de crise sur des données macroéconomiques impactant directement le bilan des banques. Réalisés régulièrement, ils évaluent la capacité de résistance de ces dernières face à des évènements impactant leurs fonds propres et leur liquidité. Les stress tests simulent un certain niveau de catastrophe ; pour établir un parallèle avec les risques climatiques, les digues financières ont été significativement relevées afin de pouvoir faire face à des cataclysmes plus violents que par le passé.

Par ailleurs, en tant qu’analystes et chercheurs, nous disposons de beaucoup plus de données sur l’exposition aux risques des banques, là encore sous l’effet de la réglementation. Les fonctions risques ont été renforcées, les conseils d’administration sont maintenant directement impliqués dans la définition et le contrôle de ceux-ci, ce qui a demandé un renforcement de leurs compétences. Les dirigeants exécutifs sont ainsi plus encadrés dans leur prise de décision si le dispositif de pilotage des risques fonctionne correctement.

Des mesures complémentaires ont été prises pour organiser la mise en faillite d’un établissement selon le mécanisme dit de « résolution », consistant à faire appel à des créanciers de la banque pour assister les actionnaires en cas de détresse extrême. Cette procédure, appelée bail in vise à éviter, ou du moins repousser, le moment d’intervention d’un État, appelé bail out, et donc des contribuables, pour sauver une banque et garantir les dépôts, comme cela s’était produit en 2008.

Des mesures peut-être insuffisantes

Et si ce n’était pas encore assez ? La question reste posée. Les tenants de cette théorie indiquent que les scénarios de stress retenus par le régulateur ne sont pas finalement si difficiles à supporter par les bilans. Certains font remarquer que malgré les efforts réalisés en matière de fonds propres, ceux-ci ne représentent pas plus de 5 % du bilan d’une banque là où une entreprise industrielle et commerciale la moins capitalisée se situe aux alentours de 20 %.

En outre, il n’existe pas d’études académiques incontestables indiquant le niveau optimal de fonds propres que devrait avoir une banque. La question est alors de savoir si l’on peut anticiper ce que pourrait être la prochaine catastrophe en Europe ou en Amérique du Nord, car, pour filer la métaphore climatique, les plus gros tsunamis ne peuvent venir que de là ! En 2007 ce sont les défauts sur les crédits (ou subprimes) qui furent à l’origine de la réaction en chaîne qui a ébranlé toute l’économie mondiale. Comme toujours dans les systèmes bancaires, c’est le non-remboursement des crédits qui provoque les crises les plus graves.


L’Europe, une zone à risque ?

Prenons deux exemples européens pouvant constituer une menace. Tout d’abord les crédits non performants (termes employés pour parler des créances douteuses) notamment sur les PME (Petites ou Moyennes Entreprises) et les TPE (Très Petites Entreprises ou micro-entreprises). L’autorité bancaire européenne les évalue à plus de 1000 milliards d’euros pour les banques de la zone euro et ils ne sont provisionnés qu’à hauteur de la moitié.

Ils plombent les bilans de nombreuses banques européennes et le pays le plus en danger de ce point de vue reste l’Italie. L’État a dû intervenir en 2017 pour sauver deux banques directement alors que l’on s’était juré de ne plus solliciter les contribuables ! L’engagement de plusieurs banques européennes sur les banques italiennes pourrait alors servir de courroie de transmission à l’ensemble de l’économie européenne d’un défaut d’une banque de ce pays et que l’état ne pourrait sauver.

Ensuite la dette souveraine des états de la zone euro : elle s’élève à presque 10 000 milliards d’euros soit 90 % environ du PIB européen. La BCE a joué un rôle majeur en achetant elle-même sa propre dette mais une partie non négligeable est détenue par les banques européennes. L’Italie, avec une dette de plus de 2 200 milliards (comme la France), qui représente pratiquement 135 % de son PIB, alimente ici encore les inquiétudes. D’autant plus que cette dette est considérée comme pratiquement sans risques et à ce titre n’est pas couverte par des fonds propres au sein des banques qui la détienne…

Une décennie après avoir frôlé le KO, le système financier s’est remis debout, non sans peine. L’avenir dira si les pieds de ce colosse sont restés d’argile.

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