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Homme d'affaire tatoué
La proportion de Français tatoués a presque doublé en 10 ans. Shutterstock

Le tatouage est de mieux en mieux accepté en entreprise – surtout s’il ne se voit pas

D’après la dernière grande enquête statistique disponible sur le sujet, plus de 18 % des Français étaient tatoués en 2018, contre 14 % en 2016 et 10 % en 2010. Le tatouage est même désormais autorisé pour le concours Miss France, c’est dire si la pratique est rentrée dans les mœurs ! Mais qu’en est-il en entreprise ?

Selon différentes études expérimentales menées principalement aux États-Unis, les personnes tatouées sont considérées comme plus rebelles (50 % en moyenne), moins attirantes (45 %), moins sexy (39 %), moins intelligentes (27 %), moins saines et moins spirituelles (25 %). Elles sont perçues comme plus extraverties, moins intelligentes et même moins honnêtes au travail. Il existe donc encore de puissants préjugés qui prédominent dans la plupart des emplois.

Evolution encourageante

Toutefois, nos récentes recherches montrent une évolution encourageante (article à paraître prochainement dans un numéro spécial de la RIPCO). Cette étude qualitative exploratoire a été menée auprès d’une vingtaine de candidats tatoués et de recruteurs tatoués et non tatoués dans des emplois de bureau ou de service entre 2021 et 2023. Les candidats tatoués avaient entre 1 et 30 tatouages, visibles ou non, avec des couleurs et des motifs variés : polynésiens, japonais, tribaux, des oiseaux, des références à la mythologie, au sport…

Selon nos répondants, d’une manière générale, le tatouage est socialement « accepté aujourd’hui » (un recruteur dans l’industrie) et perçu « comme n’importe quel style vestimentaire » (recruteur dans l’industrie). Mais il apparaît aussi très clairement que pour les recruteurs le tatouage n’est pas un problème dès lors qu’il n’est « pas visible » (recruteur dans les systèmes d’information, ou SI) et qu’« on peut le cacher » (recruteur dans l’industrie). Évidemment, on peut comprendre que certains tatouages, un signe menaçant comme une « tête de mort ou un serpent » (recruteur dans l’industrie), « une chaine, un poignard » (tatoué dans la banque) ne soient pas acceptés.

« C’est toujours un peu difficile »

Mais sans aller aussi loin dans les extrêmes, nos résultats montrent surtout que les stéréotypes sur les personnes tatouées demeurent au travail : une personne tatouée ne serait « pas sérieuse » (tatoué dans une banque), « extrémiste » (recruteur dans les SI), considérée comme « pas fiable, pas sérieuse, ni compétente, ni performante » et moins facilement recommandable à un client (recruteur tatoué dans les SI), une femme tatouée serait « peu féminine » (recruteur dans l’industrie). Le tatouage serait même le fait des « classes moyennes » (recruteur dans les SI).


Read more: Vous postulez dans une banque ? Enlevez vos piercings et cachez vos tatouages !


Ainsi, les discriminations à l’égard des personnes tatouées restent fortes, notamment dans certains secteurs d’activité plus conventionnels comme « l’audit » (tatoué dans l’audit) ou la « banque » (tatoué dans la banque). « Même si on a l’impression que c’est beaucoup plus accepté qu’avant, dans le milieu professionnel, c’est toujours un peu difficile » (tatoué dans la communication). Dès lors qu’il y a des interactions sociales, les tatouages semblent rédhibitoires : « J’ai du mal avec le tatouage apparent dans les professions qui accueillent du public » (tatoué dans la police).

Quand ChatGPT confirme les stéréotypes

Nous nous sommes d’ailleurs essayés, après notre étude, à demander à ChatGPT 4 de « créer une image réaliste d’un entretien de recrutement professionnel pour un emploi de bureau en France avec un ou une candidat·e ».

Fourni par l'auteur

Puis nous lui avons demandé de créer la même image avec le même prompt mais « avec un ou une candidat·e tatoué·e ».

Fourni par l'auteur

Le résultat est sans appel. Au-delà du fait que tous les candidats et recruteurs sont des hommes blancs (!), il va sans dire que l’on aura davantage tendance à recruter le candidat sans tatouage si l’on suit l’intelligence artificielle (IA), reflet de nos perceptions et donc de nos biais sur Internet.

La question de la visibilité du tatouage est donc centrale et pour faire simple, le tatouage n’est pas un problème au travail… tant qu’il ne se voit pas. On peut arguer, non sans raison, que le tatouage est un choix personnel et qu’il relève de l’intime. Mais le tatouage fait aussi partie de l’identité des personnes tatouées. « C’est dommage d’en arriver à se dire qu’il faut que je cache une partie de mon identité parce que derrière, il peut y avoir des conséquences » (recruteur tatoué dans l’industrie). Les personnes tatouées vivent alors une véritable dissonance cognitive et émotionnelle qui n’est pas sans conséquence sur leur satisfaction et leur engagement au travail.

Elles se posent régulièrement la question de savoir si elles peuvent montrer ou non leurs tatouages. Et si oui, à quel moment – avant ou après l’entretien d’embauche, avant ou après leur période d’essai – à quelles personnes, leurs amis au travail, leurs collègues, leur responsable, aux clients, aux usagers…

femme d’affaires tatouée
Le tatouage fait aussi partie de l’identité des personnes tatouées. Shutterstock

Cette dissonance apparaît en outre d’autant plus forte dans les entreprises qui abordent de fortes valeurs inclusives mais qui n’évoquent jamais la question du tatouage. « On n’a pas mal de sensibilisation sur la discrimination mais on n’a jamais évoqué le sujet du tatouage… On a parlé de toutes les communautés, les appartenances, la culture, le handicap mais jamais du tatouage » (recruteur tatoué dans l’industrie).

Les personnes tatouées ont dès lors beaucoup plus de difficultés à se sentir authentiques au travail, ce qui est de moindre conséquence quand elles arrivent à dissocier leur identité privée de leur identité professionnelle, mais peut aussi les empêcher d’être véritablement elles-mêmes et efficaces au travail.

Un sujet dont il faut parler

En conclusion, si le tatouage est désormais bien mieux accepté socialement, il reste encore un sujet très sensible dans le milieu professionnel et mériterait d’être davantage abordé en entreprise.

Côté candidat, si le tatouage est un élément fort de votre identité, on peut ainsi vous conseiller d’en parler dès l’étape du recrutement afin de rejoindre une entreprise où vous pourrez vous épanouir. À l’inverse, si vous considérez le tatouage comme un choix personnel, il est sans doute préférable d’en parler avec votre manager une fois recruté afin d’éviter toute forme de discrimination et mieux comprendre quand vous pouvez le dévoiler dans le contexte professionnel.

Côté recruteur, attention, toute discrimination liée à l’apparence physique reste interdite par la loi. Néanmoins, si vous voyez un tatouage chez un candidat et que vous ne savez pas comment réagir, parlez-en afin de lever vos biais et vos stéréotypes. Nous en avons tous nécessairement. Si l’apparence physique est un élément clé du poste, il est sans doute souhaitable d’évoquer directement la question du tatouage avec le candidat et voir si celui-ci ou celle-ci peut être en phase avec la culture d’entreprise.

Enfin, parce que lutter contre les discriminations est un travail qui s’inscrit dans la durée, nous menons actuellement une seconde étude sur le tatouage au travail en France. Si vous êtes tatoué·e et travaillez dans une entreprise en France, n’hésitez pas à répondre à notre questionnaire. Merci d’avance !

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