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Le vote enseignant pour Macron, un problème d’offre politique

Manifestation à Paris, en janvier 2016. Patrick Janicek/Flickr, CC BY

Dans leur bastion enseignant, les candidats se réclamant explicitement de la gauche sont à un niveau d’intentions de vote historiquement faible : 42 %, dont 25 % seulement pour le candidat socialiste, Benoît Hamon. Emmanuel Macron réalise une percée (29 %) qu’il est difficile d’identifier politiquement (centre gauche, centre droit, autre ?).

Plutôt que d’en déduire une droitisation, nous assistons à un scénario de dissonance, comparable à celui de 2007, lorsque 9 % des enseignants, se classant eux-mêmes à gauche, avaient voté pour François Bayrou. Une partie de la « gauche désabusée », qui domine le milieu, est prête à un vote paradoxal pour faire entendre son bilan du quinquennat.

Un électorat bien ancré dans les valeurs de gauche

Le rapport des enseignants à la cité se caractérise par le triptyque sursyndicalisation-surconflictualité-politisation à gauche. Les enseignants sont, bien sûr, impactés par le mouvement de fond de désaffection envers l’action politique, mais en conservant une orientation plus « progressiste ».

Un enseignant fait en moyenne 4,5 fois plus grève que le salarié d’une entreprise. Au niveau du pays, les enseignants représentent à eux seuls le quart des jours de grève en 2013. Le taux de syndicalisation est de 29 % (dont plus de la moitié pour la seule FSU), à comparer avec les 11 % de l’ensemble des salariés.

Les enseignants marqués à droite ou au centre droit constituent une minorité silencieuse, ils vivent dans un univers normé par l’action syndicale. La force d’entraînement des syndiqués est incomparable, car ils se situent au cœur de l’identité enseignante. D’autant que les enseignants qui s’intéressent le plus à la politique sont également les plus marqués à gauche.

Quand on demande aux enseignants de se classer eux-mêmes sur l’axe gauche-droite, ils sont aujourd’hui 63 % à choisir la gauche. L’écart est d’environ 20 points avec le reste de la population. C’était déjà le cas en 1978 ! Sur le long terme, on ne constate donc aucune tendance au recul de la gauche, mais de simples oscillations conjoncturelles.

Autre indicateur : les jeunes professeurs des écoles, malgré l’élévation de leur origine sociale, affichent toujours des valeurs de gauche.

Une vision positive de valeurs clivantes. Observatoire SNUipp-FSU, Author provided

L’idée de révolution induit une rupture radicale avec le système économique et social, elle est associée à l’imaginaire de gauche. Sa popularité chez les enseignants est significative, d’autant que l’altermondialisation est majoritaire. Du côté des valeurs de droite, le capitalisme est autant impopulaire que sa valeur centrale, le profit. Ces valeurs sont nettement minoritaires, de manière durable.

En revanche, sur le plan électoral, si la gauche est toujours majoritaire, le vote enseignant se révèle assez volatil, au bénéfice épisodique du centre. En 2015, les listes de gauche aux élections régionales avaient encore obtenu 62 % des voix enseignantes. L’abstention suffit-elle à expliquer, comme on le voit sur le graphique ci-dessous, une chute de 20 points en deux ans ?

Intentions de vote des enseignants au premier tour des élections présidentielles. Author provided

De la difficulté d’interpréter le phénomène Macron

L’écart entre le positionnement à gauche et les actuelles intentions de vote révèle un phénomène de dissonance, caractéristique d’une période de grande fluidité des comportements électoraux. Le phénomène Emmanuel Macron a donc des antécédents historiques, principalement celui de François Bayrou en 2007. Leur argumentaire est comparable comme leur impact sur les enseignants. Le recul du clivage gauche-droite permet sous certaines conditions de soutenir un candidat du bord opposé au sien, tout en conservant son système de valeurs. Ainsi, François Bayrou avait mis l’école au cœur de son projet et valorisé les enseignants, alors que Ségolène Royal tenait des propos culpabilisants.

Aujourd’hui, le score très élevé chez les enseignants promis à Emmanuel Macron (29 %) diminue mécaniquement celui des candidats estampillés de gauche. Il faut donc comprendre ce que ses électeurs veulent exprimer. Exercice délicat. Soit on choisit d’insister sur le programme du candidat pour les classer au centre droit, et alors l’idée de droitisation s’impose.

Soit on remarque que chez les enseignants, le vote centriste n’est fort que lorsqu’il bénéficie de l’apport d’une sensibilité de centre gauche, voire de gauche. C’est le cas d’entre 40 à 60 % des électeurs potentiels d’Emmanuel Macron. Ce qui représente au moins 12 % des enseignants qui peuvent être additionnés à la gauche. Dans ce cas, le potentiel électoral de la gauche atteint environ 54 %, soit un score voisin de celui de 2002, après la déception provoquée par un autre pouvoir de gauche.

Finalement, pour affecter le score des candidats centristes à un camp, on dispose d’un juge de paix : le second tour, lorsque les électeurs sont sommés de trancher entre droite et gauche. Or en 2007, alors que les candidats de gauche n’avaient recueilli que 50 % des voix enseignantes au premier tour, Ségolène Royal a atteint 71 % des voix au second tour.

Modérés, mais pas libéraux

Pour l’instant, Emmanuel Macron profite du vote utile. Ce type de vote est d’autant plus fort qu’il découle de la possibilité qu’a le fonctionnaire d’État d’influencer les choix de son employeur par l’élection. Argument ultime du PS, il explique en bonne partie le relatif bon score de Ségolène Royal en 2007, 31 % et surtout celui des listes PS aux élections régionales de 2015 (43 % en pleine mobilisation contre la réforme du collège). Le vote utile peut, cette fois, inciter des enseignants ancrés à gauche à faire le choix tactique d’Emmanuel Macron pour contrer à la fois François Fillon et Marine Le Pen.

Toutefois, l’arithmétique politique est trompeuse, car elle implique des individus rationnels. Or se positionner au centre est rarement l’indice d’un fonds idéologique structuré, mais plutôt d’une indécision, d’un rapport à la politique indexé à la personnalité des candidats plus qu’aux partis. Le vote centriste touche des enseignants qui n’attachent plus d’importance au critère laïc, lequel creusait autrefois un fossé entre la gauche et la droite. Mais ils sont attachés aux acquis sociaux, au statut de la fonction publique, au rôle de l’État. Ils restent à distance du discours syndical dominant, sans le rejeter et en participant aux grandes actions collectives.

Bref, ils sont modérés, mais pas libéraux. Le positionnement d’Emmanuel Macron sera donc déterminant (statut des fonctionnaires, jour de carence, retraite, etc.). Sera-t-il identifié comme un banquier ou comme le porteur du renouvellement de la vie politique ?

Deux réformes phares du quinquennat menacées

Que l’on regarde les valeurs dominantes – l’auto-positionnement, la conflictualité ou le rapport au syndicalisme –, les enseignants constituent donc nettement un groupe social de gauche. Si la gauche est à la peine dans les intentions de vote enseignant, cela provient d’un problème d’offre plus que de demande.

Najat Vallaud-Belkacem, davantage populaire dans l’opinion que chez les enseignants. Stéphane De Sakutin/AFP

D’un côté, l’absence d’unité entre Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon bloque toute dynamique. De l’autre, de nombreux enseignants veulent exprimer à la fois leurs valeurs de gauche, leur pragmatisme et leur mécontentement envers le Parti socialiste. L’Éducation nationale représente l’un des rares domaines dans lequel le candidat du PS assume le bilan.

Or Emmanuel Macron propose désormais de retoucher les deux réformes phares qui avaient suscité de vives critiques (les rythmes scolaires pour le premier degré et le collège pour le second). Si Najat Vallaud-Belkacem conserve une solide cote de popularité auprès des Français, 77 % des enseignants sont mécontents de leur ministre. Son soutien à Benoît Hamon n’est pas sans risque pour le candidat.

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