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L’entraîneur, PDG de l’effectif, est-il vraiment important dans une équipe de foot ?

José Mourinho, entraineur de Chelsea en 2007. In Mou We Trust/Flickr, CC BY-NC

José Mourinho est-il le meilleur entraîneur du monde ? Ou a-t-il seulement profité d’être à la tête de grandes institutions, le Real Madrid, Chelsea ou l’Inter Milan, pour gagner des titres ? Idem pour Ancelotti, passé par le Milan AC, Chelsea, le PSG et le Real, que des clubs riches. Ou encore Guardiola qui, du Barça au Bayern, n’a connu que des équipes puissantes.

Sont-ils les meilleurs ? Comment mesure-t-on la force d’un coach ? Est-ce de lui que dépendent toutes les victoires ou ne fait-il que profiter de la force de l’institution ?

En d’autres termes, le club, grâce à ses structures économiques et son histoire, peut réussir seul quel que soit la personne à sa tête ou doit-il attendre des résultats grâce à son leader tactique ?

Ce que dit la théorie

La science économique a tenté de répondre à cette question en étudiant les interactions entre des patrons et les revenus de leurs entreprises. L’idée est de vérifier si ces dernières subiraient de plein fouet la perte du leader ou, au contraire, continueraient à vivre quel que soit le dirigeant.

Par exemple, le PSG de Laurent Blanc continuerait-il de gagner s’il venait à partir ? Ou tous les résultats ont été construits, en grande partie, par l’ancien international ?

Dans l’inconscient collectif, l’entraîneur est le PDG d’une équipe. Il est chargé de la direction du jeu, du choix des titulaires, de la tactique et de la gestion des ressources humaines.

De même, à chaque fois qu’un problème survient, il est le premier touché et est renvoyé manu militari, exactement comme un PDG. D’après Sue Bridgewater, de la Warwick Business School, la probabilité du licenciement d’un coach double à partir de quatre défaites d’affilée. Et la hausse se poursuit à chaque débâcle supplémentaire.

Les économistes Bennedsen, Pérez-Gonzalez et Wolfenzon, ont cherché à mesurer l’impact d’un patron sur son entreprise. Plutôt que d’étudier les effets directs du management sur les résultats, ils ont voulu constater ce qu’il pourrait se passer si l’entrepreneur venait à disparaître, à mourir.

La réponse est sans appel : sur 75 000 sociétés étudiées, entre 1970 et 2000, un peu plus de 1 000 PDG sont morts brutalement et ont laissé leurs salariés seuls. Tous les profits moyens ont alors diminué de 28 % sur les deux ans qui ont suivi la disparition. Les leaders comptent puisque leurs absences causent des dégâts inaltérables.

Pour Alan Thomas, de l’Université de Manchester, l’impact d’un chef d’entreprise, sur la direction, la gestion et le management des employés, peut influencer jusqu’à 75 % des résultats. De toutes les choses qui affectent une société à court terme, le leader semble être le facteur le plus significatif.

Appliqué au foot, cela reviendrait à dire que l’entraîneur, le patron de l’équipe, compte, exactement comme le PDG d’une entreprise. Mais comment le mesurer ?

ce que dit le football

Dans leur livre Soccernomics, le journaliste Simon Kuper et l’économiste Stefan Szymanski ont voulu répondre à cette problématique. Ils ont dégagé les différents facteurs explicatifs de la performance d’un club (le budget, l’entraîneur, le travail tactique, l’entraînement, la vidéo, la nutrition, la préparation physique, les infrastructures, etc.) et ont analysé leur corrélation sur le classement en championnat.

José Mourinho. In Mou We Trust/Flickr, CC BY-NC

En étudiant les clubs de Premier League entre 2000 et 2011, ils ont découvert que 89 % des résultats sont expliqués par le compte en banque des dirigeants. Pour gagner, peu importe le coach et les efforts entrepris à l’entraînement, ce qui compte c’est l’argent.

Les auteurs posent que « [les entraîneurs] apportent si peu de valeur ajouté qu’il est tentant de penser qu’ils pourraient être remplacés par leur secrétaire, par leur président ou par un ours en peluche, sans que le classement du club change ».

L’économiste Bastien Drut a tenté la même analyse en l’appliquant sur le championnat de France. Il en tire des conclusions similaires. De la saison 2004-2005 à la saison 2011-2012, le lien entre le budget et le classement final est de 73 % en Ligue 1.

D’après lui, « les clubs [qui] dépensent le plus en termes de salaire réalisent les meilleures performances sportives ». Peu importe le coach, peu importe le manager, c’est la quantité totale d’argent dépensée qui joue.

En est-on vraiment sûr ?

Oui, mais Arsène Wenger ? Arsenal serait-il devenu ce grand club sans le célèbre tacticien ? Auxerre aurait-il pu marquer l’histoire du foot français sans Guy Roux ? Guingamp, 19e budget de ligue 1, aurait-il pu se maintenir sans Jocelyn Gourvennec ?

On ne peut pas nier les nombreux exemples qui illustrent la performance d’un grand coach. Encore récemment, l’Argentin Marcelo Bielsa avait réussi, par des choix innovants et surprenants, à renforcer la compétitivité sportive de l’Olympique de Marseille.

À l’inverse, Manchester United, l’un des clubs les plus riches du monde, n’a plus rien gagné depuis le départ de Sir Alex Ferguson, en 2013.

L’entraîneur a un rôle à jouer, c’est indéniable. D’ailleurs, les recherches appliquées au monde de l’entreprise sont là pour le confirmer. C’est ce qui a incité les économistes David Sally et Chris Anderson, dans leur livre The Numbers Game, à reprendre les travaux de Kuper et Szymanski et à les démonter.

Pour eux, la méthodologie de Soccernomics est fausse puisqu’elle utilise des données moyennes sur dix ans. Autrement dit, les auteurs ont étudié la masse salariale et le classement moyen sur dix ans et non saison après saison. Drut, en Ligue 1, a appliqué la même méthode.

Pourtant, la durée de vie d’un entraîneur dans les championnats du « Big-5 » est de dix-sept mois en moyenne, pas dix ans !

Anderson et Sally ont donc recommencé les calculs, sur le même intervalle, de la saison 2001-2002 à la saison 2010-2011, mais ont analysé les données année après année.

Résultat, sur une seule saison, l’impact du salaire sur les performances n’est plus que de 59 %, contre 89 % chez Kuper et Szymanski.

Les entraîneurs retrouvent la lumière, ils prennent part à 41 % des performances. En tout cas, d’après l’étude d’Anderson et Sally.

Balle au centre

Reste à savoir qui a raison, le débat est toujours ouvert. Anderson et Sally affirment que l’entraîneur est important et mérite d’être respecté. Il n’est pas cet « ours en peluche » décrit par Kuper et Szymanski mais influence considérablement les performances de son équipe.

Si Ferguson n’avait pas, en 1986, signé à Manchester United mais était resté à Aberdeen, dans le nord de l’Écosse, les Red Devils seraient-ils devenus l’un des plus grands clubs d’Europe, auréolé de deux ligues des Champions et de 13 titres nationaux ?

Ours en peluche de Chelsea. Carol/Flickr, CC BY-NC-SA

Alan Thomas le répète, le leader participe à « au moins 75 % des résultats ». Même s’ils n’ont pas révolutionné la tactique ou l’entraînement, Mourinho, Ancelotti, Guardiola voire Blanc ont tous réussi à diriger des équipes de stars, à contrôler la concurrence et à éviter des tensions au sein du groupe.

Leur mérite est d’avoir décuplé les forces en présence, d’avoir su optimiser les performances et dégager une puissance sportive. Il est fort à parier que si « un ours en peluche » avait été à la tête de telles institutions, les résultats auraient été bien différents.

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