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Les chrétiens d’Inde, une minorité dans le viseur des ultranationalistes

Des soeurs de la congrégation de Mère Teresa à Calcutta. Helena Palomares/Flickr, CC BY-NC-SA

C’est ce dimanche que Mère Teresa sera canonisée à Rome, dix-neuf ans après sa mort, en 1997. La fondatrice des Missionnaires de la Charité (qui comptent aujourd’hui 4500 religieuses), Prix Nobel de la paix en 1979, reste associée à l’Inde et à la ville de Calcutta où elle s’installe en 1929. L’Inde lui accordera d’ailleurs en 1980 la plus haute distinction civile indienne, la Bharat Ratna, que seules 45 personnes ont reçu à ce jour.

Elle demeure aussi un personnage controversé, que ce soit durant son existence (au travers de ses paroles contre l’avortement ou des pratiques de sa congrégation) ou même après sa mort (avec des doutes sur un des miracles attribués pour sa canonisation).

Mais au-delà de ces débats, reste un point beaucoup plus intéressant que révèle cet événement : les relations que l’Inde entretient avec la communauté chrétienne.

La théorie de la « conspiration »

Mi-juin, le député Yogi Adityanath, élu du parti BJP (Parti du peuple indien, nationaliste) dans une des provinces de l’Uttar Pradesh (nord de l’Inde), a déclaré que Mère Teresa faisait partie d’une « conspiration pour la christianisation de l’Inde », basée sur des campagnes financées à l’étranger pour convertir certaines populations au christianisme.

Mère Teresa en 1995. Nations unies/Flickr, CC BY-NC-ND

Celle-ci aurait provoqué le développement des mouvements séparatistes dans le nord-est de l’Inde (dans des États comme l’Arunachal Pradesh, le Tripura, et le Nagaland). L’année dernière, c’était Mohan Bhagwat, le leader de l’organisation nationaliste RSS (Rashtriya Swayamsevak Sangh), dont le premier ministre Narendra Modi fait également partie, qui s’en était pris au symbole de Mère Teresa.

Que doit-on comprendre de ces allégations dans l’Inde actuelle ?

Tout d’abord, ces députés représentent le discours d’une faction ultranationaliste du paysage politique : le Sangh Parivar. Il désigne le regroupement d’associations (RSS et BJP compris) suivant « l’Hindutva », c’est-à-dire le fait de faire coïncider l’identité indienne à l’identité hindoue et que les minorités religieuses doivent se plier à cet état de fait dans l’espace public. Ce mouvement, principalement porté par les hautes castes et qui date d’avant l’Indépendance (1947), a pris de l’ampleur depuis le début des années 1990.

Le christianisme, un objet de ressentiment

Ces remarques sont symptomatiques des tensions présentes entre ces deux communautés. Représentant 2,3 % de la population, soit environ 28 millions de personnes, la troisième religion d’Inde reste une minorité ciblée par ces ultranationalistes hindous. Perçue comme une invasion, le christianisme, ainsi que l’islam, restent les principaux objets de leur ressentiment.

Pourtant, le christianisme est loin d’être apparu avec la colonisation puisque c’est Saint-Thomas qui aurait commencé à diffuser le message chrétien à partir des côtes du Kerala, dans le sud de l’Inde, à partir de 52 apr. J.-C. (des doutes subsistent sur cette version, mais c’est bien à partir du premier siècle que des communautés s’y sont regroupées). Le christianisme est inégalement réparti sur le territoire indien : les côtes sud – du Kerala au Tamil Nadu – ainsi que les régions les plus orientales de l’Inde regroupent les populations chrétiennes les plus importantes. Dans certaines régions, comme le Mizoram, le Manipur, le Meghalaya et le Nagaland, elles peuvent représenter plus de 50 % de la population.

Cette minorité, souvent très pauvre tout comme une majorité d’Indiens, n’a – entre autres – pas accès au système de Reservation, une politique de quotas pour l’accès à l’université ou à la fonction publique dont disposent de leur côté les hindous des castes les plus défavorisées.

La double peur des tenants de l’Hindutva

Ce discours extrémiste masque en fait une double peur de la part des promoteurs de l’Hindutva vis-à-vis des deux grandes minorités religieuses (chrétiens et musulmans). Tout d’abord, celle du prosélytisme. Au cours de l’histoire, les conversions ont plutôt touché les basses castes et les intouchables, exclus du système des castes, et les populations tribales qui n’avaient pas été hindouisées ou islamisées.

Certes, il est vrai qu’actuellement l’Inde reste un pays très privilégié pour l’évangélisation, plus du côté des pentecôtistes que des missions catholiques et anglicanes d’ailleurs. Toutefois, le phénomène est très ancien et la propagation ne s’est pas uniquement faite par des missionnaires étrangers, mais par les Indiens eux-mêmes, qui ont assuré une majorité des conversions.

La seconde peur, plus spécifique, est que le message du christianisme, n’étant pas basé sur la hiérarchisation des individus, continue d’attirer les basses castes. Peur bien surprenante au regard de la démographie car la part de la population se revendiquant chrétienne a plutôt tendance à baisser depuis les années 1970 qu’à s’accroître.

Le « retour à la maison » des brebis égarées

Depuis l’avènement de Modi (en mai 2014), les violences récurrentes contre la communauté chrétienne, dont la presse s’est fait l’écho, se déroulent un peu partout en Inde, et non plus seulement dans les zones les plus isolées (centre ou extrémité est de l’Inde). Plus inquiétant, elles se doublent d’un mouvement social et de décisions politiques créant un climat délétère.

Narendra Modi (en 2014), le premier ministre indien, champion d’une identité fondée sur l’hindouisme. Global Panorama/Flickr, CC BY-SA

Le « ghar wapsi » (ou « retour à la maison ») désigne une pratique de reconversion, notamment organisée par le RSS depuis de nombreuses années, pour ramener les brebis égarées des religions « importées » (islam et christianisme) dans le droit chemin de l’hindouisme. Cette pratique est en recrudescence depuis le retour du BJP au pouvoir en 2014, et est souvent teintée d’intimidations. Narendra Modi, sous pression, a déclaré en 2015 que le gouvernement ne tolérait pas la discrimination religieuse, mais ces pratiques perdurent.

En outre, depuis les années 2000, beaucoup d’États ont promulgué des lois anti-conversion, notamment le Gujarat, à cette époque dirigé par l’actuel premier ministre. Si le principe louable de ces lois est d’éviter les conversions forcées, elles prennent le risque d’être manipulées par des forces communalistes et de mener à d’autres types de dérives en fonction des forces politiques en place au sein de l’État. Et c’est bien ce dont il est question avec le BJP au pouvoir, où l’idéologie de l’Hindutva rencontre une oreille très attentive.

L’inquiétude de la communauté internationale

Par ailleurs, lors des premiers mois de son mandat, Narendra Modi a déclaré que le 25 décembre (date de l’anniversaire de l’Ancien Premier Ministre BJP Atal Bihari Vajpayee) serait déclaré « Journée de la bonne gouvernance » et que de ce fait, ce jour serait un jour travaillé. Cette mesure a été abandonnée suite à de fortes protestations au Parlement, mais est révélatrice de la vision du parti au pouvoir vis-à-vis des autres religions en général et du christianisme en particulier.

Enfin, la mise en application de la loi de la régulation des contributions financières visant les ONG a limité les fonds provenant de l’étranger et a provoquant à en faire fermer de nombreuses : plus de 10 000 en 2015. Si les ONG chrétiennes ne sont, bien entendu, pas directement visées par cette mesure, celle-ci a impacté leur financement et donc leurs actions possibles.

Ces problèmes révèlent la dérive extrémiste hindouiste du gouvernement Modi qui, même contraint par l’action politique nationale, laisse s’installer (voir encourage) des pratiques discriminatoires vis-à-vis des autres religions. Il convient en effet d’insister sur le fait que la communauté musulmane, qui représente 14 % de la population, est tout autant touchée par ce phénomène que la communauté chrétienne.

Cette proximité trop forte du Sangh Parivar pourrait lui coûter cher à terme, ce dernier n’ayant déjà plus une oreille aussi attentive de la part du patronat. Elle suscite aussi l’opposition ferme de nombre de partis minoritaires (mais composant la majorité au Parlement) et, enfin, l’inquiétude grandissante de la communauté internationale.

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