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Les conséquences économiques du tremblement de terre au Maroc

Un homme en pleurs dans les ruines d'un village
De nombreux survivants ont tout perdu, y compris les papiers nécessaires pour obtenir les indemnisations prévues par les assurances. Photo prise dans le village d'Imi N'Tala le 17 septembre, neuf jours après la catastrophe. Fethi Belaid/AFP

Dans la nuit du 8 au 9 septembre 2023, le Maroc a connu sa plus grande catastrophe naturelle de l’époque moderne, un séisme de magnitude 7 sur l’échelle Richter, d’un niveau supérieur au tremblement de terre d’Agadir de 1960. Toute la région du Haouz, la ville de Marrakech et l’arrière-pays montagneux ont été particulièrement affectés.

Dans l’état actuel des choses, le bilan humain s’élève à 3 000 morts et plus du double de blessés. 50 000 habitations auraient été détruites, certains villages étant complètement réduits en ruines. De nombreuses routes sont inutilisables. Une trentaine de monuments historiques – greniers villageois, ksours, mosquées – ont été détruits ou fortement endommagés. C’est le cas de la mosquée de Tinmel, à Talat N’Yaqoub, symbole de la dynastie des Almohades, qui était en restauration. C’est le cas aussi du grenier collectif du village d’Aït Ben Haddou, qui est à présent partiellement en ruine.

Les dégâts s’étendent sur un large territoire, constitué essentiellement de zones rurales pauvres. Ils sont estimés à l’heure actuelle à environ 10 milliards d’euros, soit 8 % du PIB du pays. Cela peut paraître considérable, mais il faut mettre ces chiffres en relation avec les transferts des Marocains de l’étranger, qui s’élèvent à une somme équivalente – 11 milliards en 2022.

Par ailleurs, le Maroc dispose de réserves de change d’un montant de 35 milliards d’euros. Les infrastructures essentielles, notamment l’aéroport et la gare de Marrakech, n’ont pas été impactés, et l’essentiel des activités industrielles, qui se situent dans des régions éloignées du séisme ont été épargnées. Grace à son développement, le Maroc est donc en mesure de faire face à ce séisme, d’autant qu’il s’accompagne d’une très forte solidarité publique et privée.

Quel impact pour le tourisme ?

Après la période de Covid, le Maroc a connu une nette augmentation des entrées touristiques, dans un mouvement de rattrapage de la situation antérieure à la pandémie. Au premier semestre 2023, ces entrées ont connu une augmentation spectaculaire de 92 %, ce qui était attendu après deux années particulièrement difficiles.

C’est d’autant plus important que la zone frappée dans la nuit du 8 au 9 septembre, à savoir la région du Haouz et la ville de Marrakech, est la plus touristique du pays. Si le tourisme représente 7 % du PIB marocain, ce ratio est largement supérieur dans la région de Marrakech, qui ne compte pas beaucoup d’industries et qui vit essentiellement grâce aux recettes issues du tourisme. Nombre d’habitants de l’arrière-pays et de l’Atlas vivent aussi de l’artisanat que génère le tourisme, notamment la confection de tapis, paniers et autres.

Il est cependant probable que le séisme n’ait pas d’impact majeur sur le tourisme. Même s’il retarde quelque peu le rattrapage en cours, les dégâts dans la ville de Marrakech sont minimes et ont principalement touché une partie de la médina. Les bâtiments historiques et, notamment, le minaret de la Koutoubia ont été épargnés.

Certains hôtels ou riads déplorent des fissures et doivent mener des expertises pour garantir la sécurité des bâtiments, mais très peu seront contraints de se lancer dans des travaux de consolidation d’envergure. Pour l’essentiel, la capacité d’accueil des infrastructures de Marrakech est préservée et la vie est normale dans la ville. De fait, le nombre d’annulations touristiques reste à ce jour très limité, même si le dernier trimestre 2023 sera moins bon que prévu.

Le difficile accès aux assurances

Dans l’arrière-pays, la situation est différente. Certains villages sont détruits et les infrastructures seront affectées pendant une longue période. Mais il s’agit de sites touristiques secondaires par leur fréquentation, même si les revenus générés sont substantiels pour les populations locales.

Cependant, un point mérite d’être souligné. Les conséquences pour les plus pauvres dans les zones rurales seront d’autant plus difficiles à supporter que les systèmes de couverture des risques sont pour l’instant assez peu adaptés à leurs situations. Il existe en effet un régime de couverture contre les conséquences d’évènements catastrophiques (EVCAT), qui vise à indemniser les victimes des dégâts corporels et/ou matériels résultant des catastrophes naturelles.

La loi 110-14 met en place un régime mixte d’indemnisation qui comporte un volet assurantiel et un volet allocataire. Ceux qui disposent d’un contrat d’assurance multirisque habitation, d’un contrat automobile ou d’assurance corporelle peuvent s’adresser à leur assurance. Mais encore faut-il que le contrat inclue effectivement la protection EVCAT. Or ce dispositif date de 2020 et, d’après le guide d’information de l’Autorité de Contrôle des Assurances et de la Prévoyance (ACAPS), « l’insertion de la garantie EVCAT concerne les contrats souscrits ou renouvelés depuis l’entrée en vigueur de ce régime ». EVCAT ne concerne donc qu’un nombre réduit de contrats. Par ailleurs, et c’est le point le plus essentiel, la plupart des victimes n’ont pas de contrat, notamment en milieu rural.

Pour ceux qui ne disposent pas de contrat d’assurance, il existe un fonds de solidarité contre les événements catastrophiques qui couvre les dommages corporels et la perte de résidence principale. Il est financé par une contribution sur les contrats d’assurance. Mais il faut un arrêté du chef du gouvernement, publié au Bulletin officiel dans un délai maximum de trois mois après la survenue de l’événement catastrophique, pour activer ce régime. Cet arrêté doit préciser la zone sinistrée, la date de l’événement, la durée de l’événement catastrophique.

En outre, l’activation du régime ne suffit pas. En effet, l’indemnité liée à un préjudice corporel est déterminée par l’incapacité ou le décès. La première doit être établie par un médecin exerçant dans le secteur public et le second par la fourniture de l’acte de décès. Tout cela suppose que les victimes puissent aisément s’adresser aux administrations concernées, ce qui n’est pas le cas des zones rurales. Le capital de référence qui sert de base au calcul de l’indemnité dépend du salaire ou des revenus de la victime. Ces revenus doivent naturellement être documentés par des justificatifs. Or la plupart des habitants dans les régions pauvres ne disposent pas de revenus et, s’ils en disposent, les documents sont probablement enfouis sous les décombres.

En ce qui concerne l’indemnité pour perte de résidence principale ou pour privation de jouissance, les choses sont aussi compliquées pour les plus pauvres. L’allocation pour privation de jouissance est fixée à six fois la valeur locative mensuelle, déterminée par un comité d’experts et encadrée par l’administration après avis de l’ACAPS. La demande d’indemnisation repose sur un rapport d’expertise rédigé par le comité d’expertise. Si le dossier est accepté, le fonds de solidarité notifie la proposition d’indemnisation au demandeur, par lettre recommandée avec accusé de réception ou par voie extrajudiciaire.

On mesure ici la difficulté des procédures pour les plus pauvres qui ne sont pas toujours en possibilité de comprendre et même de lire des documents administratifs dans des villages complètement détruits, qui peuvent aussi n’avoir ni domicile ni même d’adresse.

Une note d’espoir

On le voit : les dispositifs mis en place pour indemniser les victimes risquent de s’adresser en priorité aux populations urbaines, titulaires de contrats d’assurance pour des dégâts partiels sur leur habitation ou leur véhicule. Les plus pauvres en zone rurale, qui sont aussi les plus impactés, risquent donc de demeurer en dehors des dispositifs mis en place. C’est pourquoi il faut espérer que le Fonds spécial créé sur instruction royale pourra s’adresser vraiment aux plus pauvres, et que certaines organisations apporteront un accompagnement dans les démarches.

Finissons sur une note d’espoir. La crise peut avoir des effets positifs. En focalisant l’attention sur le patrimoine matériel très riche de la région et sur la situation précaire des populations, une reconstruction des infrastructures en milieu rural pourrait s’accompagner de nouvelles stratégies de tourisme durable, incluant des éléments culturels qui seraient de nature à diversifier l’offre touristique. Les conséquences dépendront finalement de la capacité du Maroc à transformer l’épreuve en opportunité.

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