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Les enjeux de l’élection régionale en Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine

La tête de liste des écologistes, Sandrine Bélier, avec Laurent Voulzy et Alain Souchon en renfort. Patrick Hertzog / AFP

L’élection régionale de l’Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine (ACAL) se déroule dans un contexte structurel de réinvention du territoire à la suite de la réforme territoriale sur les élections départementales, la fusion des régions et l’évolution des compétences des collectivités territoriales (loi NOTRe). Le contexte politique est à la nationalisation des enjeux, tempéré par quelques spécificités locales.

Un territoire frontalier mais hétérogène

Le territoire de l’ACAL a pour particularité - seule caractéristique commune ? - d’être composé de trois régions frontalières, avec la Belgique, le Luxembourg et l’Allemagne, mais aussi de dix départements qui peuvent constituer autant d’espaces d’identité propres. La fusion de l'Alsace, de la Lorraine et de la région Champagne-Ardenne a créé un vaste ensemble 57 400 km², et de 5,6 millions d'habitants.

Un des enjeux de cette élection régionale est de dépasser l’impression largement ressentie d’artificialité de ce découpage régional. La région comporte une métropole (Strasbourg) et une qui le sera probablement bientôt (Nancy). Cette région est cependant très hétérogène sur le plan économique, inégalement touchée par la crise, avec quelques zones industrielles en Lorraine et en Alsace, mais aussi une zone rurale et désertifiée en son centre: le « trou » de la Meuse, de la plaine des Vosges et du département des Ardennes.

Les forces politiques en présence

L’ACAL est la seule région de l'hexagone majoritairement à droite, au terme des élections départementales de 2015. Elle est caractérisée par une évolution électorale, qui - si l'on considère uniquement l’élection régionale - va de la droite homogène sur l’ensemble de la région (jusqu’aux élections de 2004) à un basculement à gauche, sauf en Alsace. Cette exception est durable puisque elle est la seule région de la France métropolitaine à droite depuis 2004, alors que la gauche a confirmé son ancrage régional en 2010, au moment où - au contraire - le FN faiblissait au niveau naitonal, tout en se maintenant dans les régions du Grand Est (21 sièges).

Plusieurs tendances lourdes se manifestent dans les territoires électoraux de l’ACAL, que l’on a pu observer depuis 1979, à l'occasion des élections européennes, des régionales et des départementales. La participation y est plus faible qu’en métropole (entre -1,4 et -2,3 points d’écart pour les européennes en 2014). La droite et le FN y sont surreprésentés partout dans la nouvelle région lors de ce même scrutin des européennes 2014, surtout en Alsace (+9,5), la Lorraine faisant exception.

L’extrême droite est toujours surreprésentée par rapport au reste de la France, notamment en Alsace, depuis 1986 (+6,2 à 11,5 points de surreprésentation suivant les scrutins), mais aussi aux élections européennes de 2014 dans l’ensemble des départements. Cette surreprésentation de la droite et de l’extrême droite, comme permanence électorale, devrait être confirmée, et accentuée lors du prochain scrutin.

Concernant les régionales de 2010, la gauche y est plus faible dans les «sous-régions» de l'ACAL que nationalement: entre -5,1 et -8,2 points par rapport au score en France métropolitaine. Quant aux écologistes, ils sont généralement moins bien représentés sur le plan électoral, excepté en Alsace.

Les enseignements des départementales 2015

Les dernières élections départementales de 2015 sont également riches d’enseignements sur les forces politiques en présence et leur évolution. Certes, en 2010 les élections régionales révélaient une très forte majorité en sièges au niveau de l’ensemble des régions de l’ACAL détenus par la gauche (89 contre 59 pour la droite, et 21 pour l’extrême droite). En revanche, lors des départementales de 2015, la gauche n’était majoritaire que dans un seul des 10 départements de la future région: la Meurthe-et-Moselle.

L’extrême droite obtient dans l’ensemble de la grande région 30,7 % - soit près de 5 points de plus qu’au niveau national. La droite connaît la même tendance (+5,4) avec 41,9% au premier tour, la gauche 24,1% - soit un écart par rapport au reste de la France de 12,4 points. Les scores les plus élevés de l’extrême droite ont été obtenus dans l’Aube, la Moselle, le Haut-Rhin, et plus généralement dans l’ancienne région Champagne-Ardennes. L’ancienne région la plus à droite était toujours l’Alsace, notamment le Bas-Rhin. Lors des départementales la gauche, exclue de nombreux duels, avait perdu entre les deux tours en moyenne 8,1 points, la droite en avait gagné 9,7, et le FN était aussi parvenu à renforcer ses gains de 1,8 point.

L’offre électorale : une diversification et un renouvellement relatif

Cette élection ne déroge pas à une tendance à la reconduction et au cumul des mandats, puisque pour 169 sièges à pourvoir, on compte 105 élus sortants - soit 6,2 % de l’ensemble des candidats de la région ACAL, qui sont au nombre de 1702. L’enjeu du renouvellement n’apparaît pas central, pas plus d’ailleurs que la féminisation des têtes de liste, qui ne concerne que Sandrine Bélier (EELV). En revanche, seules deux de ces têtes de liste sont des sortants.

La région ACAL est l’une des rares qui comptent moins de candidats que la simple addition des candidats en 2010 dans les régions qui ont fusionné (-18%). Les principaux candidats ont des implantations locales ou nationales. Ainsi, on compte deux présidents de conseillers généraux (Mathieu Klein en Meurthe-et-Moselle et Patrick Weiten en Moselle).

Neuf listes sont en compétition, soit un peu moins que la moyenne nationale (10,06%). Les principales listes en présence sont celles du PS-UDE, de l’ UMP-UDI, du FN. Dans cette région, l’unité de la gauche n’a pu se réaliser, d’où la présence d’une liste Front de gauche et d’une liste Europe-Ecologie - ce qui n’empêche pas la présence de communistes et d’écologistes « dissidents » dans la liste présentée par le PS. Notons qu’aucune tête de liste n’est issue de l’ancienne région Champagne-Ardennes, dont le président sortant divers gauche, Jean-Paul Bachy, après deux mandats de direction, ne souhaitait pas se représenter et avait exprimé des réserves sur le mode de découpage la nouvelle grande région.

Scrutin national ou local ?

L’un des enjeux de l’élection est de savoir si le scrutin sera local ou national. Scrutin de « second ordre», l’élection régionale, comme beaucoup de scrutins locaux intermédiaires, est caractérisée par un phénomène de nationalisation, et plus particulièrement de vote négatif contre l’exécutif national, selon la «  loi du balancier » : déclin de la droite (1973—1981, 1995—2012), déclin de la gauche (1982—1995 ; 2014—…)

De fait, la campagne s’est nationalisée au fil du temps, et plus récemment du fait des attentats du 13 novembre qui ont, dans un premier temps, entraîné une suspension de la campagne, puis occulté les enjeux locaux. Surtout, la dimension locale du scrutin est brouillée par la tête de liste Florian Philippot, numéro deux du FN, qui apparaît susceptible de conquérir la région.

Florian Philippot (au centre), le numéro deux du FN, susceptible de jouer les trouble-fête. Blandine Le Cain/Flickr, CC BY

Mais la configuration locale de l’offre politique a aussi contribué à en faire un enjeu national, bien que contrasté. Ainsi, Nadine Morano, figure nationale ayant évoqué en septembre 2015 sa possible candidature à la primaire de l’UMP, était tête de liste pour la section départementale de Meurthe-et-Moselle. Elle en sera exclue pour ces propos jugés racistes, qui furent l’occasion d’un autre enjeu de nationalisation, embarrassant pour Philippe Richert, (tête de liste UMP) qui avait exigé sa sanction.

Le président de l’ancienne région Alsace ramenait ainsi la campagne à une échelle territoriale, non sans ambiguïté, puisque ses concurrents socialistes pouvaient lui rappeler son positionnement local contradictoire de refus de la grande région après une rencontre cordiale avec Jean-Pierre Masseret (PS). La dimension locale de l‘enjeu se situe en effet en amont de la campagne autour du clivage pour ou contre la nouvelle région.

De ce point de vue, une partie importante de la population et des acteurs politiques de l’Alsace s’étaient prononcée contre la région ACAL, notamment à l’occasion d’une grande manifestation de protestation soutenue notamment par Philippe Richert, potentiel futur président de cette région. Jean Rottner, maire UMP de Mulhouse tête de liste du Haut-Rhin, a lancé une pétition (54000 signatures). L’Alsace était donc en tête de la contestation, particulièrement portée par le parti régionaliste Unser land qui a réussi constituer une liste dépassant le cadre alsacien, étant soutenue par le « parti lorrain » et le « parti mosellan » l’Alliance écologiste indépendante, et synthétisant la protestation anti-ACAL.

Néanmoins, ce régionalisme identitaire a un potentiel de représentation relativement faible si l’on considère que le parti Alsace d’abord, qui avait obtenu en 2004 9,4 %, n’a recueilli aucun siège (à cause du seuil de 10%)). Ainsi, les stratégies de campagne sont-elles variables : trois têtes de listes (Ph.Richert, J-P Masseret, S. Bélier) mènent une campagne relayée localement sur les compétences régionales. F. Philippot, éloigné du terrain, privilégie son audience médiatique parisiennne.

Les préoccupations régionales étaient néanmoins présentes si l'on en croit un sondage datant d’octobre 2015. 66% des personnes interrogées en région, contre 63% au niveau national, entendaient voter en fonction d’enjeux régionaux et 42% des électeurs potentiels entendaient se prononcer sur la base de critères économiques et sociaux. Le thème du développement économique et de l’aide aux entreprises est le premier sujet cité: à 48% contre 44% de l’ensemble des Français. L'évaluation du bilan des Conseils régionaux de gauche est très critique en Lorraine (36%) et en Champagne Ardenne (35%). Seul un peu plus d’un tiers des répondants sont satisfaits de l’action de la région. On peut l’interpréter localement mais aussi comme une projection locale d’un positionnement national.

La campagne a tourné à la question de la gestion de l’Alsace par la droite: « Livre noir de la gestion du conseil régional d’Alsace » en réponse au « livre noir » des 21 régions PS, piloté par Valérie Pécresse, mais aussi des erreurs de Jean-Pierr Masseret en Lorraine (référendum raté sur gare TGV de Vandières, projet avorté de construction d’un avion)…

Les perspectives du second tour

L’issue du second tour est un enjeu symbolique fort : l’Alsace, une des trois régions ayant fusionné dans l’ACAL, est la seule ayant résisté à la vague de gauche lors des élections de 2010. Elle pourrait être un laboratoire de la reconquête de la droite et de sa victoire sur le FN.

Cependant, si le Nord-Pas-de Calais et PACA sont les deux principales régions susceptibles d’être conquises par le Front national, l'ACAL pourrait l’être également. Depuis octobre, les sondages y annoncent la défaite de la gauche. Trois sondages envisageaient une courte victoire de Philippe Richert (LR) au second tour, un quatrième sondage perturbait cette tendance en accréditant l’hypothèse, au premier tour, d’une avance solide du Front national, qui devancerait de 6 points le candidat LR et de 14 points la liste PS (20 %). Dans cette hypothèse, si la gauche se retirait, la liste Richert l’emporterait. Un autre sondage confirme l’avance du FN de 6 points sur Philippe Richert au premier tour et de 9 points sur le PS. Plus intéressant, ce sondage évoque un « indice de participation » plus faible à gauche.

Si, jusqu’à présent, la question du désistement de la liste PS au second tour a été rejetée par la tête de liste socialiste Jean-Pierre Masseret, six semaines avant le premier tour, une logique de front républicain pourrait apparaître une solution, imposée par l’état-major parisien. En effet, le relatif isolement du PS, qui n’a même pas pu obtenir au niveau de l’ACAL le soutien traditionnel du PRG, parti rejoindre EELV, pourrait priver la gauche, comme dans la région Nord-Pas-de-Calais, de représentation. A moins qu’une improbable fusion des listes de droite et de gauche ne se réalise.

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