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Les Etats-Unis et l’ONU, des relations tumultueuses

Le président Obama au Conseil de sécurité, en septembre 2009. Maison Blanche / Wikimedia

Face à la situation dramatique qui prévaut en Syrie, l’ONU souffre d’une grave paralysie, qui l’empêche d’agir efficacement – paralysie dans laquelle les États-Unis, eux aussi, portent une part de responsabilité. Depuis longtemps, l’attitude de Washington envers le système de l’ONU a été très ambivalente. D'abord positifs – l’ONU est née notamment de la volonté du Président américain Roosevelt, et, dans les années 1945-1949, elle a suscité l’enthousiasme de beaucoup de citoyens et d’hommes politiques américains (comme le sénateur William Benton) –, les États-Unis sont vite devenus critiques. Ils oscillent depuis entre volonté de contrôle et désengagement.

Les États-Unis, champions du veto

Membre permanent du Conseil de sécurité, doté du droit de veto, l’Oncle Sam a toujours exercé une forte pression sur les décisions de l’ONU : les États-Unis ont ainsi utilisé plus de 80 fois leur veto, souvent pour protéger leur allié Israël contre des propositions de résolution touchant la question palestinienne. Ainsi, comme l’analyse Noam Chomsky dans un entretien récent, les États-Unis ont été « les champions du veto depuis des décennies. »

Ils ont aussi toujours été très réticents à adhérer aux conventions et autres recommandations émises par les Nations unies : ainsi Washington n’a pas ratifié la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989, car celle-ci prohibe la peine de mort pour les mineurs et leur emprisonnement à vie - lequel est pratiqué dans certains États américains. Les États-Unis n’ont pas non plus signé la Convention de l’Unesco sur la diversité culturelle de 2005. Pour eux, la culture est avant tout un objet de commerce, alors que dans la conception de l’Unesco, la culture est un bien public mondial, auquel tout le monde a droit et qui ne peut se réduire à être régi par les seules lois de l’argent.

Des positions tranchées à l'ONU

Dans les agences spécialisées de l’ONU, les États-Unis ont longtemps défendu des positions spécifiques, notamment pendant la Guerre froide – ce qui a fait de cette enceinte l'arène d'une véritable bataille idéologique mondiale. Ainsi, à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), pendant les années 1950-1960, les Etats-Unis promouvaient une action « verticale »: ils jugeaient que l’on pouvait faire progresser l’état de la santé dans le monde grâce aux progrès scientifiques et technologiques. De son côté, l'Union soviétique, leur grande rivale, prônait une approche « horizontale »: l’idée était alors de former surtout un personnel soignant et aide-soignant nombreux, à l’image des « médecins aux pieds-nus » chinois, et d’établir des systèmes de sécurité sociale égalitaires.

Le siège de l'Unesco à Paris. Jean-Pierre Dalbéra / Flickr, CC BY

A l’Unesco, les États-Unis, dans ces mêmes années, défendaient l’idée que cette organisation devait promouvoir la culture de masse par le biais du cinéma, de la radio, des moyens modernes de communication, leur permettant ainsi de diffuser et de vendre leurs produits culturels dans le monde entier. Pour sa part, la France défendait une vision de la culture plus intellectuelle, ainsi que l’idée que chacun dans le monde – riche ou pauvre – devait y a voir accès, qu’elle ne devait pas être uniquement un objet commercial.

Et à l’Organisation internationale du travail (OIT), les États-Unis ont toujours tenté de freiner l’action normative, c’est-à-dire la mise en place de normes internationales sur les conditions de travail, étant hostiles à une telle législation internationale qui entraverait – selon eux – la liberté. Ils ont promu à la place une action d’assistance technique par des missions d’experts et de l’aide opérationnelle.

Entre volonté de contrôle et désengagement

Selon un acteur de l’intérieur, le sociologue suisse Jean Ziegler, vice-président du Comité consultatif du Conseil des droits de l'homme, les États-Unis contrôlent tous les recrutements aux hauts postes aux Nations unies par le biais de la CIA. Cela aboutit à une « colonisation complète de la bureaucratie onusienne par les États-Unis », comme nous l’a assuré Jean Ziegler, confirmant les propos de son dernier livre, Chemins d’espérance (Seuil, 2016, p. 115-116). L'analyse du recrutement et des programmes de l'Unesco révèle aussi une forte influence américaine.

Les États-Unis ont en fait soutenu et utilisé l’ONU tant qu’ils en avaient le contrôle, notamment dans les premières années après sa création, puis l’ont critiquée avec virulence lorsqu’ils ont vu ce contrôle leur échapper. Ainsi, à partir des années 1960, lorsque la configuration géopolitique de l’ONU a changé avec l’adhésion de nombreux États africains issus de la décolonisation, les États-Unis ont commencé à qualifier l’ONU de «forum du tiers-mondisme et du communisme».

Ils se sont retirés de l’Unesco en 1984, suivis l’année suivante par le Royaume-Uni et Singapour. Ils ont également quitté l’Organisation internationale du travail (OIT) en 1977. Ces départs se sont accompagnés mécaniquement d’un retrait de leur contribution financière à ces organisations – ce qui a miné le budget et la capacité d’action de ces agences. En effet, les États-Unis financent à eux seuls environ 22% du budget total des Nations unies.

S’ils sont revenus dans l’OIT en 1980, puis à l’Unesco en 2002-2003, ils ont à nouveau suspendu le versement de leur contribution financière à ette institution à partir de 2012, pour protester contre l’admission de la Palestine comme État membre.

Donald Trump et l’ONU : un avenir incertain

Aux États-Unis, depuis l’élection de Donald Trump, on pressent que le prochain gouvernement américain sera hostile à l’ONU : le néo-conservateur John Bolton, qui a de fortes probabilités devenir le prochain Secrétaire d’État américain, a demandé l’abolition du Conseil des droits de l’homme de l’ONU ! Rappelons que John Bolton a été, sous la présidence de George W. Bush, ambassadeur des États-Unis à l’ONU en 2005-2006.

John Bolton, l'ancien ambassadeur américain à l'ONU. Gage Skidmore/Wikimedia, CC BY-SA

A ce poste, il s’est attaché à saboter le processus de rédaction, au sein de l’ONU, d’une déclaration définissant le projet de réforme de l’organisation, en vue du Sommet mondial de septembre 2005. Il a en effet exigé plus de 700 corrections au texte, réclamant par exemple la suppression de la mention « respect de la nature », celle de l’objectif de respecter le protocole de Kyoto et de lutter contre le changement climatique, de l’engagement pour les États membres de respecter les objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) ou encore de l’objectif de renoncer aux armes nucléaires.

Durant les deux présidences de George W. Bush, de 2001 à 2008, les États-Unis ont ainsi maintenu leur refus de ratifier le protocole de Kyoto sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre – ce qui a fait échouer ce traité. Ils n’ont cessé d’affaiblir l’ONU par leur manque de coopération.

Quelle sera l'attitude de Donald Trump face à l’ONU ? Il a nommé Nikki Haley, jeune gouverneure de Caroline du Sud, comme prochaine ambassadrice américaine auprès des Nations unies. Fille d’immigrants originaires d’Inde, elle est la première femme à être nommée dans l’administration Trump. Elle a peu d’expérience en politique internationale, mais est plus modérée que Trump sur les questions d’immigration. Ainsi elle n'a pas hésité à le critiquer sur son projet d’ériger un mur à la frontière mexicaine. Pourtant, Nikki Haley fait partie de la frange conservatrice du Tea Party – ce qui laisse présager des positions rétrogrades en matière d’aide au développement et d’aide aux réfugiés.

La crédibilité de l'ONU en jeu

Les propos émis par Donald Trump durant sa campagne présidentielle n’augurent rien de bon pour ses relations avec l’ONU. Il a, par exemple, déclaré à de nombreuses reprises « beaucoup aimer le waterboarding » (technique de torture qui s’apparente à une quasi-noyade), ajoutant que cette technique « n’est même pas suffisante ». Il s’est montré favorable au rétablissement de cette pratique cruelle, que Barack Obama avait fait interdire, et qui contrevient à la Convention de l’ONU contre la torture, à laquelle les États-Unis sont État partie.

Et qu’adviendra-t-il si le nouveau Président américain décidait de retirer les États-Unis de différents traités et conventions de l’ONU et de soustraire leur contribution financière à cette organisation ? Une telle décision pourrait provoquer un effet domino, d’autres États l'imitant. Cela entraînerait alors l’ONU dans une crise financière, ainsi que dans une crise de légitimité, la rendant encore plus impuissante à agir…

Certes, Donald Trump est récemment revenu sur certains de ses propos prononcés pendant sa campagne : ainsi, dans un entretien accordé récemment au New York Times, il a affirmé qu'il gardait l'esprit « ouvert » à propos de l'Accord de Paris sur le climat signé en 2016 lors de la COP21. Durant sa campagne, il avait annoncé vouloir annuler cet accord.

Pour faire sortir l’ONU de la crise et de la situation incertaine dans laquelle elle se trouve, il revient à cette organisation de parvenir à se réformer, et à ses États membres de lui conférer plus de pouvoir pour la rendre plus efficace et plus démocratique. Mais il appartient aussi aux citoyens américains de faire pression sur leur nouveau gouvernement pour le convaincre de continuer à participer aux instances onusiennes, de ne pas les court-circuiter. Il en va de la crédibilité de l’ONU, mais aussi de celle des États-Unis sur la scène internationale.

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