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Les protestantismes en Lorraine (XVIᵉ–XXIᵉ siècles) ou l’histoire d’une minorité confessionnelle

Le Temple Neuf à Metz. By Vassil/Wikimedia

L’histoire de l’espace lorrain du point de vue religieux et confessionnel est souvent perçue comme celle d’une « frontière de catholicité », pour reprendre le mot du célèbre historien Pierre Chaunu. Territoire passé très tôt dans le camp d’un catholicisme militant né au concile de Trente (1545-1563), le duché de Lorraine est en effet un État actif dans la défense de la religion établie et de la communion avec le pape. De ce fait, le protestantisme – ou plutôt les protestantismes, car les branches en sont diverses – est souvent apparu comme un élément étranger, exogène, apporté par des Allemands soit à l’époque du Saint-Empire, soit par les suites de l’annexion de 1871dans une partie de la Lorraine, devenue la Moselle dans ses limites actuelles.

Pourtant, une telle représentation, qui repose en grande partie sur une mémoire très contemporaine, fait fi des complexités géopolitiques et historiques de l’espace lorrain. C’est à la fois pour mieux fixer les contours des connaissances historiographiques et pour lancer de nouvelles perspectives de recherches qu’un colloque s’est déroulé àNancy du 2 au 4 novembre 2016, en vue de préparer un ouvrage de synthèse à l’automne 2017, dans le cadre des 500 ans de la diffusion du message luthérien, généralement datée (de façon un peu artificielle) du 31 octobre 1517.

Une histoire bien connue pour les temps modernes ?

Le protestantisme dans l’espace lorrain à l’époque moderne (XVIᵉ–XVIIIᵉ siècles) est relativement bien connu, mais il faut impérativement le remettre dans le contexte d’une véritable mosaïque territoriale composée de plusieurs entités. La première est constituée des duchés de Lorraine et de Bar, où le protestantisme est très tôt interdit et persécuté (années 1520), sans que ce soit d’ailleurs toujours strictement appliqué et sans que cela empêche des protestants de résider discrètement et individuellement sur le territoire ducal. Mais d’autres entités sont nettement plus poreuses et deviennent des lieux de coexistence entre protestants et catholiques, voire, localement, d’hégémonie des nouvelles idées. La frontière, qu’elle soit politique ou culturelle, est présente au quotidien, elle structure la diffusion d’idées religieuses.

Le protestantisme pénètre ainsi dans des territoires d’Empire, des principautés souvent germanophones, mais aussi des villes libres, à l’exemple de Metz. Après une première vague d’expansion au XVIᵉ siècle, un coup d’arrêt mène toutefois à des formes de normalisation et d’ancrage. Même lorsque ces villes sont intégrées à la France (voire à la Lorraine !), ces petits foyers de protestantisme (Lixheim, Badonviller, Phalsbourg, Fénétrange, Créhange) restent vivaces, jusqu’au XVIIIᵉ siècle, à condition de rester discrets et d’accepter la coexistence, y compris dans le cas de communautés marginales comme les anabaptistes. Ces éléments nous rappellent le poids du politique en matière confessionnelle à l’époque moderne : en situation de marge géographique, un prince ne peut exclure les réalités et équilibres politiques, ici avec les princes d’Empire.

À Metz et dans le Pays messin, territoire francophone, la situation est légèrement différente. Occupée par le roi de France dès 1552, l’ancienne ville libre d’Empire n’est officiellement annexée au royaume qu’en 1648, ce qui permet au calvinisme local d’être original par rapport à celui que l’on retrouve à la fois dans l’espace français et dans l’espace lorrain. Mais cette originalité tend à s’effacer et, en 1685, la révocation de l’édit de Nantes y est appliquée, contrairement à d’autres territoires rattachés à la France et gravitant dans l’orbite d’une Alsace épargnée par la mesure.

La révocation de l’Édit de Nantes. Wikimedia

Ainsi, l’espace lorrain est un véritable laboratoire de situations de coexistence avec le catholicisme et de constitution d’identités protestantes diverses. Dans une société d’Ancien Régime marquée par le primat de la communauté sur l’individu, la difficulté à trouver un statut juridique est certes grave, mais n’empêche pas le maintien de formes locales d’accommodement.

Les protestantismes lorrains face aux défis contemporains

La Révolution française, dont le rapport aux protestantismes en Lorraine n’est pas encore bien connu des historiens, apporte des modifications radicales dans l’organisation des cultes, et la stabilisation intervient à l’initiative des articles organiques promulgués par Bonaparte en 1802. Mais les luthériens et les réformés sont alors très minoritaires dans l’espace lorrain, et liés à l’Alsace. Les choses changent en 1871, avec l’annexion de la Moselle : un ballet de populations s’organise, puisque de nombreux protestants quittent les territoires devenus allemands pour s’installer à Nancy, tandis que des Allemands et des Alsaciens de confession protestante arrivent dans cette même zone.

Le Temple Protestant sur la Place St Jean à Nancy, en 1904. Wikimédia

Désormais reconfiguré, le protestantisme connaît des évolutions contrastées et dépendantes d’un contexte géopolitique qui, désormais, se joue en grande partie ailleurs. Les modalités de la coexistence confessionnelle se construisent à l’échelle locale et régionale, et même après les retours à la France, en 1918 puis en 1944, les protestantismes lorrains de l’époque contemporaine restent difficiles à saisir. Ils doivent construire leur place dans un contexte hostile, mais l’identité protestante est très diverse, c’est même une donnée consubstantielle à son existence.

Chaque siècle voit en effet la naissance de « réveils » et de renouveaux, et le XXᵉ siècle a ainsi libéré la parole de mouvements évangéliques, par exemple « pentecôtistes », qui ont un écho en Lorraine, en lien avec des recompositions démographiques plus larges, posant ainsi de nouveaux défis, aux chrétiens comme aux autres.

Cette histoire reste en grande partie à écrire, et bien des perspectives de recherche s’ouvrent encore aux historiens. L’ouvrage qui rassemblera les contributions à ce colloque sera à la fois le reflet de ce qui est connu, des chantiers à lancer, mais aussi de ce qu’il reste à penser. Car étudier les minorités confessionnelles, leur fonctionnement cultuel et leurs identités culturelles, leur (in)visibilité dans l’espace public, mais aussi leurs relations avec les populations majoritaires et avec les pouvoirs politiques est une nécessité sociale.

En se gardant de tout anachronisme et de tout finalisme, ces deux péchés capitaux de l’historien, ces études doivent en effet nourrir une réflexion pour aujourd’hui, face à des défis nouveaux.

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