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Des médicaments antirétroviraux au creux d’une main.
Les médicaments antirétroviraux pourraient diminuer le risque de sclérose en plaques ou atténuer les symptômes de la maladie, selon une nouvelle étude. Showtime.photo/Shutterstock

Les thérapies anti-VIH pourraient être efficaces contre la sclérose en plaques

La sclérose en plaques est une maladie auto-immune qui affecte le système nerveux central. En France, elle touche environ 120 000 personnes, et chaque année, 3 000 à 5 000 nouveaux cas sont dépistés, majoritairement des femmes.

Au cours de la dernière décennie, plusieurs études de cas ont rapporté que des personnes atteintes de sclérose en plaques également séropositives pour le VIH (le virus responsable du sida) avaient vu les symptômes de la SEP diminuer, ou la progression de cette maladie auto-immune ralentir, après avoir entamé un traitement à base d’antirétroviraux (des médicaments destinés à maintenir le VIH en respect dans l’organisme des malades).

Ces résultats ont poussé les chercheurs à se demander si ces médicaments, ou bien l’existence d’une infection par le VIH, pouvaient influer sur le risque de développer une sclérose en plaques. Les résultats de nos travaux de recherche, publiés récemment dans la revue Annals of Neurology, semblent indiquer que c’est effectivement le cas.

Une réponse difficile à trouver

Déterminer si la sclérose en plaques peut être affectée par le fait d’être séropositif pour le VIH ou par la prise de médicaments antirétroviraux n’est pas une mince affaire. Il faut pour cela non seulement disposer de larges groupes (cohortes) de patients vivant avec le VIH, mais aussi avoir acquis des informations médicales détaillées sur leur état de santé (notamment concernant l’existence ou le développement d’une sclérose en plaques), et assure un suivi sur une longue période.

Précédemment, trois études avaient déjà tenté d’éclaircir ce point, mais n’y étaient pas parvenues de manière définitive, soit parce que les cohortes employées comportaient trop peu de patients, soit parce que les informations médicales concernant les patients ou leurs traitements n’étaient pas disponibles.

Pour mener à bien notre recherche, nous avons analysé les informations contenues dans des bases de données de santé basées sur deux cohortes de personnes vivant avec le VIH en Suède et en Colombie britannique (Canada). Combinés, ces deux groupes de patients incluaient pratiquement toutes les personnes médicalement reconnues comme séropositives depuis 1992 en Colombie britannique et 2001 en Suède, soit plus de 29 000 personnes.

Nous avons suivi les personnes vivant avec le VIH depuis la date de dépistage de leur infection par le VIH jusqu’à la fin de la période d’étude, soit 2020 au Canada et 2018 en Suède. Durant ce laps de temps, qui a duré – en moyenne – près de 10 ans, nous avons par ailleurs recensé systématiquement les nouveaux diagnostics de sclérose en plaques survenus dans l’ensemble de la population, en nous appuyant sur des données de registres cliniques d’hôpitaux, de médecins, ainsi que de cliniques spécialisées dans la prise en charge de cette maladie.

Nous avons ensuite comparé le taux de nouveaux cas de sclérose en plaques survenus parmi les personnes vivant avec le VIH avec celui des nouveaux cas recensés dans la population générale de chaque région. Cela nous a permis de déterminer s’il existait vraiment un risque différent de SEP chez les personnes vivant avec le VIH.

Résultat : au cours de cette période, seules 14 personnes vivant avec le VIH ont développé une sclérose en plaques, soit 47 % de moins que ce à quoi on aurait pu s’attendre en se basant sur les chiffres de survenue de la maladie dans la population générale.

Lorsque nous avons plus spécifiquement le nombre de cas de SEP survenus chez des personnes ayant pris des médicaments antirétroviraux (pratiquement toutes les personnes séropositives ayant participé à l’étude) après le début de leur traitement, nous avons constaté qu’il était 45 % moins important qu’attendu. Autrement dit, le risque de sclérose en plaques chez les personnes séropositives ayant reçu une thérapie antirétrovirale s’est avéré moins élevé que dans la population générale.

Par ailleurs, les femmes présentaient un risque de SEP plus significativement réduit que les hommes (72 %). Si le nombre d’hommes atteints de SEP dans la population séropositive était également moins élevé qu’attendu, la différence de risque était en revanche moins prononcée pour eux.

Une possible explication biologique

Il n’est pas possible, à partir des seuls résultats de cette unique étude, de déterminer si la diminution du risque de SEP observée est due plutôt à la thérapie antirétrovirale, ou si elle est la conséquence de l’infection par le virus du VIH. En effet, des facteurs biologiques peuvent étayer ces deux hypothèses.

On sait par exemple que le VIH entraîne une perte progressive de certaines cellules immunitaires, les lymphocytes T CD4+. Or, ces mêmes cellules sont impliquées dans la SEP : elles déclenchent la cascade d’événements qui mène à l’inflammation du cerveau et de la moelle épinière observée chez les patients touchés par la maladie. En réduisant le nombre de lymphocytes T CD4+, on pourrait imaginer que l’infection par le VIH entraîne une diminution du risque de développer une SEP.

Néanmoins, le fait que le risque de SEP se soit avéré plus faible également dans les cas où le VIH était tenu en respect par des médicaments antirétroviraux plaide plutôt en faveur de l’hypothèse d’un rôle de ces traitements dans la réduction de la probabilité de survenue de la maladie.

Comprendre en deux minutes la sclérose en plaques (Institut du Cerveau – Paris Brain Institute).

Parmi les mécanismes qui pourraient expliquer pourquoi les médicaments antirétroviraux pourraient être efficaces pour réduire le risque de SEP, ou pour atténuer les symptômes de la maladie, une hypothèse est qu’ils pourraient inhiber le virus d’Epstein-Barr. Présent chez plus de 90 % de la population humaine adulte, ce virus à ADN est responsable de la mononucléose infectieuse. Après une infection, il persiste dans les lymphocytes, où certains de ses gènes continuent à s’exprimer et peuvent contribuer à l’apparition de certains cancers comme le lymphome de Burkitt, notamment.

Par ailleurs, un nombre croissant de recherches semble mettre en évidence le fait que le virus rôle important du virus Epstein-Barr dans la SEP. Les propriétés antivirales de la thérapie contre le VIH pourraient limiter l’activité du virus d’Epstein-Barr, minimisant ainsi à la fois le risque de contracter la SEP et la progression de la maladie chez ceux qui en sont atteints.

La découverte que l’infection par le VIH ou les médicaments antirétroviraux confère un effet protecteur contre la SEP améliore notre compréhension des causes de la SEP et de la manière dont la maladie endommage le corps.

(Il faut savoir que la SEP évolue généralement en deux phases. La première, qui débute vers la trentaine, est dite « récurrente-rémittente », car elle s’accompagne de symptômes variés (perte de force ou de sensibilité de certains membres, troubles de la marche, troubles visuels, douleurs…), mais transitoires. La seconde, qui commence 10 à 20 ans plus tard – mais qui peut dans certains cas survenir plus tôt, voire d’emblée, est une phase progressive, au cours de laquelle les symptômes deviennent permanents, ndlr)

Bien que des traitements soient disponibles pour la forme récurrente de la SEP, aucun ne peut arrêter la progression de la maladie durant sa seconde phase. Les résultats de cette étude plaident pour un effort concerté visant à déterminer si les médicaments antirétroviraux pourraient ralentir la progression tardive de la maladie.

Cette approche, qui repose sur des recherches ne nécessitant que des ressources relativement limitées, pourrait permettre d’obtenir un bénéfice immédiat, répondant à un besoin majeur : la mise à disposition rapide de traitements visant à prévenir la sclérose en plaques, ou à ralentir sa progression.

This article was originally published in English

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