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e nouveau compte Twitter X sur l'application sur un smartphone
Dans une optique de gestion de la désinformation, la plateforme X a déployé graduellement une nouvelle fonctionnalité à partir de décembre 2022: « les notes de la communauté». (Shutterstock)

Les utilisateurs de X doivent lutter seuls contre la désinformation qui y sévit

Après l’acquisition de Twitter par Elon Musk en octobre 2022, la plate-forme, rebaptisée X, a connu d’importants changements. Et ils vont bien au-delà de son nom et de son logo.

Ces modifications incluent l’introduction d’un abonnement Premium X qui offre un badge d’authentification à ceux qui le souhaitent, la réactivation de comptes auparavant suspendus pour non-respect des conditions d’utilisation, une fonctionnalité pour sauvegarder les tweets, ainsi qu’un compteur de vues affiché sous chaque publication.

Résultat ? X est devenu un champ de bataille où fausses nouvelles et désinformation foisonnent. Si bien que le commissaire européen au marché intérieur, Thierry Breton, a ouvert une enquête sur le sujet. En réponse à ce fléau, la plate-forme délègue désormais une partie de cette responsabilité à ses utilisateurs et utilisatrices, les plaçant en première ligne de la lutte contre la désinformation.

Cette initiative a-t-elle véritablement le potentiel d’être efficiente dans la lutte quotidienne contre la désinformation en ligne  ?

Doctorante et chargée de cours à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal, j’étudie les médias socionumériques ainsi que la circulation et les troubles de l’information en ligne. Dans cet article, je propose une analyse critique du fonctionnement de X.


Read more: Voici comment Elon Musk favorise la désinformation sur X


Impliquer les utilisateurs

Dans une optique de gestion de la désinformation, la plate-forme X a déployé graduellement une nouvelle fonctionnalité à partir de décembre 2022 : «  les notes de la communauté » (anciennement connue sous le nom de Birdwatch, qui représentait la phase pilote du programme).

Bien que les motifs n’aient pas été énoncés, il y a une corrélation à faire avec les licenciements de novembre 2022 et le premier lancement désastreux de Twitter Blue (maintenant Premium X). Ce dernier avait généré un lot important de fausses nouvelles et d’identités usurpées.

Les notes de la communauté permettent aux utilisateurs de X de contribuer activement à la lutte contre la désinformation en fournissant un contexte aux tweets potentiellement trompeurs. Si des évaluateurs suffisamment nombreux et aux avis diversifiés jugent ces notes utiles, elles deviennent alors publiques.

N’importe quelle personne peut évaluer les notes. Mais, pour devenir un rédacteur de contexte, il faut respecter certains critères : ne pas avoir contrevenu aux règles de X récemment, être membre de la plate-forme depuis au moins six mois, avoir un numéro de téléphone vérifié par un opérateur fiable et ne pas être associé à d’autres comptes de contributeurs.

Le programme s’appuie sur la transparence : les notes ne sont pas modifiées par X et les employés ne sont pas impliqués dans le processus, sauf en cas de violation des conditions d’utilisation ou de la politique de confidentialité. En outre, toutes les contributions sont publiées quotidiennement, et l’algorithme de classement des notes est disponible en ligne et accessible à tous.

Une contribution bénévole

Les notes de la communauté sont avant tout une forme de digital labour, ou « travail numérique ». En d’autres termes, c’est une forme de travail non rémunéré qui est dissimulé dans les actions des utilisateurs de médias socionumériques, qui créent de la valeur pour le réseau social.

Ici, X délègue à moindres coûts le travail dont il est responsable, au lieu d’investir dans les ressources nécessaires et les technologies appropriées.

D’emblée, même si X continue de proposer un abonnement gratuit à ses membres, l’utilisation de cette plate-forme n’est pas dénuée de coûts. En effet, les utilisateurs investissent leur temps dans l’utilisation de la plate-forme et dans la création de contenu. Ce contenu est ensuite consommé sur X grâce à un système de recommandation algorithmique, qui suggère des contenus susceptibles d’intéresser l’utilisateur. Cette captation de l’attention est précieuse, car elle est par la suite monétisée auprès des annonceurs pour le placement publicitaire. Ce processus génère des revenus pour X, s’inscrivant ainsi dans un modèle économique basé sur l’économie de l’attention.

De ce fait, une exigence accrue est imposée à la communauté de contributeurs aux notes : celle de contextualiser davantage les publications. Cette tâche supplémentaire s’inscrit dans la volonté de la plate-forme d’optimiser l’engagement des utilisateurs et, par conséquent, sa rentabilité.

Le tout est offert aux utilisateurs dans un emballage de belles valeurs : « contribuer de manière authentique et constructive à l’information des autres utilisateurs  ».

Mais cet apport bienveillant a un prix : temps et efforts de recherche. La vérification des faits est un travail méticuleux et méthodique, qui devrait être rémunéré.

Accroître la méfiance envers les médias

Bien que le concept des annotations puisse sembler séduisant et donne une première impression de libre arbitre, il est crucial de reconnaître que X a lui-même engendré la nécessité de contextualiser certaines publications. Depuis le 4 octobre 2023, les publications contenant des articles de presse n’affichent plus les titres et sous-titres desdits articles. Seuls l’image de l’article ainsi qu’un lien vers le média en question sont visibles en vignette.

Non seulement cette censure entrave le repartage des articles et leur contextualisation, mais elle crée un problème d’accessibilité pour les personnes atteintes de cécité utilisant des lecteurs d’écrans. Le tout a pour effet de nuire à la circulation d’information journalistique provenant d’organes de presse sur X.

De plus, en s’appuyant sur un consensus d’amateurs très engagés plutôt que sur des journalistes professionnels ou des modérateurs de contenu pour identifier et démystifier le contenu problématique, X accentue le manque de confiance envers l’institution du journalisme. Et il s’agit principalement d’un choix économique.

Le 12 novembre 2022, Twitter a supprimé une grande partie de ses capacités de modération après avoir mis fin aux contrats de 4 400 prestataires, sur un total de 5 500.

Les dérives potentielles des notes

Plusieurs possibilités de dérives des notes de la communauté sont envisageables : harcèlement, mobilisation opportune, critiques non constructives, annotations destinées à dénaturer le contenu original.

Prenons pour exemple cette annotation ajoutée à une publication du quotidien Le Parisien, qui révèle une autre forme de déviation de l’utilité des notes.

Cette contextualisation fournit des informations supplémentaires, qui ne sont pas divulguées dans la publication X originale du Parisien, qui exige un abonnement pour la lecture intégrale de l’article en question. L’hyperlien de la note redirige le lecteur vers un site web que l’on peut qualifier d’« amateur », qui résume et cite le texte payant du Parisien. Comme l’auteur de la note et les évaluateurs demeurent anonymes, il est difficile de déterminer si ces personnes sont biaisées et ont un intérêt à orienter les lecteurs intéressés par le sujet vers un autre site Internet.

Nous retrouvons également les notes sur les contenus publicitaires. L’évaluation de tout type de « contenu » ouvre la voie non pas à la vérification factuelle, mais à l’expression d’opinions. Ce risque est exacerbé dans le cas des publicités politiques payantes qui sont de retour sur la plate-forme.

X a en effet levé l’interdiction sur ce genre de contenu publicitaire le 30 août 2023, d’abord pour les États-Unis. Twitter avait initialement proscrit ces publicités en 2019 sous la direction de Jack Dorsey, alors PDG. Il affirmait à l’époque que « la portée des messages politiques devrait être gagnée, pas achetée ».

Une défaite contre la désinformation

Les chercheurs qui analysent les origines et la diffusion de la désinformation ne peuvent plus traquer automatiquement les hashtags, les mots-clés et d’autres données en temps réel. En février 2023, Twitter a révoqué l’accès gratuit à son interface de programmation d’application (API) pour les recherches académiques. Cet outil était crucial pour la récolte et l’analyse des données.

Les utilisateurs de Twitter doivent désormais lutter seuls contre les troubles de l’information, et à leurs frais.

Les notes de la communauté ne sont qu’un accessoire supplémentaire de X pour amasser des données, entraîner ses algorithmes, maintenir la présence d’utilisateurs actifs, capter leur attention et vendre cette dernière aux annonceurs.

Sur la base de ce constat, la décision de X de se désengager du code de bonnes pratiques contre la désinformation en ligne de l’Union européenne apparaît comme rationnelle, compte tenu du manque de détermination manifeste à lutter efficacement contre ce fléau. Toutefois, cette démarche met également en lumière les préoccupations légitimes exprimées par le commissaire Thierry Breton face à cette situation.

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