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L’évolution : un principe universel

De tout temps, des modifications ont été observées dans le milieu naturel. Pour Aristote, il s’agissait d’une caractéristique du monde sublunaire, c’est-à-dire du monde terrestre changeant et constamment soumis à la corruption et à l’altération. Mais cette particularité n’en était pas moins sérieusement limitée par l’idéologie du fixisme, lequel, s’appuyant sur les textes sacrés, postulait en effet l’invariance absolue des espèces vivantes et du monde céleste, ou supralunaire – l’ensemble étant supposé immuable.

Un dogme fixiste longtemps maintenu

Il faudra attendre le tournant du XVIIIe siècle, avec les essais de classification des invertébrés du naturaliste français Jean‑Baptiste de Lamarck et sa théorie du transformisme, pour que surgissent les premiers doutes sur l’absolue invariabilité des espèces vivantes. Et le dogme fixiste du vivant ne sera finalement réfuté de manière irrémédiable qu’au siècle suivant, avec les travaux du naturaliste britannique Charles Darwin.

Charles Darwin en 1881. Elliott et Fry

Selon sa théorie, les espèces animales et végétales constituent une longue chaîne évolutive issue d’un ancêtre commun, aujourd’hui désigné sous l’acronyme LUCA (Last Universal Common Ancestor). Ces espèces se déduisent les unes des autres par des mécanismes de diversification évolutive. Des mécanismes de spéciation dont Darwin et ses successeurs parvinrent à expliciter les termes, et qui ont mis un terme à l’idéologie fixiste pour le monde des espèces vivantes. Restait à se préoccuper du monde céleste. Et dans ce domaine, ce sont les résultats du physicien allemand/suisse/américain Albert Einstein qui ont été décisifs.

Par ses recherches, l’inventeur de la relativité générale a permis d’établir que l’univers est un objet physique qui, de ce fait, est régi par les lois des objets matériels, celles de la mécanique relativiste et de la physique quantique. Peu après, en observant le décalage de la lumière émise par des galaxies lointaines, et en prouvant qu’elles s’éloignaient les unes des autres, l’astronome américain Edwin Hubble a confirmé en 1929 l’expansion de l’univers. L’univers semblait donc posséder une histoire et une origine. Ce que vint confirmer en 1965 la découverte du fond diffus cosmologique par les physiciens américains Arno Penzias et Robert Woodrow Wilson. Découverte marquant la fin du fixisme du monde supralunaire et du dogme religieux de sa transcendance.

Un vaste spectre temporel

Ensemble, les travaux de Charles Darwin et d’Albert Einstein prouvent donc l’inexactitude du dogme fixiste aristotélicien. Les développements scientifiques ultérieurs, et les multiples techniques d’analyses, n’ont fait que confirmer le caractère évolutif des différents phénomènes naturels observables. La convergence de tous ces résultats conduit à supposer qu’il existerait un principe fondamental d’évolution de l’univers, inhérent au temps : le premier caractérise les transformations, le second les déplacements. Il s’agirait là d’une propriété générale de l’univers, s’appliquant à son ensemble comme à ses détails, et qui serait propre aux structures matérielles quelle qu’en soient les formes, inerte ou vivante.

Albert Einstein. Bundesarchiv, Bild 183-19000-1918, CC BY-SA

Les applications de ce principe étant multifactorielles, leurs mises en évidence concernent chacune des composantes des phénomènes étudiés, compte tenu de l’énormité du spectre temporel des effets possibles. Ainsi, des milliards d’années sont nécessaires pour des transformations galactiques ou géologiques. Et à l’opposé, certains phénomènes microscopiques sont quasi instantanés. Voilà pourquoi c’est d’abord le temps qui a retenu l’attention. Ce qui n’est pas sans conséquence.

Une sélection devenue technologique

Si l’homme ne peut pas agir directement sur les effets de ce principe fondamental d’évolution, il a néanmoins trouvé des moyens d’agir indirectement. À titre d’illustration, force est de constater que nous sommes parvenus à créer un monde que gouverne de plus en plus l’information à travers les ordinateurs, mais aussi la cybernétique et la robotique, ou encore l’intelligence artificielle dont on annonce pour bientôt une puissance décuplée par la révolution de l’ordinateur quantique. Et dans un tout autre domaine, on notera que le considérable accroissement des performances et la diversification des moyens de transport vont de pair avec une contraction géographique de la planète, mais aussi avec l’acquisition d’une dimension spatiale aux potentialités imprévisibles.

Ces exemples, et d’autres, montrent qu’un nouveau type de sélection interfère avec le principe d’évolution. Devenue technologique, elle a changé de niveau, avec des conséquences multiples, tant économiques que sociologiques et politiques, c’est-à-dire culturelles. La somme de tous ces effets pourrait conduire à des transitions porteuses de mutations pour nos civilisations, aux impacts aussi incertains qu’imprévisibles – et pas nécessairement favorables aux développements futurs de sociétés devenues technologiquement hypertéliques. Car l’évolution, par essence, a nécessairement d’autres répercussions.

Il ne peut y avoir d’évolution orientée

Comme en attestent les travaux de Charles Darwin et de ses successeurs, l’évolution obéit à la fois au hasard et aux contingences. Ce fait est confirmé par la place qu’occupent les phénomènes quanto-relativistes tels que les nucléosynthèses stellaires ou les transformations corpusculaires et le chaos non déterministe créateur de nouveauté (effet papillon) dans le fonctionnement de l’univers. Et il montre bien qu’il ne saurait y avoir d’évolution orientée. Or il en résulte qu’à long terme, le devenir de toute structure matérielle, qu’il s’agisse de l’univers matériel ou du monde vivant, ne peut pas être prédit : il nous faut renoncer à toute finalité, toute téléologie.

Notons encore que l’évolution, en tant que process usthermodynamique, n’a aucun rapport avec la notion de progrès – lequel est un concept humain. Même si au XVIIIe siècle, les philosophes des Lumières au premier chef desquels le philosophe, homme politique et éditeur français Nicolas de Condorcet, ont malheureusement confondu les deux.

De fait, étant inhérent au temps, le principe d’évolution en définit le sens d’écoulement, et caractérise ainsi son irréversibilité – c’est-à-dire la création de désordre que mesure l’entropie, concept de base de la thermodynamique. Ainsi, il n’y aurait pas d’évolution sans irréversibilité. Or celle-ci modifie l’entropie, et des structures dissipatives. D’où des déséquilibres thermodynamiques, qui sont à l’origine de processus d’auto-organisation : voilà pourquoi l’évolution de l’univers se traduit par une complexification croissante.

Dans le désordre, un ordre s’accroissant

La temporalisation effective de l’entropie étant liée à la dissipation d’énergie, il y a création d’information. Mais l’irréversibilité liée au principe d’évolution ne contraint pas le paradoxe de la vie : alors que, selon l’entropie, le désordre général ne fait que croître, le phénomène vivant, lui, accroît son ordre propre. Cet accroissement se fait cependant au prix d’une augmentation du désordre général, processus qui exige un échange de matière et d’énergie, mais aussi une hausse de la quantité d’information créée. In fine, comme l’ont montré au début du XXe siècle les mathématiciens Alfred James Lotka et Vito Volterra, le processus de sélection naturelle s’apparente à une conséquence des lois de la thermodynamique, et donc du principe d’évolution.

Au niveau terrestre, ce principe est consubstantiel à l’humanité, à travers son histoire. Mais ses effets dépendent de l’échelle temporelle considérée. Et il se trouve que sur le plan historique, ils ne sont pas indépendants des acquis et des savoirs d’une population concernée. On peut conclure que sans principe d’évolution, il n’y aurait pas d’irréversibilité, donc pas de vie.

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