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L’île de la Passion-Clipperton, aux confins géopolitiques de l’Indo-Pacifique français

L'île de la Passion Clipperton, un banc de sable peuplé de quelques arbres.
L’île est inhabitée et située très loin de toute terre, mais elle n’en recèle pas moins un intérêt réel pour la France. Shannon Rankin, Fourni par l'auteur

Depuis 2018, Emmanuel Macron a formalisé une stratégie de l’Indo-Pacifique français visant à légitimer et crédibiliser le statut de la France dans la région Indo-Pacifique, nouvel épicentre des tensions géopolitiques mondiales.

Il s’agit, pour la diplomatie française, de valoriser ses attributs de puissance diplomatiques, culturels, économiques et militaires dans l’ensemble régional.

L’exercice de la souveraineté nationale dans les collectivités françaises de la zone renforce cette nouvelle ambition. Ainsi, l’île de La Réunion, Mayotte, les terres australes et antarctiques françaises (TAAF), Wallis-et-Futuna, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française sont des composantes majeures de la stratégie mise en œuvre par l’État.


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Un territoire français échappe néanmoins à cette dynamique : l’île de la Passion-Clipperton, un atoll corallien inhabité du Pacifique Nord, situé à plus de 1 000 km à l’ouest des côtes mexicaines et 5400 km au nord-est de Papeete.

Carte montrant la localisation de l’île de La Passion (Clipperton)
Localisation de l’île de La Passion (Clipperton) et ZEE Pacifique. Christian Jost/UPF, Fourni par l'auteur

Une histoire mouvementée

L’île est supposément découverte en 1706 par un flibustier, John Clipperton, puis par Michel-Joseph Dubocage (1676-1727), qui la nomme île de la Passion, car découverte un Vendredi saint, le 4 avril 1711.

Victor le Coat de Kergueven la revendique en 1858 au nom de Napoléon III, mais ce sont les Américains qui exploitent ses ressources phosphatées au XIXe siècle. En 1897, le Mexique dépêche une mission sur l’atoll pour y affirmer sa souveraineté et exploiter le phosphate.

Un phare est construit en 1906, suivi de l’installation d’une dizaine de militaires, avec leurs femmes et enfants. Les tumultes politiques au Mexique et le début de la Première guerre mondiale plongent la petite colonie dans l’oubli. Les ravitaillements ne sont plus assurés. Après une série d’événements sordides, les rescapés de la Passion-Clipperton – trois femmes et sept enfants – sont rapatriés en 1917.

La France et le Mexique se disputent alors la souveraineté sur l’île, et se tournent vers l’arbitrage du roi d’Italie Victor Emmanuel III, qui en 1931 confirme la souveraineté française sur l’île.

Cela n’empêche pas l’US Navy d’y débarquer en 1944 en pleine guerre du Pacifique, de percer une passe sur le récif corallien pour permettre la communication entre les eaux du lagon et de l’océan, et de niveler une piste d’atterrissage à des fins militaires, les États-Unis occupant alors de nombreux territoires insulaires du Pacifique dans le cadre du conflit avec le Japon.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement américain accepte de restituer l’île à la France. De 1966 à 1968, l’armée française y déploye des détachements lors des campagnes d’essais nucléaires aériens en Polynésie pour évaluer la progression de nuages radioactifs.

Par la suite, des missions scientifiques françaises ou internationales y feront escale sporadiquement, notamment le commandant Cousteau en 1980 et Jean-Louis Étienne en 2005. De nos jours, l’île demeure inhabitée, mais des bâtiments de la Marine nationale y effectuent des missions de souveraineté régulièrement.

Un territoire maritime stratégique

La position équatoriale de l’île et son éloignement des grandes routes aériennes en font un lieu privilégié pour l’observation spatiale, notamment de la fusée Ariane 5, lancée depuis Kourou en Guyane.

En matière de biologie marine, ce bout de terre perdu dans l’immensité maritime du Pacifique Nord offre un intérêt particulier pour toute observation de la faune et la flore marine : le comportement de certaines espèces de requins, l’étude de coraux, ainsi que des phénomènes climatiques comme le courant « El Niño ». Refuge à nidification pour des dizaines de milliers de fous bruns, fous masqués et autres sternes fuligineuses, l’atoll présente un intérêt ornithologique important. Zone très riche en thonidés, ses ressources actuelles sont actuellement exploitées par des armateurs étrangers sans contrôle possible par les autorités françaises.

L’emplacement de l’atoll présente aussi un intérêt géopolitique. Depuis l’adoption en 1982 de la Convention internationale sur le droit de la mer (CNUDM), la France dispose de la deuxième zone économique exclusive (ZEE) au monde, notamment grâce à Clipperton. Si les terres émergées ne représente que 1,7km2, l’îlot confère à la France le droit de contrôler et d’exploiter 435 331 km2, soit plus que la ZEE métropolitaine.

Superficie des ZEE des territoires français. Portail national des limites maritimes, Fourni par l'auteur

Cette ZEE recèle un potentiel considérable, à la fois énergétique, minéral et biologique. Diverses études ont démontré qu’il y avait abondance de minerais dans les fonds marins de la ZEE française du Pacifique, sous différentes formes de minéralisation : nodules polymétalliques, sulfures hydrothermaux, encroutement cobaltifère.

La seule étude menée à ce jour au large de Clipperton, en 1997, avait détecté la présence de nodules en quantité variable. Ces ressources minérales sont particulièrement stratégiques, car elles contiennent des terres rares, un groupement de dix-sept minéraux utilisés principalement dans les produits de haute technologie. À ce stade, la France n’a pas commencé à exploiter ces terres rares : les techniques d’extraction sont connues, mais aucun projet industriel mondial n’a atteint un seuil de rentabilité. Par ailleurs, les contraintes sur l’environnement sont très importantes.

Pourtant, à l’heure où les autorités françaises ne cessent d’insister sur la nécessité d’atteindre un degré de souveraineté énergétique, l’absence d’intérêt pour un territoire français potentiellement riche en matière première interroge.

Un territoire convoité

Contrairement à d’autres territoires français de l’Indo-Pacifique (Mayotte, les îles Éparses, les îles Matthew et Hunter), la souveraineté française n’est plus officiellement contestée à Clipperton. En 1959, le Parlement mexicain a admis que l’île ne faisait plus partie des possessions territoriales. Pourtant, un livre de 1992 du député mexicain Michel Gonzales Avelar appelle au rattachement de Clipperton au Mexique. Une association mexicaine milite toujours activement pour que la souveraineté de l’île revienne au Mexique.

Un accord franco-mexicain de 2007 (reconduit en 2017) permet aux pécheurs mexicains de faire la demande auprès des autorités françaises pour obtenir des licences de pêche dans la ZEE de Clipperton sans redevance à payer, à titre gratuit donc. En contrepartie, les pécheurs mexicains doivent déclarer leurs prises annuelles aux autorités compétentes. Néanmoins, selon certains spécialistes, les prises réelles sont largement supérieures à ce que les pécheurs mexicains déclarent.

La France évite tout affrontement frontal pour éviter une remise en question de sa ZEE. Le simple fait que les pécheurs mexicains fassent la demande est déjà une reconnaissance de souveraineté. Mais le droit évolue et le temps presse…

La souveraineté française est-elle contestable ?

La légitimité même d’une ZEE autour de l’île de la Passion-Clipperton peut être contestée.

En effet, selon l’article 121 § 3 de la CNUDM, « les rochers qui ne se prêtent pas à l’habitation humaine ou à une vie économique propre n’ont pas de zone économique exclusive ni de plateau continental ». La définition d’un rocher est donc fondamentale, car elle confère ou pas le droit à une ZEE.

Or, depuis une décision de la Cour permanente d’arbitrage, rendue le 12 juillet 2016, un atoll qui ne dispose pas d’une capacité objective à accueillir une activité économique ou des habitations humaines peut relever de cette catégorisation. Même si la Passion-Clipperton n’est pas stricto sensu un rocher, un tribunal international pourrait parfaitement la qualifier de « rocher » et donc ne pas reconnaître la ZEE française autour de l’île.

L’implantation d’une base permanente à caractère scientifique pourrait, en plus des avantages scientifiques réels, permettre de remplir les deux conditions énoncées par le tribunal de la Haye. Le géographe Christian Jost et le sénateur Philippe Folliot ont d’ailleurs déjà envisagé un modèle économique viable qui permettrait à cette future base de s’autofinancer.

Profiter du moment Indo-Pacifique

Accumulation de déchets en tous genres, prolifération des rats, pillages des ressources halieutiques, hub utilisé par des narcotrafiquants mexicains, carcasses de véhicules militaires… l’île de Clipperton offre aujourd’hui un bien triste visage.

Mais la situation actuelle n’est pas une fatalité, et le moment politique parait opportun pour sensibiliser les responsables politiques à la nécessité de valoriser ce territoire français.

L’Indo-Pacifique étant présenté comme un enjeu prioritaire de la présidence Macron, une « fenêtre de tir » unique s’ouvre pour encourager nos politiques à créer un statut spécifique pour Clipperton en vue d’une implantation permanente. Structure à vocation scientifique, cette future plate-forme pourra bénéficier de l’expérience logistique accumulée dans les terres australes et antarctiques françaises depuis plusieurs décennies et de la participation de militaires français aguerris à ce type de mission.

Les conditions sont réunies pour enfin valoriser l’île de la Passion-Clipperton. Ce petit territoire du bout du monde deviendrait ainsi un point cardinal de la stratégie Indo-Pacifique française.

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