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Les enjeux calédoniens d’Emmanuel Macron

Emmanuel Macron et le premier ministre australien Malcolm Turnbull visitent la gallerie New South Wales à Sidney le 2 mai 2018. Ludovic Marin/AFP

Le déplacement du président Macron en Australie cette semaine ainsi qu’en Nouvelle-Calédonie met en lumière les intérêts de la France dans cette région peu connue du grand public. Placé sous le signe conjoint de la mémoire et des enjeux d’avenir, ce voyage est inédit à plus d’un titre.

Inédit, parce qu’il s’agit de la première visite officielle d’un chef d’État français en Australie dans un cadre strictement bilatéral. Certes, le président Hollande s’y était rendu en 2014 mais le déplacement était motivé par la réunion du G20 à Brisbane. Inédit, parce qu’aucun président français se rendant en Nouvelle-Calédonie n’avait auparavant fait étape en Australie tant la question calédonienne a pu peser sur les relations bilatérales.

Ce voyage qui combine des enjeux de politique étrangère et ceux relevant du processus de décolonisation dans lequel est engagée la Nouvelle-Calédonie, témoigne des enjeux que représente l’Océanie pour la France.

Entre mémoire et sécurité

Organisée à la suite du déplacement d’Emmanuel Macron aux États-Unis et au cours de sa première année de présidence, cette visite témoigne de l’importance nouvelle dont la France s’empare du dossier australien.

Le rapprochement entre les deux pays est symbolisé et stimulé par le contrat conclu en 2016 par l’Australie avec Naval Group (ex-DCNS) concernant la livraison de 12 sous-marins d’attaque entre 2030 et 2050.

Cette commande correspond à la nécessité pointée par le Livre Blanc de la Défense australienne de 2009 de doter le pays de forces le rendant apte à affronter un danger émanant d’une grande puissance. Le contexte géostratégique mouvant de l’Indo-Pacifique pousse l’Australie à penser à sa sécurité sans compter systématiquement sur l’alliance qui la lie aux États-Unis depuis 1951.

Dans la foulée de ce contrat, la France et l’Australie ont approfondi leur partenariat stratégique, en mettant en avant le souvenir des combats passés, le partage de valeurs communes et d’enjeux communs à court et à moyen terme.

Le 24 avril 2018, Malcom Turnbull, premier ministre australien, et Édouard Philippe, premier ministre français, ont ainsi inauguré le Centre Monash qui fait vivre à Villers-Bretonneux la mémoire de l’engagement australien dans la bataille de la Somme (juillet 1916-novembre 1918).

Plaque à Villers-Bretonneux honorant les soldats australiens venus se battre et libérer le village durant la bataille de la Somme (1918). Weglinde-Gordon Lawson/Wikimedia

De part et d’autre, cette fraternité d’armes est présentée comme le socle du développement d’une relation rendue nécessaire par les défis communs auxquels sont confrontés les deux pays.

La France est présente dans l’Océan Pacifique par le biais de ses collectivités d’outre-mer. La Nouvelle-Calédonie, distante de quelque 2 000 kilomètres des côtes australiennes, fait ainsi de la France le premier État frontalier de l’Australie.

Carte bathymétrique et topographique de la Nouvelle-Calédonie et de Vanuatu, Océanie. Eric Gaba/Wikimedia, CC BY-NC

Mais durant près de trente ans, la politique nucléaire de la France en Polynésie française, et la gestion de la revendication d’indépendance kanak en Nouvelle-Calédonie ont constitué des sujets de tensions avec l’Australie, particulièrement soucieuse de la stabilité de son environnement insulaire.

La France, force stabilisatrice ?

L’apaisement de la Nouvelle-Calédonie depuis les accords Matignon de 1988 et l’arrêt définitif des essais nucléaires français en 1996, ont changé la tonalité des relations franco-australiennes.

Historiquement, l’Australie fait dépendre sa sécurité immédiate de son environnement insulaire et est donc particulièrement soucieuse de la stabilité des îles du Pacifique sud-ouest dont fait partie la Nouvelle-Calédonie.

Le premier ministre Édouard Philippe en visite sur l’île Tiga dans l’archipel de Loyauté, reçoit un cadeau de la part d’élèves et étudiants, le 3 décembre 2017. Fred Payet/AFP

Si les relations globales entre Paris et Canberra ne butent plus sur des enjeux locaux, l’Australie observe toujours avec attention la situation calédonienne. La stabilité de cet archipel demeure une nécessité d’autant plus forte que la donne géopolitique de l’Océanie a fortement évolué ces dernières années. Face au poids de plus en plus marqué de nouveaux acteurs tels la Chine, l’Australie souhaite le maintien dans la région d’une l’influence française qu’elle juge stabilisatrice.

Autre échelle, celle de l’Indo-Pacifique. L’Australie et la France, puissances maritimes présentes dans les océans pacifique et indien, se veulent des acteurs forts de cet espace économique et stratégique en passe de supplanter le cadrage très continental de l’Asie-Pacifique.


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À l’échelle globale enfin, les deux pays sont engagés dans des dossiers communs tels le combat contre Daech, la lutte contre le réchauffement climatique ou le fondement des relations internationales sur le droit.

Il ne faut pas oublier les perspectives économiques, notamment le projet de zone de libre-échange que l’Australie appelle de ses vœux.

La France perçoit globalement l’Australie comme un « nouveau monde » ; une puissance émergente avec laquelle elle entend bien approfondir ses relations.

La Nouvelle-Calédonie, une visite à risques

La poursuite du voyage présidentiel en Nouvelle-Calédonie intervient également à un moment fort de l’histoire de cet archipel engagé depuis trente ans sur la voie d’une décolonisation menée en accord avec la République.

Depuis l’accord de Nouméa (5 mai 1998), la Nouvelle-Calédonie est une collectivité d’outre-mer à statut particulier. Cet accord qui prolonge les Accords Matignon-Oudinot 1988, engage un partage de souveraineté entre la France et la Nouvelle-Calédonie par le transfert progressif et irréversible de compétences non-régaliennes au territoire.

Retour sur les accords signés par Michel Rocard en 1988, Ina Politique.

En outre, son préambule reconnaît une double légitimité : celle du peuple kanak – peuple autochtone – et celle des populations arrivées lors de la période coloniale. S’appuyant sur cette double légitimité, l’accord de Nouméa définit une citoyenneté calédonienne attribuée sur un critère de résidence et dont découle l’inscription sur la liste électorale amenée à se prononcer le 4 novembre 2018.

Le programme annoncé de la visite, sans surprise, marque la volonté de mener un dialogue équilibré.

Le président de la République devrait se rendre dans chacune des trois provinces de l’archipel. Dans la province Sud vit la majorité des communautés installées depuis le XIXe siècle. Cette population est constituée de descendants de colons européens, de travailleurs asiatiques et océaniens ou plus récemment par des métropolitains attirés par le « boom du nickel » des années 1969-72 ou par les conditions de vie de l’archipel.

Cette population est largement opposée à l’indépendance contrairement à la population kanak, plus fortement indépendantiste, et qui est majoritaire dans la province Nord et celle des Îles. Ce clivage démographique s’exprime politiquement puisque les anti-indépendantistes dirigent la Province Sud tandis que les indépendantistes gèrent celles du Nord et des Îles.

Localisation de l’archipel et des îles Loyautés dont Lifou, Mare, Ouvea et Tiga, 2005. NormanEinstein/Wikimedia, CC BY-ND

Ouvéa : l’île symbole de toutes les tensions

C’est dans cette dernière province que va se jouer un temps sensible de la visite : en effet Emmanuel Macron a choisi de passer la matinée du 5 mai 2018 à Ouvéa.

Aucun de ses prédécesseurs ne s’est rendu dans cette île depuis que des indépendantistes y ont pris des gendarmes en otages en 1988. C’est aussi dans cette île que Jean‑Marie Tjibaou et Yeiwené Yeiwené, chefs de file du Front de libération national kanak et socialiste (FLNKS), ont été abattus le 5 mai 1989, lors de la levée de deuil des 19 indépendantistes morts dans l’assaut du 5 mai 1988. Depuis, Ouvéa est une île meurtrie et symbole des tensions diverses qui traversent le territoire.

Ouvéa, 1988, télévision française, INA.

À Ouvéa, la présence du Orésident Macron est loin de faire l’unanimité. Des voix s’opposent à sa venue en ce jour de commémoration, estimant que la visite n’a pas été suffisamment préparée avec les autorités coutumières.

Quant aux anti-indépendandistes, une partie d’entre eux ne pourrait que dénoncer tout acte ou mot trop repentant sur la période coloniale de la part du chef de l’État.

Membres du Front de libération nationale kanak et socialiste le 1 février 1990 durant un sit-in. Pierre Vadim/AFP

À la veille du référendum d’autodétermination prévu le 4 novembre, Emmanuel Macron entend manifester l’impartialité de l’État dans le processus de décolonisation du territoire, une ambition qui sera jaugée au regard de ses gestes et de ses paroles. La transmission au gouvernement calédonien de l’acte de prise de possession de la Nouvelle-Calédonie par la France, le 24 septembre 1853, entend ainsi symboliser la souveraineté recouvrée du territoire sur son avenir.

Le référendum n’est vraisemblablement qu’une étape de la relation entre la Nouvelle-Calédonie et la France. En cas de rejet de la pleine souveraineté le 4 novembre prochain, deux autres consultations pourraient être organisées en 2020 et 2022. En outre, rien n’exclut la poursuite des négociations entre l’État et les forces politiques du territoire pour la définition d’un nouveau type de relations institutionnelles entre la France et la Nouvelle-Calédonie.

Cette visite marquerait un tournant dans la relation jusqu’à présent asymétrique que Paris a longtemps entretenue avec l’Australie et la Nouvelle-Calédonie, et pourrait confirmer le rôle que Macron entend faire jouer à la France dans le Pacifique.

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