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Des militaires armés et en uniforme face à des journalistes qui les filment
Des militaires israéliens filmés par des journalistes lors d’affrontements avec des manifestants palestiniens à Jérusalem-Est, le 22 décembre 2023. Ronaldo Schemidt/AFP

L’inquiétante progression d’Israël dans le classement des pays par nombre de journalistes emprisonnés

Israël est désormais l’un des pays du monde qui comptent le plus grand nombre de journalistes emprisonnés, selon une étude récemment publiée par le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), basé à New York.

Chaque année, cette organisation publie un rapport faisant état du nombre de journalistes se trouvant derrière les barreaux. Au 1er décembre 2023, ce nombre s’élevait à 320, soit le deuxième le plus élevé depuis que ce classement a été créé en 1992. D’un certain point de vue, la dynamique est encourageante : le record en la matière – 367 – avait été enregistré en 2022.

Il n’en demeure pas moins que le fait qu’autant de représentants du secteur des médias soient en prison est profondément préoccupant. Leur emprisonnement porte atteinte à la liberté de la presse et, souvent, aux droits humains.

La guère enviable première place de la Chine

Avec ses 44 journalistes emprisonnés, la République populaire de Chine occupe la première position. Elle est suivie par le Myanmar (43), la Biélorussie (28), la Russie (22) et le Vietnam (19). Israël et l’Iran occupent conjointement le sixième rang (17 chacun).

Si la baisse par rapport à 2022 est indéniablement un phénomène positif, les statistiques révèlent quelques tendances inquiétantes.

Le CPJ ne se contente pas d’effectuer un simple décompte ; il examine également les accusations dont les journalistes font l’objet. En 2023, dans près des deux tiers des cas, les journalistes sont emprisonnés pour des faits que l’on peut globalement qualifier d’« atteinte aux intérêts de l’État » – une notion qui recouvre des inculpations pour espionnage, terrorisme, diffusion de fausses nouvelles, et ainsi de suite.

En d’autres termes, dans les pays concernés, les autorités considèrent le journalisme comme une sorte de menace existentielle qui doit être combattue à l’aide des lois protégeant la sécurité nationale.

Dans certains cas, cela peut être justifié : il est en effet impossible d’examiner de façon indépendante chaque affaire. Mais ce qui ressort des observations du CPJ, c’est que, de plus en plus, les gouvernements perçoivent le domaine de l’information comme un champ de bataille. Dès lors, les journalistes se retrouvent dans une position précaire : ils sont vus, à leur corps défendant, comme des combattants engagés dans des affrontements souvent brutaux.

La première place de la Chine n’est guère surprenante. La RPC se classe en tête, ou juste en dessous, depuis plusieurs années. La censure rend extrêmement difficile une évaluation précise du nombre de personnes emprisonnées, mais on sait que, après la répression des activistes pro-démocratie en 2021, des journalistes de Hongkong se sont retrouvés enfermés pour la première fois. Près de la moitié des détenus chinois sont des Ouïghours du Xinjiang, région où Pékin a été accusé par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme de violations des droits humains dans le cadre de la répression permanente conduite à l’encontre des minorités ethniques de la région, majoritairement musulmanes.

Les autres membres du « top cinq » sont également des habitués des places de tête de ce sinistre classement ; mais, juste en dessous de ce quintette, deux changements majeurs ont surpris les observateurs.

L’Iran avait pris la première place en 2022, avec 62 journalistes emprisonnés. Ce chiffre est passé en 2203 à 17, ce qui a valu au pays de reculer à la sixième place. Un rang où il est rejoint par Israël, où un seul journaliste emprisonné avait été recensé en 2022.

C’est une bonne nouvelle pour les journalistes iraniens, mais une très mauvaise pour Israël, qui ne cesse de répéter qu’il est l’unique démocratie du Moyen-Orient et le seul pays de la région qui respecte la liberté des médias. En outre, Israël pointe régulièrement du doigt le régime iranien pour ses attaques répétées à l’encontre de tous ses détracteurs.

Les journalistes emprisonnés par Israël sont tous originaires de Cisjordanie occupée, tous palestiniens, et tous ont été arrêtés après les effroyables attaques lancées par le Hamas depuis Gaza le 7 octobre. Mais très peu de choses sont connues sur les raisons de leur mise en détention. Leurs proches ont déclaré au CPJ que la plupart d’entre eux étaient placés sous ce qu’Israël qualifie de « détention administrative ».

Israël : dix-sept arrestations en moins de deux mois

L’euphémisme « détention administrative » signifie en réalité que les journalistes ont été incarcérés pour une durée indéterminée, sans procès ni inculpation.

Il est possible qu’ils aient, d’une manière ou d’une autre, planifié des attaques (Israël utilise l’outil de la détention administrative pour arrêter les personnes qu’il accuse de préparer la commission d’un futur délit), mais les preuves justifiant ces mises en détention ne sont pas divulguées, et les raisons de ces arrestations n’ont pas été rendues publiques.

La place qu’occupe Israël dans la liste du CPJ met en évidence une situation paradoxale et complexe. La liberté des médias fait partie intégrante d’une démocratie libre. Des médias dynamiques, incisifs et parfois hargneux sont un moyen éprouvé de maintenir le débat public en vie et le système politique en bonne santé.

C’est souvent problématique, notamment pour les autorités, mais il ne peut y avoir de système démocratique fort si les journalistes ne remplissent pas librement et vigoureusement leur rôle. De fait, l’ampleur de la répression exercée par un gouvernement à l’encontre des médias est un bon moyen de savoir si une démocratie est en train de s’effondrer.

Pour autant, on ne saurait établir une équivalence entre Israël et l’Iran. Israël reste une démocratie et les médias israéliens critiquent souvent leur gouvernement avec véhémence, d’une manière qui serait impensable à Téhéran.

Mais si Israël veut rétablir la confiance dans son engagement envers les normes démocratiques, il devra au moins faire preuve de transparence sur les raisons de l’arrestation de 17 journalistes en moins de deux mois, et sur les preuves retenues contre eux. Et s’il n’y a aucune preuve qu’ils représentent une véritable menace pour la sécurité d’Israël, ils doivent être libérés immédiatement.

This article was originally published in English

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