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L’université invitée au G7 : quelle contribution au débat des démocraties ?

Le groupe des universités est le dernier-né de ces « groupes d’engagement » qui représentent la société civile au sommet du G7. Shutterstock

Représentée par une quarantaine d’établissements, réunis sous le nom d’U7, l’Université participe les 9 et 10 juillet 2019 aux travaux du « groupe des Sept », ou G7, présidés cette année par la France. Ce fait inédit est significatif à deux égards :

  • Il confirme la volonté du G7 de se présenter, un peu contre vents et marées, comme le forum des démocraties dans un monde en pleine transformation politique.

  • Et il souligne le rôle singulier de l’Université dans la globalisation des sociétés, dont elle subit, mais aussi amplifie, les tendances diverses.

Lancement de l’alliance U7 en juin 2019.

Impliquer l’Université dans le dialogue des démocraties, tel que le conçoit le G7, n’est donc pas anodin. Car au-delà de la question de la responsabilité sociale des universités, régulièrement évoquée dans des contextes nationaux, l’hypothèse posée ici est leur capacité d’être des acteurs politiques à part entière sur la scène internationale.

Socle de valeurs communes

La présence de la société civile au sommet du G7 n’est pas en soi une nouveauté. Constitués en « groupes d’engagement », les syndicats sous le sigle L7 (Labour 7), les entreprises du B7 (Business 7) ou encore les ONGs du C7 (Civil 7) y participent depuis plusieurs années. Le U7, le groupe des universités, est le dernier né d’une constellation qui augmente progressivement. Depuis que le G7 n’est plus le G8, c’est-à-dire depuis que la Russie en a été exclue – après avoir envahi la Crimée en 2014 –, l’idée de faire du sommet annuel une forme de rencontre citoyenne s’est précisée.

Parallèlement, l’identité démocratique du groupe des Sept s’est affirmée. Le président Barak Obama a commencé par évoquer l’intérêt d’une concertation entre « like-minded countries », des pays partageant des vues similaires. En 2018, le communiqué du G7 était plus explicite : ses membres étaient guidés par des « valeurs communes de liberté, de démocratie, d’état de droit et de respect des droits de l’homme », y lisait-on dès les premières lignes.

Le G7 prétend donc à un rôle normatif qui le distingue du G20. L’hétérogénéité de situations dans le groupe des Vingt (pays laïcs et religieux, démocraties et régimes autoritaires) peut expliquer cette différence. Le paradoxe, bien sûr, est que le positionnement du G7 sur le terrain des valeurs communes s’affirme alors que ses membres ne sont plus autant des « like-minded countries » qu’auparavant.

Lors du dernier G7, au Québec, le président Donald Trump réclama le retour de la Russie au G7, se désolidarisa du communiqué final, et, pressé d’aller embrasser le dictateur nord-coréen Kim Jong‑un à Singapour, partit avant la fin du sommet… La présidence française compte cependant maintenir l’idée de dialogue des démocraties, voire la renforcer en invitant cette année l’Australie, l’Afrique du Sud, le Chili et l’Inde.

Cependant, au-delà du minimum démocratique que sont des élections libres, il y a entre, par exemple, une Angela Merkel et un Narendra Modi, des divergences qui vont bien plus loin qu’une simple question de style et qui touchent, précisément, aux valeurs et tout particulièrement celles qui protègent la société civile.

L’Élysée fait donc le pari qu’en dépit de ces disparités, il existe entre l’Atlantique et les rives américaines du Pacifique, une communauté de nations ayant des visions du monde suffisamment similaires, ou tout au moins des intérêts suffisamment proches, pour agir dans le même sens.

Défi des inégalités

Une des traditions du G7 requiert du pays hôte de définir un thème directeur pour les débats du sommet. La France a choisi « la lutte contre les inégalités », une annonce faite en décembre dernier, sur fond de révolte des gilets jaunes. La question des inégalités peut se décliner de manière quasi-infinie, comme l’atteste la liste des sujets mis en avant par l’équipe française : inégalité d’accès aux soins de santé, aux ressources vitales, à l’éducation, au numérique, inégalité homme-femme, et encore plus généralement inégalité de destin.

Alors que les voix des « oubliés » ou des « déclassés » de la mondialisation se font entendre à travers le monde, l’Université représentée au G7 apparaît comme un des lieux où se jouent certaines de ces inégalités de destin, et où la cristallisation des divergences de fortune est potentiellement forte. Car l’Université en question, le U7, est composé d’établissements qualifiés d’universités de rang mondial (« world-class universities »), celles-là même qui sont au cœur de la mondialisation de l’enseignement supérieur.


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D’après les estimations de l’Unesco, le nombre des « étudiants internationaux » dans le monde – c’est-à-dire la population qui se déplace à l’étranger pour étudier à l’université – est passé de 2 millions en 2000 à plus de 5 millions en 2017. Six pays accueillent la moitié d’entre eux : les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Australie, la France, l’Allemagne et la Russie.

Leurs pays d’origine sont principalement la Chine et l’Inde (respectivement 30 % et 20 % des étudiants internationaux aux États-Unis, eux-mêmes constituant de loin la première destination), ainsi que la Corée du Sud, le Nigeria, et l’Allemagne et la France qui sont à la fois « exportatrices » et « importatrices » d’étudiants.

Ces données recouvrent une myriade de réalités plus ou moins contrastées, à l’image de la mondialisation, heureuse et malheureuse. Dans l’absolu, la spectaculaire croissance de la mobilité étudiante est synonyme de progrès social à l’échelle mondiale. En particulier la présence des étudiants chinois et indiens, à peine visibles 20 ans plus tôt, illustre l’ouverture de l’accès à ce bien commun qu’est l’éducation.

Questionner les pratiques

Néanmoins, de cette internationalisation de l’enseignement supérieur sont exclus des pans entiers de l’humanité ; nombre de pays du Sud, certains territoires dans les sociétés du Nord ou dans les économies émergentes telles le Brésil et l’Inde dont développement est très inégal.

L’Université dispose d’outils pour rectifier en partie ces inégalités et les établissements dits de « rang mondial » les utilisent régulièrement. Mais l’intérêt de l’U7 pourrait être d’avoir une influence normative plus systémique, en proposant des politiques favorisant une internationalisation plus inclusive.

Face à la pléthore d’alliances et de conférences d’universités devisant de l’état du monde, on pourrait penser que l’U7 sera une énième congrégation de ce type. Cela ne devrait pas être le cas si le groupe parvient à remplir son premier objectif : ne pas se contenter d’observer le monde mais réfléchir à sa propre position dans ce monde.

En écho au thème du G7 – le problème des inégalités –, les universités de l’U7 pourraient être amenées à aborder des questions fondamentales sur leurs pratiques, la finalité de leurs activités, les citoyens qu’elles forment et les visions sociétales qu’elles véhiculent, tout cela sur fond de concurrence sans précédent entre établissements.

Bâtir « La bonne Université » (Raewyn Connell), contribuant à l’élaboration de sociétés plus équitables, plus tolérantes et respectueuses de la planète, est l’objectif qu’on discerne à l’horizon du communiqué de lancement de l’U7. Le défi, immense et nécessaire, est en phase avec l’air du temps qui exige sans doute d’invoquer un slogan d’autrefois : « soyons réalistes, demandons l’impossible ».

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