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Présentation de la collection 2019 de Gucci, principale responsable des très bons résultats du groupe Kering. Bertrand Langlois / AFP

Luxe : quelles évolutions en 2018 et après ?

L’année 2017 a été extrêmement faste pour l’industrie du luxe, en particulier pour les marques françaises. Pour confirmer ce succès, elles vont toutefois devoir s’adapter à d’importants changements. Quelles sont les tendances à suivre en 2018 et au-delà ?

2017 : des résultats records pour le luxe français

LVMH, numéro un mondial du luxe, a réalisé 42,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2017 (en hausse de 13 % par rapport à 2016) avec un résultat net dépassant les 5 milliards d’euros et un cash-flow disponible de 4,8 milliards d’euros (+20 % par rapport à 2016).

Kering a de son côté réalisé 15,5 milliards d’euros de ventes (+25 % par rapport à l’an dernier) avec un résultat opérationnel courant atteignant presque les 3 milliards d’euros et un cash-flow libre opérationnel franchissant les 2,3 milliards d’euros. À fin 2017, l’activité luxe représente 71 % du chiffre d’affaires soit 10,8 milliards d’euros à fin 2017 pour un résultat opérationnel courant de 2,9 milliards d’euros (document financier 2017). La progression du pôle luxe est remarquable : +27,5 % de chiffre d’affaires et +50 % de résultat opérationnel courant. C’est certainement l’une des raisons qui ont motivé Kering à annoncer en janvier 2018 son recentrage stratégique pour devenir un pure player dans le luxe. Précisons que cette hausse spectaculaire incombe essentiellement à Gucci, avec ses 6,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires (+44,6 % par rapport à 2016).

La société Hermès annonce elle aussi une année 2017 (encore) exceptionnelle, avec 5,55 milliards d’euros de ventes, une marge opérationnelle en hausse de 13 % à 1,92 milliard d’euros (34,6 % des ventes, la plus haute du secteur !) et un résultat net en progression de 11 %.

Richemont, le groupe suisse clôturant ses comptes au 31 mars 2018, a toutefois présenté des chiffres décevants lors de l’Assemblée générale du 18 mai 2018 avec un chiffre d’affaires de 11 milliards d’euros en hausse de 3 % à taux courants pour un résultat opérationnel de 1,8 milliard d’euros et un résultat net de 1 221 millions d’euros. Soit une hausse de 1 % uniquement par rapport à l’exercice précédent.

Une année 2018 qui débute sous les meilleurs auspices

L’année 2017 s’est donc achevée sur d’excellents résultats pour tous les grands acteurs français du luxe. Et 2018 semble continuer sur cette lancée, avec une forte progression des ventes sur le premier trimestre : +10 % pour LVMH, +27,1 % pour Kering et +11 % pour Hermès.

La performance boursière suit la même trajectoire avec des cours de bourse qui atteignent des sommets. Au 1er juin 2018, LVMH cotait 301,90€, Kering 491,80€ et Hermès 607,60€. Du jamais vu ! Leurs capitalisations boursières se sont envolées. LVMH affiche 151 milliards d’euros de capitalisation et conserve la tête du podium du CAC 40, loin devant Total (140 milliards d’euros). Kering et Hermès affichent quant à eux respectivement 62,1 milliards d’euros et 63,3 milliards d’euros de capitalisation boursière au 1er juin 2018.

Des chiffres qui donnent le tournis et permettent d’envisager sereinement les changements à venir. Des changements profonds que les Maisons devront embrasser…

Une stratégie digitale en plein essor pour toutes les marques de luxe

Le luxe avait pris du retard en matière digitale mais à présent les grandes marques développent une stratégie omnicanale. Si aujourd’hui les ventes se concrétisent encore principalement en magasin, plus de sept ventes sur dix sont toutefois influencées par des recherches en ligne. Au-delà des boutiques existantes, les maisons de luxe doivent capitaliser sur l’expérience en ligne. Il s’agit bien « d’expérience », car ces dernières veulent non seulement vendre en ligne mais surtout fédérer une communauté autour de valeurs et ont bâti leurs plates-formes Internet comme de véritables media.

Par exemple, le nouveau site d’Hermès, lancé le 3 avril 2018, est conçu comme un « flagship digital » (« vaisseau amiral digital »), qui « réunit e-commerce et contenus sur une seule adresse ». Disponible dans 18 pays européens en français, anglais, espagnol et allemand, il se distingue par son contenu éditorial élaboré et singulier. La Maison y décline ses métiers ou collections (femme, homme, maison, bijouterie et accessoires bijoux, montres, parfums…) dans des rubriques où s’entremêlent des photos des créations, des textes soigneusement choisis mais aussi des vidéos aussi bien informatives qu’esthétiques voire humoristiques. Tous ces contenus nous font pénétrer dans les mondes d’Hermès en nous révélant les savoir-faire, le travail des artisans, les évènements… D’abord testé aux États-Unis et au Canada avant son lancement en Europe, le site devrait également être déployé en Chine d’ici à la fin de l’année.

La Chine reste d’ailleurs, pour toutes les grandes marques de luxe, un territoire à part, où les réglementations sont moins strictes au niveau éthique et protection des données, notamment. Il y est possible, par exemple, d’utiliser la reconnaissance faciale. En outre, la conservation et le traitement des données ne sont pas soumis au RGPD en vigueur depuis le 25 mai en Europe.

Les ventes en ligne, nouveau relais de croissance pour le luxe

La place prise par la vente en ligne se renforce. Selon la dernière étude McKinsey publiée en février 2018, 20 % des ventes devraient être réalisées en ligne en 2025. Les marques de luxe investissent de plus en plus dans la transformation digitale. Ian Rogers, CDO (« chief digital officer ») de LVMH, précisait, dans un entretien aux Échos le 22 mai, à quelques jours de l’ouverture de VivaTech Paris 2018 :

« Internet a changé la définition du mot “local”. Avant, local signifiait “près de chez moi”. Maintenant, “local” signifie “intérêt partagé” […] »

Aujourd’hui les images postées sur Instagram par les internautes sont d’importants vecteurs d’image de marque, communiquant sur les aspects environnementaux ou éthiques par exemple. Ces instantanés se propageant très vite, les Maisons de luxe ont tout intérêt à co-construire cette image pour chacune de leurs marques. Les nominations et initiatives se succèdent donc, toujours plus nombreuses. La Maison Christian Dior Couture a annoncé début avril la nomination de Jens Riewenherm, jusqu’alors directeur général de la plate-forme de vente d’articles de luxe MyTheresa, comme Chief Digital Officer. Il devra développer la stratégie digitale chez Christian Dior.

Grâce au rachat de Yook-Net-à-porter (YNAP), Richemont, acteur majeur du luxe sur le secteur de la joaillerie et l’horlogerie (Cartier, IWC, Jaeger-LeCoultre, Van Cleef & Arpels…), va renforcer la distribution de ses produits en ligne et notamment développer les ventes de montres sur ce canal. Pour rappel, la société a annoncé le 10 mai 2018 avoir reçu l’apport provisoire de 94,99 % des actions de YNAP Group SPA, après avoir obtenu le feu vert de l’autorité de régulation de la Bourse italienne pour son offre de rachat des 51 % qu’elle ne détenait pas encore. La transaction définitive a été avalisée lors de l’assemblée générale du 18 mai 2018.

Le développement durable, un défi à relever

Conscientes de la raréfaction des ressources naturelles et de l’émergence de nouvelles préoccupations de leurs client·e·s, les Maisons de luxe affirment plus ou moins clairement leur politique et stratégie en matière de développement durable.

Le Groupe Kering est sans doute l’un des plus proactifs en la matière. Stella Mc Cartney (marque éponyme lancée par la créatrice Stella Mc Cartney, encore dans le portefeuille Kering en 2018 mais qui devrait bientôt retrouver son indépendance) a été une des marques pionnière, avec ses choix de fibres innovantes pour éviter la déforestation et l’utilisation de Re.Verso™, un cachemire régénéré, par exemple. Kering communique régulièrement en matière de développement durable que ce soit par le biais de sa fondationpour lutter contre les violences faites aux femmes, lancée en 2009, ou à travers la décision d’arrêter d’utiliser la fourrure animale pour les collections Gucci à partir de 2018. Et, surtout, par la création d’un compte de résultat environnemental (EP&L) destiné à mesurer les impacts du groupe sur l’environnement. Kering met d’ailleurs gratuitement à disposition une application simplifiée intitulée My EP&L.

Ces démarches et initiatives, qui sont encore relativement confidentielles ou timides pour un certain nombre de Maisons semblent se propager. Toutes les grandes marques ou signatures ont créé un onglet développement durable sur leur plate-forme Internet. Elles communiquent grâce à des films sur le sujet, des témoignages… Ainsi Hermès partage la collection des films « Empreintes sur le monde » du réalisateur Frédéric Laffont. Il est intéressant de noter que les Millenials, ou « Génération Y », accordent de plus en plus d’importance au développement durable comme l’indiquait Suzy Menkes, International Fashion Editor de Vogue lors de la « Youth Fashion Summit » de 2016 à Copenhagen : « Millennials hold the key to a sustainable future » (les Millenials ont dans leurs mains la clé d’un futur « durable »).

Les membres de cette génération ont un plus grand souci de l’éthique, et demandent également plus de transparence. Ils veulent être mieux informés sur l’origine des textiles ou des matériaux utilisés et devenant les nouveaux consommateurs du luxe de demain. Les Maisons de luxe devront l’intégrer pleinement dans leur stratégie et renforcer encore leurs actions et communication en la matière.

Les Millenials et la génération Z, la nouvelle clientèle du luxe

Les marques de luxe anticipent une transformation de leur clientèle. Selon Bain & Company, les Millenials ou « Génération Y » et la « Génération Z » (jeunes nés après 1995) devraient représenter en 2025 45 % du marché mondial du luxe pour le segment « personal luxury goods » (accessoires, vêtements, montres et bijoux, parfums et cosmétiques). Ce rajeunissement de la clientèle s’accompagne aussi d’un changement d’état d’esprit qu’on pourrait qualifier de « millenial state of mind », qui incite les Maisons de Luxe à réagir.

La plupart des marques de luxe ont identifié les attentes de cette génération, soucieuse de nouveauté et de service sans faille, totalement intégré. Elles ont d’ores et déjà adapté leur approche. Burberry, Balmain, Net-à-Porter pour ne citer que quelques exemples ont d’abord diffusé leurs contenus visuels sur Instagram, puis redirigé les utilisateurs sur WhatsApp et enfin ajouté des fonctionnalités spécialement dédiées à cette nouvelle génération dépendante de son téléphone portable. En offrant sur une même application la visualisation de contenu et la possibilité d’effectuer l’achat, elles augmentent considérablement la probabilité de concrétisation d’achat.

Ainsi, dans Social Media Is Powering a New Retail Wave, Matthew Woolsey, le directeur général de Net-a-Porter indique :

« Le mobile est le principal point de contact pour la culture digitale. C’est ainsi que nous voyons le futur de l’expérience dans le luxe se développer. Finalement, la conversation au travers de plates-formes telles WhatsApp est instantanée, plus rapide qu’un e-mail et plus personnelle. »

L’innovation et la créativité, une priorité

Développer des solutions alternatives pour faire face aux défis existants (raréfaction des ressources naturelles, utilisation des technologies, invention de nouveaux produits ou concepts…) tout en combinant les savoir-faire des artisans et les attentes des client·e·s… Le luxe va plus que jamais devoir faire preuve de créativité.

Pour y parvenir, de nombreuses Maisons ont déjà lancé des partenariats avec des écoles, des laboratoires de recherche… C’est notamment le cas de LVMH avec son programme INSIDE ou de Kering, qui a lancé en avril 2018 le premier MOOC (massive open online course) sur le thème « Fashion and sustainability : Understanding luxury fashion in a changing world » en partenariat avec le London College of Fashion. Souvent en lien avec le digital, ces initiatives ont pour objectif de réfléchir à ce que sera le luxe de demain, à repérer et recruter des talents, à stimuler la créativité.

Bien que plus discrète, Hermès a également fait de l’innovation son fer de lance. Rappelons-le, en 2016, Hermès a été classée première entreprise française en innovation dans le classement Forbes des 100 entreprises mondiales les plus innovantes (devant Iliad, Dassault Systèmes et Essilor). En 2018, la Maison a fait son apparition au Salon International de la Haute Horlogerie (SIHH) à Genève, en affichant clairement « l’innovation au service de la créativité ».

Les start-up, des partenaires privilégiés

Certains groupes se rapprochent aussi de start-up. Plusieurs grandes Maisons de Luxe ont par exemple été séduites par la start-up française Euveka, qui a conçu le premier mannequin-robot évolutif et connecté, Eminéo. Cette technologie innovante et brevetée a été récompensée au dernier Consumer Electronic Show de Las Vegas, salon international majeur consacré aux nouvelles technologies. Elle permet de réaliser des prototypages personnalisés et uniques, en fonction de la morphologie simulée d’une personne, et ainsi d’éviter les gaspillages.

Le salon Vivatech 2018 a accueilli en juin de nombreuses start-up collaborant déjà avec l’industrie du luxe, à l’instar de Southpigalle. Cette start-up, co-fondée par Olivier et Louis de Cointet et Henri d’Anterroches en 2015, a développé une solution de marketing cognitif permettant de converser sur différentes plates-formes (Messenger, emails, WhatsApp…). Grâce à l’intelligence artificielle, elle anticipe les demandes et les réponses à faire aux clients ou potentiels clients. Il lui est possible de savoir quel niveau de langage utiliser, à quel moment il faut passer de réponses faites par un Chatbot à une conversation avec un humain, etc.

LVMH a d’ailleurs ouvert en avril dernier la Maison des Start-ups, ainsi qu’un programme d’accélération chez Station F. Le numéro un mondial y a même intégré des intrapreneurs par le biais de son programme DARE (Disrupt, Act, Risk to be an entrepreneur), une initiative déjà renouvelée plusieurs fois depuis son lancement en 2017.

Évolution ou révolution ?

Le luxe a déjà amorcé sa transformation. Certes, le travail artisanal et le savoir-faire resteront un des atouts de ce secteur. Mais, pour conserver son positionnement en matière de qualité et de créativité sans cesse renouvelée grâce à ses directeurs artistiques, l’industrie du luxe devra oeuvrer à plusieurs niveaux.

Il s’agira non seulement de poursuivre le déploiement de sa stratégie digitale, mais aussi de prendre en considération les attentes des Millenials et de la génération Z, essentiels sur le segment des « personal luxury goods » (produits de luxe personnels), d’intégrer plus encore le développement durable, ainsi que de poursuivre ses investissements dans l’innovation, afin de découvrir de nouvelles matières et de nouveaux procédés ou techniques de production. Mais la transformation pourrait s’avérer plus profonde encore : les Maisons auront peut-être intérêt à penser de nouveaux modèles économiques. Voire, pourquoi pas, intégrer progressivement l’économie circulaire.

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