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James Bond (Daniel Craig) au volant d'une Aston Martin dans 'Mourir peut attendre'.
James Bond (Daniel Craig) au volant d'une Aston Martin dans ‘Mourir peut attendre’.

Martin, Aston Martin

James Bond, personnage de romans de Ian Fleming est devenu héros de cinéma en 1962, dans une saga cinématographique qui pèse plus de 7 milliards de dollars depuis sa création.

En 26 longs-métrages, la saga James Bond a évolué, traversant les époques et répondant aux attentes des spectateurs. Les derniers films de la saga, avec l’introduction en 2006 de Daniel Craig dans le rôle-titre, marquent une rupture. Le personnage apparaît à la fois plus robuste et plus fragile – plus proche de la formule du personnage telle qu’esquissée dans le roman original ; la tonalité s’assombrit. L’action et l’espionnage subsistent quand la comédie s’efface au profit du drame. Les films présentent un archétype narratif différent en s’articulant désormais autour d’une intrigue, d’un fil rouge. Ainsi le personnage commence-t-il chaque film avec les stigmates (physiques et psychologiques) du précédent.

Craig-Bond marque une rupture dans la saga.

En 2006, lorsque Daniel Craig est choisi pour incarner James Bond, certains fans lancent un site Internet appelant au boycott de Casino Royale. Cependant, le mandat des quatre (et supputons cinq) films de Daniel Craig en tant que 007 s’assimile à… une mission accomplie tant au niveau commercial (Casino Royale et Skyfall sont parmi les plus gros succès d’une franchise) que critique (les cinq nominations aux Oscars de Skyfall ont presque doublé le total de nominations de la série entière et l’ère Daniel Craig comptabilise 3 oscars sur les 6 au total pour la saga).

L’ère Daniel Craig a emmené le personnage de Fleming vers de nouveaux horizons. La sortie de Mourir peut attendre, programmée au printemps prochain, est l’occasion d’analyser le rôle de la marque Aston Martin et la manière dont elle participe à la construction du personnage dans sa nouvelle version. La marque légitime Daniel Craig en tant que James Bond, participe à la pérennité du personnage, et devient partie prenante du mythe 007.

Bond-Craig gagne ses galons

Pour la première fois en 1964 dans Goldfinger (Hamilton), James Bond conduit une Aston Martin – modèle DB5 – à l’instar de son alter ego littéraire (Goldfinger, Ian Fleming, 1959). La DB5 apparaît dans huit longs-métrages de la saga – Goldfinger, Opération Tonnerre (Young, 1965), GoldenEye (Campbell, 1995), Demain ne meurt jamais (Spottiswoode, 1997), Casino Royale, Skyfall, Spectre et Mourir peut attendre – ; elle est successivement conduite par Sean Connery, Pierce Brosnan et Daniel Craig. James Bond et son Aston Martin forment une alliance légendaire. James Bond n’est pas vraiment James Bond sans son Aston Martin, car James Bond sans son Aston Martin est un cow-boy sans son cheval.

Sean Connery, Goldfinger, 1964.

Dans le prologue de Casino Royale, l’agent britannique s’introduit dans une pièce réservée au personnel du casino : l’espace de télésurveillance. Bond visionne les images des caméras de l’hôtel à la recherche du visage de son ennemi. Celui-ci sort de sa voiture, une Aston Martin DB5. Ce James Bond débutant aperçoit la voiture via un écran interposé.

L’apparition de l’Aston Martin DB5 dans Casino Royale.

En plaçant le personnage dans la même situation que le spectateur de cinéma, le réalisateur distancie Daniel Craig du personnage de James Bond. Une mise en abyme habile pour signifier que l’acteur n’est pas encore « dans la place ». Néanmoins, l’agent identifie le véhicule, une « magnifique Aston Martin de 1964 » appartenant à Dimitrios, un terroriste lié au Chiffre. Plus tard, James Bond dispute une partie de poker avec son ennemi. Dans sa main, Dimitrios a un brelan de rois. Pour suivre Bond, il mise son Aston Martin DB5. James Bond suit et remporte la partie avec un brelan d’as. En sortant du Casino, il monte alors dans sa nouvelle voiture. Bond-Craig prend possession de son Aston Martin.

Dans cette scène, la voiture ne fait pas partie de la panoplie fournie par le MI6. James Bond doit se battre pour gagner le droit d’être au volant de l’Aston Martin, la voiture mythique de son personnage. C’est un combat stratégique : lorsque Daniel Craig a été dévoilé comme étant le prochain acteur à porter le costume de Bond, les médias ont insisté sur son physique, bien plus athlétique que ses prédécesseurs. Nous aurions pu nous attendre à une scène d’action musclée, mais Martin Campbell conçoit au contraire une scène de tension psychologique. Ce contre-pied représente l’enjeu de la scène ; le nouveau Bond a gagné son Aston Martin au jeu et acquiert en même temps, une certaine légitimité. Daniel Craig gagne ses premiers galons de James Bond en remportant l’Aston Martin de Dimitrios. Un coup de poker pour la production : imposer un acteur très différent des standards et de l’imaginaire bondien, mais aussi pour le nouveau héros qui devient peu à peu le personnage.

Bond-Craig pour la première fois au volant de l’Aston Martin DB5 dans Casino Royale.

Si la scène de prologue dévoile la façon dont le protagoniste devient un Double-0. Dans l’esprit du spectateur, il n’est pas encore établi en tant que James Bond. Et en s’installant au volant de la DB5 d’Aston Martin, Daniel Craig gravit une marche symbolique vers son personnage. Ce placement de produit peut être qualifié de narratif, car il constitue à lui seul un nœud dramatique majeur et lance l’intrigue. Il est également qualifiant, l’Aston Martin insérée représente un attribut primordial et fondamental à la construction identitaire de James Bond et de son univers codé.

Aston Martin bat des records

Pour preuve, plus tard dans sa mission, et ayant gagné la confiance de « M », le MI6 lui confie une nouvelle voiture : une Aston Martin DBS, dernière génération. Ce nouveau modèle de la marque est dévoilé dans le film. Et si le nouveau visage de Bond doit convaincre en se surpassant dans son rôle (et dans les revenus économiques qu’il doit engendrer), sa voiture semble en symbiose, car elle bat, elle aussi des records : l’Aston Martin DBS réalise sept tonneaux consécutifs à 120 km/h, record mondial du plus grand nombre de tonneaux (selon le Guiness Book). La voiture en sort pulvérisée, mais réussit l’exploit de protéger l’agent qui sort indemne de cette impressionnante cascade. Comme l’armure d’un chevalier des temps modernes, la voiture est inséparable de 007. La DBS intervient également dans la séquence d’ouverture de Quantum Of Solace. James Bond/Daniel Craig débute sa vengeance au volant de ce modèle puissant dans une course poursuite qui met en avant les performances de la voiture. L’agent interprété par Daniel Craig s’est lié à jamais à Aston Martin et continue son association, pour ne pas dire son partenariat, dans les opus suivants.

Les quatre modèles d’Aston Martin dans le film Mourir peut attendre (sortie prévue en avril 2021).

Prochainement en salle, Mourir peut attendre comporte quatre modèles d’Aston Martin : la mythique DB5, l’Aston Martin V8 (similaire à celle du film de 1987 Tuer n’est pas jouer), la DBS Supperleggera (pilotée par le nouvel agent féminin 00 Nomi) et la Valhalla (révolutionnaire à moteur central). Aston Martin renforce sa présence filmique et confirme ainsi sa filiation avec la saga Bond en exposant dans le film des « Aston Martin emblématiques d’hier, d’aujourd’hui et de demain ».

De la rupture au retour à la tradition

Si Bond-Craig conduit une Aston Martin, la mise en scène du produit est en rupture avec celle des films précédents : la voiture n’est qu’une voiture, elle n’est pour une fois pas assortie de gadgets innovants. Il faut attendre Skyfall pour que le responsable de la section « Q » du MI6 qui invente et fournit les célèbres gadgets à 007 soit de retour. Skyfall est le film des 50 ans de la franchise cinématographique. Il sonne comme un hommage à la saga : le film fait écho au passé tout en faisant table rase. Skyfall cristallise cette tension entre le retour aux fondamentaux et le changement d’époque. Néanmoins, Skyfall et les films suivants conservent les acquis des six années précédentes : esprit sérieux et tonalité sombre sans pour autant renier l’héritage de la saga. Le film marque le retour de certains des éléments traditionnels – tels que les placements de produits gadgets – qui avaient disparu des précédents films avec Daniel Craig.

Dans le film, « Q » prévient Bond – et les spectateurs : « Vous vous attendiez peut-être à un stylo explosif ? On ne fait plus trop ce genre de gadgets de nos jours… ». Pourtant, l’Aston Martin mise en scène dans Skyfall (re)dévoile tous ses atouts. Comme l’originale de Goldfinger, elle est équipée de gadgets : deux mitraillettes dans le pare-chocs avant, des vis crève-pneus dans les essieux arrière, un siège éjectable pour passager hostile, une plaque d’acier anti-balles qui se dresse derrière la lunette arrière et un dispositif qui disperse de l’huile glissante pour semer une voiture en cas de poursuite. Si le stylo n’explose plus, la voiture (re)devient une arme comme au temps des premiers James Bond.

Dans la dernière partie du film, les hommes de Silva font littéralement exploser la légendaire voiture ce qui provoque la colère, presque irrationnelle, de 007. Cribler son Aston Martin revient à le toucher au plus profond de lui. L’Aston Martin à gadgets fera toujours partie de James Bond même si elle vole en éclat dans le film : une scène visuellement impressionnante pour célébrer les 50 ans de 007.

Dans le film suivant, Spectre, la DB5 n’est qu’une carcasse avant d’être remise à neuf dans l’atelier de « Q ». À la fin de l’histoire, Bond choisit de quitter le MI6 plutôt que Madeleine. Avant de tirer sa révérence avec son nouvel amour au bras, il récupère son Aston Martin de 1964, la « dernière chose » dont il a besoin. Et l’histoire entre Aston Martin et 007 n’est pas terminée car Bond-Craig et sa célèbre monture seront de nouveau de la partie dans Mourir peur attendre.

L’explosion qui détruit la mythique Aston Martin DB5 dans Skyfall.

L’effet performatif du placement de produit

La marque est inhérente à l’univers et au personnage de 007 et il est difficile de cerner si ce sont les films qui font la promotion d’Aston Martin ou si la marque sert à construire le film. Les deux entités se répondent, s’enchevêtrent et s’emboîtent dans une forme de symbiose sémantique. Le fan de James Bond a attendu trois films avant de retrouver un attribut essentiel à la saga : les produits truqués notamment l’Aston Martin-gadget-arme. Du point de vue du placement publicitaire, la présence du produit dans le film fonctionne comme un teaser : film après film, une attente se créée jusqu’au climax qui révèle l’indispensabilité et la suprématie du produit.

Plus encore, la sortie du prochain opus s’accompagne d’une annonce importante de la marque. Aston Martin décide, après une jachère de près de 55 ans, de reprendre la production de la DB5. Vingt-cinq unités produites et vendues chacune trois millions d’euros. Il ne s’agit pas d’une DB5 ordinaire, mais de la DB5 de James Bond. Créée en partenariat avec les producteurs des films, EON Productions, la voiture porte la dénomination de « DB5 Goldfinger Continuation » et dispose de certains gadgets utilisés dans les films : le générateur de fumigène, les supports de plaque d’immatriculation rotatifs, les butoirs de pare-chocs escamotables et le téléphone dans la porte conducteur.

Aston Martin relance la fabrication de la DB5 de James Bond.

Aston Martin a bâti une opération de storytelling sur plusieurs années en s’inscrivant au cœur de la saga cinématographique. La marque brouille ainsi la frontière entre la fiction et le réel, entre l’identité de l’acteur et celle du personnage (Comme dans le spot publicitaire « Daniel Craig VS James Bond », produit par Heineken (États-Unis, 2020), entre la voiture fictive et celle vendue en concession.

La nouvelle « DB5 Goldfinger Continuation » donne l’illusion au consommateur d’être un super agent ou, à défaut, d’être un consom’acteur. Les films 007 ont besoin de la marque pour immortaliser le personnage bondien. La marque a besoin des films pour pérenniser son prestige et la fascination qu’elle inspire. James Bond et Aston Martin, ou comment un placement de produit façonne une alliance indéfectible.

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