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Ne laissons pas l’administration Trump affaiblir le « GIEC de la biodiversité »

Sur plus de 85 000 espèces suivies dans le monde, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en dénombre plus de 24 000 qui sont menacées, à l’image de la bécassine des marais sur le territoire français. Bernard Dupont/Wikipedia, CC BY-SA

Alors que la Maison-Blanche devrait donner dans les jours qui viennent sa position sur l’Accord de Paris – en sortir ou y rester pour mieux l’infléchir –, l’inquiétude plane toujours sur l’influence de la nouvelle administration américaine sur l’action internationale pour l’environnement.

Pour les scientifiques et militants du climat et de la biodiversité, la question est notamment de savoir si l’implication des gouvernements, encore insuffisante au vu de l’urgence climatique et de l’extinction massive des espèces, ne sera pas enrayée par les prises de position de l’équipe Trump.

Une offensive sur le « GIEC de la biodiversité » ?

La dernière réunion annuelle de l’IPBES – la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques, aussi surnommée le « GIEC de la biodiversité » – qui s’est déroulée début mars à Bonn n’a pas été de bon augure. Il s’agissait de la première conférence internationale d’envergure sur l’environnement depuis la prise de fonction de Donald Trump et les discussions budgétaires y ont été extrêmement tendues.

L’IPBES a pour objectif d’évaluer l’état de la biodiversité, les conséquences socio-économiques de son érosion et les actions, en particulier en termes de politiques publiques, à mettre en œuvre pour freiner celle-ci. Depuis sa création, elle est coutumière des discussions budgétaires difficiles et des bouclages de dernière minute. Le financement de ses activités, par les États essentiellement, est en effet souvent insuffisant (pour des besoins pourtant identifiés et connus de tous) et il est habituel qu’une partie du budget reste à mobiliser au moment de son adoption.

Gilles Bœuf (président du Muséum national d’histoire naturelle de Paris) explique sur le rôle et l’organisation de l’IPBES (Cirad, 2013).

Mais cette année, arguant qu’elle ne pouvait accepter de prendre le risque d’accepter un budget dont l’ensemble des financements ne serait pas encore assuré et que son « nouveau patron », Rex Tillerson, « n’avait jamais de sa vie rendu un budget dans le rouge », la délégation américaine a proposé… de réduire de moitié le budget prévisionnel pour 2018 ! Une proposition qui a bien failli conduire à une paralysie quasi-complète de l’IPBES pour l’année prochaine.

Bien que présentée sous des arguments de bonne gestion, cette proposition aurait fait courir le risque pour l’IPBES de ne pas livrer ses rapports en cours, qui ont mobilisé le travail de centaines de scientifiques dans le monde depuis trois ans, et qui doivent alimenter les négociations des États dans d’autres arènes de protection de la biodiversité. En particulier, les travaux de l’IPBES doivent servir à appuyer les discussions à venir à la Convention sur la diversité biologique (CDB) où les États devront bientôt définir les nouveaux contours de la coopération internationale pour stopper l’érosion de la biodiversité, et décider des engagements qui succéderont aux « objectifs d’Aichi » en cours jusque 2020.

Par ailleurs, le signal transmis au niveau international, tant vers les scientifiques que les décideurs politiques et économiques, aurait été profondément démobilisateur et aurait pu menacer sérieusement l’existence même de l’IPBES.

Grâce à l’implication de la présidence et du secrétariat de l’IPBES, un budget de survie a été adopté in extremis. Il permettra à l’IPBES de finaliser ses travaux en cours, mais pas de lancer ceux encore en attente. La réunion de l’année prochaine, qui se tiendra du 19 au 25 mars 2018 à Medellín, en Colombie, s’annonce donc particulièrement difficile.

Talon d’Achille budgétaire

Au-delà des sorties fracassantes, la ligne politique de l’administration Trump peut donc, comme l’illustre cet épisode, se traduire par une déstabilisation et une réorientation de l’action internationale sur l’environnement, moins visible du grand public, mais tout aussi lourde de conséquences, à l’heure où l’enjeu est la mise en œuvre des engagements déjà pris. Que faire pour s’en prémunir ?

Les institutions où se déroulent les négociations internationales sur l’environnement, de par leur construction, leur architecture, ou la manière dont les pays ont formé des coalitions, présentent des points faibles sur lesquels un acteur puissant comme les États-Unis, disposant d’équipes de négociateurs extrêmement compétents, peut facilement appuyer pour orienter les discussions.

Dans le cas de l’IPBES, le problème principal réside dans l’insuffisance de son budget, ainsi que dans un clivage Nord-Sud entre les États, qui tend à s’exacerber sur ce sujet. Toutefois, sur les 126 États qui composent la plateforme, seuls une vingtaine, essentiellement des pays développés, contribuent au budget. Certains pays émergents majeurs qui y siègent n’y apportent pas un dollar tout en demandant le lancement d’actions qui aujourd’hui ne sont pas financées.

Dans ce contexte, les discussions restent très tendues entre pays contributeurs et non contributeurs, et c’est justement cette tension, habituelle, qui a permis cette année aux négociateurs américains de tenter d’imposer, en toute fin de plénière et sans rencontrer de résistance majeure, une position budgétaire extraordinairement contraignante et qui aurait pu mettre en péril l’avenir de la plateforme.

L’heure est à la mobilisation

La biodiversité va mal, et l’on n’en prend pas assez la mesure. Et les sublimes documentaires naturalistes, comme ceux de Sir David Attenborough pour la BBC, aussi fascinants soient-ils, sont malheureusement trompeurs.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, notre monde a changé plus rapidement que ce que nos imaginaires collectifs et notre débat public n’ont été capables d’absorber. Les modifications planétaires liées aux activités humaines ont connu ce qu’un nombre croissant d’auteurs nomme la « grande accélération », qui a vu littéralement exploser l’exploitation des ressources naturelles dans le monde, sur terre et sur mer.

Les espaces considérés comme sauvages sont ainsi devenus très minoritaires sur les terres émergées au cours du XXe siècle. Dans les mers, les quantités pêchées sont telles que la probabilité d’effondrements brutaux et en série des stocks de poissons (comme cela a été le cas pour le cabillaud dans l’atlantique Nord-ouest) est prise au sérieux en regard des dernières données sur la pêche.

De récentes études montrent que le taux d’extinction des espèces au cours du siècle dernier est 100 fois plus élevé que le taux moyen d’extinction observé sur le long terme ; cela renforce l’hypothèse selon laquelle une sixième extinction de masse serait en cours.

Or on manque encore de connaissances sur l’étendue de ces changements massifs, sur leurs conséquences pour l’ensemble du monde vivant et les écosystèmes et sur ce que cela implique pour la subsistance matérielle des populations humaines.

L’IPBES constitue dans ce cadre un instrument essentiel pour stimuler la production de ces connaissances, leur synthèse et leur plus large communication. L’étude mondiale sur les pollinisateurs, la pollinisation et la production alimentaire de l’IPBES a ainsi permis de mettre en évidence que l’on ignore encore beaucoup de choses de l’écologie et de l’état de conservation de la majorité des espèces de pollinisateurs sauvages dans le monde ; ces derniers assurent pourtant la majeure partie de la pollinisation des cultures et jouent donc un rôle majeur pour la sécurité alimentaire.

Elle a aussi montré que les connaissances disponibles indiquaient un important déclin chez les populations de nombreuses espèces pollinisatrices (37 % des espèces d’abeilles et 31 % des espèces de papillons en Europe) et a clairement établi que ce déclin était surtout dû aux pratiques agricoles intensives via la perte d’habitats et l’utilisation de pesticides. Enfin, l’étude a identifié de nombreuses pistes d’action pour la conservation des pollinisateurs.

Les rapports en cours de l’IPBES, et ceux en attente, apporteront eux aussi leurs lots d’éclaircissements précieux sur l’état de la biodiversité et les enjeux de sa préservation ; ils permettront de rendre ces connaissances accessibles aux gouvernements et à l’ensemble des acteurs. Au vu des enjeux et de l’importance de la mission confiée à l’IPBES par les gouvernements du monde, les sommes en question – il manque environ 3 millions de dollars pour 2018 – restent dérisoires pour la communauté internationale. Une plus grande mobilisation de tous les États, chacun à la mesure de ses moyens, est essentielle pour l’avenir de l’IPBES et pour la prémunir contre de potentielles tentatives d’affaiblissement.

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