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Image de  NIRCam (gauche) dans le proche infrarouge et de MIRI (droite) dans l’infrarouge moyen
La fin de vie spectaculaire de cette étoile atteint des proportions cosmiques: la nébuleuse fait environ 1,4 année-lumière de diamètre, soit 600 fois la distance qui nous sépare de la sonde Voyager 1 — l’objet le plus lointain de la Terre jamais envoyé par l’Homme. Ici, elle est imagée par les instruments du télescope spatial James-Webb. NASA

Observez la mort d’une étoile

Deux caméras infrarouges embarquées par le télescope spatial James-Webb ont capturé des images spectaculaires de la « Nébuleuse de l’anneau austral », aussi appelée NGC 3132, située à environ 2500 années-lumière de la Terre, soit 24 billiards de kilomètres (soit 24, suivi de 15 zéros). Cette « nébuleuse planétaire » est formée de gaz expulsé – c’est une étoile en fin de vie.

Jusqu’à présent, on pensait que deux étoiles seulement façonnaient les nuages de gaz environnants. Mais aujourd’hui, grâce au télescope spatial James-Webb, on observe en détail les résidus de la mort désordonnée d’une étoile au sein d’un système de quatre ou de cinq étoiles. Ceci nous permet de mieux comprendre les systèmes constitués de plusieurs étoiles (qui peuvent notamment produire des ondes gravitationnelles lors d’événements cataclysmiques), mais aussi de mieux appréhender comment ce type d’étoiles meurt, un phénomène qui est encore assez mal compris.

En effet, alors que les nébuleuses planétaires nous racontent la fin de l’histoire de plus de 90 % des étoiles plus massives que le Soleil, elles sont paradoxalement difficiles à observer. C’est parce qu’elles sont peu nombreuses, du fait de leur durée de vie très courte aux échelles astronomiques : moins de 10 000 ans, à comparer aux 13,8 milliards d’années de l’univers. En somme, il n’y en aurait que 1500 observables dans la Voie lactée, notre galaxie.

Mais qui a éjecté ce nuage de gaz et de poussières ?

Les images dans l’infrarouge proche (à gauche, prise par l’instrument NIRCAM) et dans l’infrarouge moyen (à droite, prise par MIRI) montrent une première étoile au centre des deux images.

Mais cette étoile la plus brillante en lumière visible ou proche infrarouge, à un stade précoce de son évolution stellaire, n’est pas responsable de la nébuleuse planétaire : nous l’appellerons le compagnon visuel. Localisé à trop grande distance (à 7,5 jours-lumière) de l’étoile à l’origine de la nébuleuse planétaire, le compagnon visuel n’a joué qu’un rôle secondaire dans la structuration du phénoménal nuage de gaz et de poussière.

La seconde étoile du système est ultrachaude (quelque 130 000 °C), on ne la voit bien que sur le cliché de droite, juste à gauche de l’étoile visuelle. Cette seconde étoile est bien celle responsable de la nébuleuse planétaire, elle a expulsé le gaz de ses couches externes lorsque la fusion de l’hydrogène en hélium n’a plus été possible en son cœur par manque de combustible (lorsqu’elle est « devenue instable gravitationnellement »). Après effondrement, cette génitrice est devenue une « naine blanche ». Elle avait été repérée par le télescope spatial Hubble, mais les nouvelles observations, et en particulier grâce au compagnon visuel, permettent de mesurer plus précisément la masse de la génitrice avant effondrement : un peu moins de trois fois la masse du Soleil.

La même nébuleuse, toujours magnifique mais avec moins de détails
La nébuleuse de l’Anneau austral observée par le télescope spatial Hubble (l’image est tournée par rapport à celles du James-Webb). NASA/The Hubble Heritage Team (STScI/AURA/NASA)

Mais la grande découverte faite grâce aux nouvelles données du télescope spatial James-Webb, c’est en fait la présence de deux ou trois étoiles supplémentaires… qui ne sont pas directement visibles sur les clichés ! On dit qu’elles ne sont « pas résolues » car la distance séparant chacune d’elles de l’étoile visuelle, centrale et très brillante, est plus petite que le plus fin élément de résolution, soit environ 0,43 jour-lumière, que ces images pourtant très détaillées fournissent.

Voir une étoile supplémentaire… sans la voir

Comment sait-on qu’il y a d’autres compagnons de la naine blanche, si on ne les voit pas ?

Il y a d’abord le système d’arcs concentriques au centre de la nébuleuse, révélé par les images de JWST. On peut l’expliquer en invoquant un autre compagnon stellaire créant des motifs spiraux : c’est la troisième étoile du système, invisible, celle-ci.

Cette étoile invisible aurait précipité la mort de la seconde étoile et la perte de son enveloppe extérieure par interaction de « marée gravitationnelle », c’est-à-dire que l’attraction entre les deux étoiles l’une envers l’autre était si forte qu’elles se sont « déchirées ».

Une deuxième étoile supplémentaire

Ce n’est pas la fin de l’histoire. Au contraire de ce que l’on observe en lumière visible ou en infrarouge proche, en infrarouge moyen l’étoile centrale apparaît plus brillante que son compagnon visuel.

photo légendée indiquant les éléments discutés dans le texte
L’anatomie de la mort d’étoile à l’origine de la nébuleuse de l’anneau austral. NASA, modifié par l’auteur, Fourni par l'auteur

Cet excès de lumière infrarouge découvert par les images de MIRI indique qu’une quantité considérable de poussière chaude est présente autour de l’étoile centrale.

La troisième étoile ne peut pas être la seule tenue responsable de la formation du disque, elle est trop loin de l’étoile centrale. Une interaction avec une quatrième étoile, encore beaucoup plus proche de l’étoile centrale que la troisième étoile, est nécessaire pour expliquer ce disque de poussière. En orbitant autour du centre de masse du système d’étoiles, cette quatrième étoile agite la poussière et le gaz et participe à la création des structures asymétriques que l’on observe.

Une troisième étoile supplémentaire ?

Nous avons donc un quatuor dont les trois acteurs principaux sont l’étoile centrale, son compagnon proche et son autre compagnon très proche, tous deux invisibles – le quatrième larron étant le lointain compagnon visuel. Ce scénario avec deux étoiles très proches est renforcé par la forme allongée de la cavité interne.


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Ce n’est peut-être pas tout, car les nombreuses protubérances de cette cavité interrogent. La modélisation de cette cavité de gaz ionisé plaide pour la présence de nombreux jets intermittents qui ne peuvent pas être produits par un système binaire, mais nécessiteraient un trio d’étoiles très proches du centre. Ces séries de jets bipolaires auraient poussé la matière éjectée par l’étoile dans des directions spécifiques qui correspondent aux axes des éjecta complexes. Nous aurions dans ce cas un quintette. Cette dernière hypothèse est plus incertaine, car elle dépend de l’appariement des protubérances observées.

Ainsi, l’ancêtre de la nébuleuse planétaire de l’Anneau austral devait contenir au minimum un quatuor, voire un quintette d’étoiles, orbitant à l’intérieur d’un espace très restreint de quelques jours-lumière.

La structure du gaz expulsé : coquilles imbriquées et filaments

De plus, les observations dans l’infrarouge proche permettent de découvrir une multitude de petits faisceaux de lumière qui sont parvenus à se frayer un chemin à travers les interstices du cocon de poussière et de gaz, ce qui crée ce tissu de dentelle.

Des simulations numériques permettent de reconstruire la forme tridimensionnelle de la nébuleuse et son évolution : des structures qui ressemblent à deux bols s’écartant l’un de l’autre avec un grand trou au centre, avec des coquilles emboîtées.

Image des instruments du James Webb et modèle
À gauche, une image de l’hydrogène moléculaire découvert avec les instruments du télescope James-Webb ; à droite, le modèle physique correspondant basé sur des coquilles concentriques. De Marco et collaborateurs, Nature Astronomy 2023, Fourni par l'auteur

Ces coquilles permettent de retracer l’histoire de la nébuleuse planétaire : chaque coquille représente un épisode de la vie de l’étoile, durant lequel elle a éjecté une partie de sa masse. Les premiers éjecta se propagent (à environ 15 kilomètres par seconde) depuis plus longtemps dans le milieu interstellaire et se retrouvent dans les coquilles les plus externes, ceux plus récents dans les coquilles les plus internes. Leurs vitesses de propagation diminuent avec le temps, ralenties au contact de la matière interstellaire.

La matière des différentes coquilles se mélange à la matière du milieu interstellaire ; dans certaines régions, de la poussière et des molécules se forment. Ces éléments iront enrichir l’espace intersidéral et se retrouveront, dans des centaines de millions d’années, à l’origine de la formation de nouvelles étoiles et de nouvelles planètes… il est toujours intéressant de se rappeler que nous n’existerions pas si éléments dont nous sommes constitués n’avaient pas été fabriqués dans de distances étoiles et transportés jusqu’à nous avant la formation de notre système solaire et planétaire – c’est le fameux « Nous sommes tous des poussières d’étoiles » d’Hubert Reeves.

Les nouvelles observations ont permis de révéler un halo très étendu, constitué par de l’hydrogène moléculaire, empruntant vers l’extérieur la forme de milliers de fins segments bleu et vert entrecoupés de coquilles elliptiques et, plus à l’intérieur, la forme d’un anneau floculant, entourant le nuage d’hydrogène atomique ionisé par l’étoile. C’est l’étoile de faible masse, non visible sur les images, en orbite autour de la naine blanche à une distance de 50 fois la distance Terre-Soleil, qui est probablement responsable de cette structure complexe.

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