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Peut-on avoir un accent en politique sans être moqué ?

L'Assemblée nationale, le 7 novembre 2023. Thomas Samson/AFP

Le 20 octobre 2023, Tematai Le Gayic, député Nupes de Polynésie française, prend la parole dans le cadre de la motion de censure déposée après un 49.3 entérinant l’adoption du projet de loi de finances 2024. Rapidement, dans les médias comme sur les réseaux sociaux, la juxtaposition de sa variante de prononciation (son « accent ») et des rires hilares des membres du gouvernement ont fait penser à de la glottophobie – une discrimination sur l’accent.

Les faits permettent-ils d’affirmer qu’il y a ici un acte manifeste de discrimination sur l’accent ? Plus généralement, peut-on avoir un accent en politique et être crédible ?

Une histoire des accents en politique

Avoir un « accent » – ou plutôt ne pas avoir l’accent « parisien » « standard » – en politique est un prétexte récurrent qui amène discussions et moqueries. Et, les exemples sont nombreux. On soulignera, en particulier, que c’est toute la sphère politique qui est touchée. Jean-Michel Apathie dans son livre et dans des nombreuses interviews explique en quoi l’« accent du sud » a été un problème dans sa légitimité de journaliste politique. L’accent de Jean Castex, alors premier ministre, a aussi fait l’objet d’une analyse.

À l’inverse, certains politiques sont eux-mêmes amenés à dénigrer l’accent des journalistes, comme a pu l’imiter Jean-Luc Mélenchon face à Véronique Gaurel, une journaliste de France 3 originaire de Toulouse :

« Vous dites n’importe quoi. Est-ce que quelqu’un peut me poser une question en français et à peu près compréhensible ? Parce que votre niveau me dépasse ».

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L’accent (ou son locuteur) peut être assigné comme « régional » ou « étranger ». Lors des élections présidentielles de 2012, Eva Joly a fait les frais de ce climat en commençant par la chronique de Patrick Besson intitulée « Zalut la Vranze ! » Elle laissera des traces indélébiles sur sa campagne malgré son clip humoristique et autodérisoire.

Eva Joly (EELV) en campagne en 2012 « La France résonne de tous les accents du monde ».

Elle sera régulièrement amenée à répondre de son accent comme handicap, par exemple face à Laurent Ruquier dans « On n’est pas couché » qui a fait l’objet d’une étude en sociophonétique. Sa ligne de défense sera toujours de rappeler sa légitimité de part sa double nationalité et son métier de magistrate. De plus, son cas montre de quelle manière ces représentations évoluent. En 2010, son accent appelait au « charme de sa voix douce à l’accent voilé » dans Les Echos. Puis, Boula de Mareüil, spécialiste des accents, souligne deux autres représentations : une origine « scandinave » pour son engagement écologiste et une origine « allemande » pour sa supposée froideur.

Un éventail de variantes de prononciation

Il s’agit de reconnaitre que tout locuteur peut disposer d’un éventail de variantes de prononciation qu’il mobilise en fonction de ses interlocuteurs, des situations – une pluriphonie ; les individus n’ont donc pas un « accent » mais plusieurs.

Marie-Arlette Carlotti, ministre et députée, est un cas d’école en sciences du langage sur cette question. En 2013, elle avait été « épinglée » pour avoir produit deux « accents » différents, passant d’un « accent parisien » pour une interview sur LCI dans ses fonctions de ministre à un « accent du sud » sur Canal+, pour vanter les mérites de Marseille, où elle briguait un mandat. Médéric Gasquet-Cyrus, professeur en sciences du langage à l’Université d’Aix-Marseille, avait pu revenir dans Slate sur ce phénomène considéré comme normal. Plus ponctuellement, Emmanuel Macron en déplacement à Marseille fait entendre un « accent marseillais » lorsqu’il s’adresse au « ministre de l’intérieur » dont on ne peut évacuer l’hypothèse d’une forme de convergence communicative- phénomène qui nous fait parfois produire en miroir l’accent de nos interlocuteurs.

Le contexte au service de l’analyse en linguistique appliquée

Dans le cas du député de Polynésie française (Nupes), les raisons des ricanements traduisent aussi le contexte politique.

Tematai Le Gayic est reconnu pour être le plus jeune élu de l’Assemblée nationale, membre de l’opposition. Son intervention le 20 octobre 2023 est sa 29ᵉ intervention en séance publique. La séance est ouverte à 21h30. Les débuts sont houleux car la première ministre est en retard. Tematai Le Gayic prend la parole en 8e sur la liste des responsables de groupe qui se succèdent. Une colère plus ou moins froide gronde dans l’hémicycle – type de colère constitutif de ces échanges politiques comme a pu l’analyser, dans sa thèse, Charlotte Kouklia.

Tematai Le Gayic, député Nupes de Polynésie Française, ici lors d’une session parlementaire en juillet 2022. Christophe Archaumbault/AFP

Dans cette ambiance, les rires réguliers des membres du gouvernement sont soulignés comme une forme de mépris par les différents intervenants tout au long de la séance : M. Bouloux « cela vous fait sourire » ou encore E. Taché de la Pagerie « Mais, ça fait rire la Première ministre ! » ou « Visiblement, ce qui se passe à l’Assemblée est très drôle ! (L’orateur s’agace de rires récurrents sur les bancs du Gouvernement.) ». Tematai Le Gayic intervient, en premier lieu, pour rendre hommage au dernier combattant du bataillon pacifique disparu la veille. L’ambiance semble respectueuse comme le transcrit le compte-rendu de séance :

« (Applaudissements sur les bancs des groupes RE, LFI-Nupes, LR, Dem, SOC, HOR, Écolo-Nupes, GDR-Nupes, LIOT et quelques bancs du groupe RN.) »

Revenant au sujet du 49.3, le député – dont les talents d’orateur sont reconnus- propose un style en rupture à ces prédécesseurs : traits d’humour, élocution respirée, renvoi à ces collègues de l’hémicycle, non-utilisation de ses notes au bout de quelques minutes. Si l’enregistrement de la séance ne permet pas de voir les membres du gouvernement sur toute l’intervention, les rires sont visibles au moment où il renvoie la responsabilité de l’échec de la motion aux groupes qui ont peur d’une dissolution.

« … ceux qui peuvent faire basculer la situation ne veulent pas retourner aux urnes, car ils ont peur de ne pas être réélus, d’être confrontés au peuple – c’est le vrai problème. »

On entend à la fin les remerciements amusés de Yaël Braun-Pivet, Présidente de l’Assemblée nationale. Ainsi, peu de faits disponibles (retranscription, captation) permettent d’étayer directement l’hypothèse d’une glottophobie manifeste. En effet, les membres du gouvernement donnent à voir des rire liés, selon eux, au fait que le député souligne la responsabilité des autres groupes parlementaires.

Du cas particulier à une transition indispensable dans le discours politique

Cependant, il ne s’agit pas de penser cet épisode comme un cas particulier et unique mais au sein d’un système de situations, de commentaires ou de « remarques insidieuses » comme Elatiana Razafimandimbimanana et Fabrice Wacalie l’étudient dans le cadre des micro-agressions linguistiques. Ces chercheurs rappellent que :

« En apparence ordinaires, voire bien intentionnées, ces petites réflexions, une fois intériorisées, finissent par provoquer des inhibitions linguistiques et nourrissent en parallèle le sentiment de ne plus être un locuteur légitime. »

Sur le cas de Jean Castex, les chercheurs Philippe Chassé et Alizée Pillod soulignent que son accent a largement été mentionné (202 articles parus entre le 3 et le 31 juillet 2020) et qu’il est rarement présenté de manière neutre (surtout négative). Par ailleurs, les médias utilisent souvent cette dimension « atypique » pour créer un récit qui n’appartient plus à l’individu lui-même (accent = proche des enjeux « en région » voire « ruraux »).

Pour Tematai Le Gayic, son âge (largement repris dans les médias) tout autant que son accent ont très certainement participé à subir une verticalité discursive. Les rires ont notamment masqué le contenu de son propos portant sur un exemple polynésien de la gestion de l’instabilité politique mais aussi des conséquences d’un 49.3 (essais nucléaires) dans la conscience polynésienne.

Vijay Ramjattan rappelle que les discriminations sur l’accent convoquent d’autres discriminations raciales ancrées dans la colonialité et le capitalisme – des formes de domination.

Une diffusion des clichés au cœur du monocentrisme français

Dans son discours à l’occasion de l’inauguration de la cité internationale de la langue française, le président Emmanuel Macron, loin de déconstruire ces rapports, reprend ces récits, enfonce les clichés :

« À travers les voyelles ouvertes des Parisiens, les infections chantantes des outre-mer, les A du Nord qui s’arrondissent en O, les R rocailleux de l’est, les E muets du Sud qui se font sonores et solaires. »

Si les politiques continuent à rendre visible une hiérarchisation des variantes de prononciation et de stéréotypes folklorisants, des chercheurs reconnaissent de leur côté qu’il existe un « un prestige latent, mais aussi un prestige manifeste des variétés régionales » comme celles étudiées dans les cas du Québec, des Antilles et du sud de la France.

Peut-être est-il temps de reconnaitre la diversité en dehors d’une monophonie et d’un monocentrisme comme le précise l’historien Philippe Martel :

« Ce musée installé dans un château exprime à sa façon l’idée que c’est le lien avec le pouvoir, et non avec un peuple, qui est privilégié ».

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