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Portugal : le pays qui dit « não » à l’extrême droite

Des militants socialistes réunis à Lisbonne apprennent la victoire de leur parti aux législatives portugaises du 6 octobre 2019. Les partis d'extrême droite ont, une fois de plus, obtenu un score très bas. Patricia De Melo Moreira/AFP

Après avoir subi une dictature militaire de 1933 à 1974, le Portugal est redevenu une démocratie il y a maintenant quarante-cinq ans. Durant toutes ces années, le pays a toujours été épargné par la montée en puissance de l’extrême droite constatée dans plusieurs de ses voisins européens. Les récentes élections législatives tenues le 6 octobre 2019 n’ont pas infirmé la tendance. Le Parti socialiste (PS) a obtenu 36,65 % des voix contre 27,90 % pour le Parti social-démocrate (PSD, droite). L’extrême droite, de son côté, n’a ramassé que des miettes.

Une mouvance politiquement marginale

Chega ! (« Assez ! », CH), qui va faire son entrée au parlement, est un tout jeune parti qui a vu le jour en avril 2019. Dans ses statuts, il se définit comme un mouvement « conservateur, nationaliste et défenseur de la démocratie libérale ». Lors des élections européennes de mai 2019, il se trouve sur la liste « Basta ! » qui regroupe de nombreux partis populistes de droite et n’attire que 1,49 % des suffrages. Après cet échec, le CH se retire de cette liste et retrouve son indépendance. Aux élections législatives d’octobre 2019, il récolte 1,30 % des voix, ce qui lui permet d’obtenir un siège sur les 230 que compte le parlement.

Un autre parti d’extrême droite a concouru aux dernières élections législatives : le Parti national rénovateur (PNR), créé en 2000, dont le logo s’inspire de celui du Front national et dont le slogan, « Nação e Trabalho » (Nation et Travail), n’est pas sans évoquer les devises d’autres partis ou régimes extrémistes. Il a dû se contenter de 0,30 % des suffrages. Avec 1,60 % des suffrages à eux deux, ces partis ne peuvent absolument pas peser dans le débat politique.

Ajoutons que le PNR – contrairement à Chega, qui vient à peine d’être créé – a été confronté au suffrage universel à de nombreuses reprises, mais sans jamais connaître le moindre succès probant. Présent aux élections législatives de 2002, 2005, 2009, 2011, 2015 et 2019, il n’a jamais dépassé la barre symbolique des 1 %. Pourtant, cette formation s’est toujours inscrite dans la tradition des partis d’extrême droite européens, prônant le retour au modèle de la « famille traditionnelle » (l’un des thèmes chers à Salazar), le rétablissement du service militaire obligatoire pour « défendre la nation portugaise », la réduction massive de l’immigration ou encore la priorité nationale accordée aux Portugais en matière d’emploi ou de prestations sociales. En manque de visibilité, le PNR a essayé d’afficher son amitié et son soutien au président Bolsonaro, sans que cette posture ne lui permette d’effectuer une percée dans les urnes. Même la grande réunion des mouvements d’extrême droite européens qui s’est déroulée à Lisbonne en août n’a pas permis aux partis locaux de gagner quelques points dans les sondages.

Reportage d’Euronews sur le rassemblement de l’extrême droite européenne à Lisbonne, le 11 août 2019.

Il est intéressant de noter que ce pays qui, rappelons-le, a été dirigé par l’extrême droite durant l’Estado Novo, est gouverné sans discontinuer depuis 1974 par des partis dits traditionnels (à savoir de centre gauche ou de centre droit). Quelques formations d’extrême droite ont bien essayé d’émerger en se présentant comme des nostalgiques du « salazarisme », mais leurs scores électoraux ont toujours été insignifiants.

Pourtant, en dépit de ces faibles résultats, Chega ! et le PNR n’ont pas manqué, dès leur création, d’utiliser les mêmes recettes idéologiques qui ont fonctionné dans d’autres pays, à commencer par des positions fermement hostiles à l’immigration et aux musulmans, et une critique virulente voire violente visant l’Union européenne.

Ces thématiques n’ont guère fait recette auprès de l’opinion publique. Aux dernières législatives, l’abstention fut élevée (45,40 %), ce qui profite traditionnellement aux formations d’extrême droite, mais ni le PNR ni Chega ! n’ont réussi à en profiter.

À l’heure où l’on observe en Europe, depuis maintenant quelques années, une montée en puissance des partis d’extrême droite (principalement en Autriche, en France, en Allemagne, en Italie, en Grèce…), le Portugal, lui, ne semble pas vaciller. Malgré un contexte politique instable au sortir de la Révolution des Œillets de 1974, et malgré la profonde crise économique qui a frappé le pays en 2010, l’extrême droite n’a jamais réussi à s’imposer comme un acteur de poids sur la scène politique nationale. Comment expliquer que son discours ait si peu d’effet sur l’électorat ? Le Portugal serait-il un modèle viable contre l’ascension de l’extrême droite ?

L’incapacité du PNR ou de Chega ! à exister sur la scène nationale s’explique tout d’abord par le fait que le Portugal, qui était pourtant au bord de la faillite en 2011, se porte mieux. En effet, depuis 2013, la croissance n’a eu de cesse d’augmenter. Le fait que les indicateurs économiques soient positifs a sans aucun doute empêché l’extrême droite de tirer profit de la crise.

Même si la forte abstention constatée lors des dernières élections législatives ne doit pas être prise à la légère, il n’en demeure pas moins que la confiance des citoyens envers la classe politique n’est pour le moment pas remise en question.

Affiche du PNR reprenant un visuel du parti d’extrême droite suisse Union démocratique du centre (UDC). PNR

L’immigration, un cheval de bataille peu porteur

De plus, les thèmes choisis par l’extrême droite portugaise ne suscitent pas un grand intérêt dans la population. Prenons par exemple le sujet de l’immigration. En Autriche ou en France, les partis d’extrême droite surfent abondamment sur ces questions, encore plus depuis la crise migratoire, et arrivent à obtenir de bons scores. Au Portugal, l’immigration ne clive pas autant que chez ses voisins européens. Avec une économie qui repart et une natalité faible, il est vital pour le Portugal d’attirer des immigrés.

Comme à plusieurs reprises au cours de son histoire, le pays a connu une forte émigration après l’éclatement de la crise économique en 2010 et s’est vidé de ses forces vives. Le gouvernement a d’ailleurs mis en place un programme qui prévoit des aides spécifiques de plusieurs milliers d’euros et des exemptions fiscales pour inciter les Portugais vivant à l’étranger à revenir.

Les Portugais ont toujours été habitués à ces flux migratoires, à l’inverse de leurs voisins européens ; quant aux immigrés, souvent lusophones, en provenance des anciennes colonies africaines portugaises ou du Brésil, ils sont généralement mieux intégrés.

Le morcellement de l’extrême droite

Autre élément, à l’inverse de pays tels que la France ou l’Autriche où les thèses défendues par l’extrême droite se sont invitées dans le débat politique, l’extrême droite portugaise n’a jamais été en mesure d’influencer le débat. En partie parce qu’elle n’a jamais su se fédérer en un seul et même bloc pour tenter de conquérir le pouvoir. La liste « Basta ! » a vite volé en éclats au lendemain du scrutin des européennes de mai dernier. Trop attachés à leur indépendance respective, le PNR et Chega ! n’ont pas souhaité fusionner pour tenter d’obtenir un score plus important.

Le problème de l’extrême droite au Portugal est qu’il y a « des partis » d’extrême droite et non pas « un » parti d’extrême droite. Cette mouvance est divisée entre de nombreux petits partis radicaux qui ne pèsent pas individuellement et ne risquent pas de mettre à mal les partis traditionnels. Nuno Canas Mendes, professeur de sciences politiques à l’Université de Lisbonne, affirme ainsi que seul un parti d’extrême droite uni aurait une chance de remporter des élections.

Des manifestants brandissent des pancartes proclamant « Le Portugal aux Portugais » et « Le Portugal contre l’islam » lors d’un rassemblement devant le parlement portugais à Lisbonne le 15 septembre 2015. Les manifestations de ce type peinent à attirer plus de quelques dizaines de personnes. Patricia De Melo Moreira/AFP

Ainsi, le Portugal semble pour le moment à l’abri d’une arrivée de l’extrême droite au pouvoir, tant la bipolarisation entre le PS et le PSD paraît durablement installée dans la vie politique. À l’heure actuelle, les « candidatures de témoignage » auxquelles s’adonnent les partis d’extrême droite portugais, élection après élection, se révèlent largement contre-productives.

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