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Présidentielle 2017 : pourquoi il faut une stratégie logistique pour la France

Logistique. Tech in Asia/Flickr, CC BY

Quelle drôle d’idée d’interpeller le prochain Président de la République sur les aspects logistiques ! Soyons sérieux, il y a plus urgent pour le futur locataire du Palais de l’Élysée que de s’occuper de camions, entrepôts et palettes ! Réduire le chômage de masse, éviter la surchauffe planétaire, améliorer la compétitivité de nos entreprises dans cette nouvelle économie apparemment collaborative et digitale, réformer une Europe qui apparaît aujourd’hui en panne, ça oui, ce sont des sujets importants ! Il faut sans doute être un chercheur en logistique quelque peu illuminé pour penser que la petite paroisse pour laquelle il prêche doit faire l’objet d’une stratégie nationale…

Et pourtant, c’est justement à cette conclusion qu’a abouti la première conférence nationale de la logistique tenue à Paris le 8 juillet 2015. Prévue par l’article 41 de la loi n° 2013-431 du 28 mai 2013, ce rassemblement a conduit à la rédaction, sous l’égide du ministère de l’Environnement, de l’Energie et de la Mer (Ségolène Royal), du ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique (Emmanuel Macron) et enfin du Secrétaire d’État au Transport, à la Mer et à la Pêche (Alain Vidalies), d’un rapport intitulé « France Logistique 2025 ». Finalisé en mars 2016, celui-ci définit une stratégie nationale pour la logistique autour de cinq grands axes.

Avant dans une prochaine contribution d’analyser de manière critique les propositions incluses dans ce rapport, et de passer au crible logistique les programmes des candidats à la présidentielle (dont des représentants s’exprimeront le 14 mars lors du prochain Salon International du Transport et de la Logistique), analysons les raisons qui font qu’aujourd’hui, développer une stratégie logistique nationale est crucial pour la France.

Systèmes de convoyage dans un entrepôt. Alvaro Galve/Flickr, CC BY-SA

La logistique, un atout pour développer la compétitivité des organisations

La première est que la logistique constitue un facteur clef de la compétitivité des organisations. Par organisations, je veux d’abord parler des entreprises, nombreuses ces dernières années à avoir construit un avantage concurrentiel durable grâce à la maîtrise de leurs flux logistiques.

Parmi les exemples emblématiques, citons Zara, dont la proposition de valeur faite à ses clients d’offrir un renouvellement continu des produits s’appuie sur une logistique ultra intégrée et réactive ; Ikea, qui domine par les coûts l’industrie du meuble en ayant réussi à transformer ses clients en opérateurs logistiques venant chercher les produits dans des magasins-entrepôts ; ou encore Amazon, dont on comprend aujourd’hui qu’elle en train de construire son empire non seulement autour de son site marchand, mais bien surtout autour de ses plateformes de stockage.

Si la maîtrise de la logistique est de plus en plus stratégique pour les entreprises, elle l’est plus largement pour toutes les organisations ! Les armées bien sûr, qui ont vu naître à l’époque napoléonienne la pensée logistique sous la plume du Suisse Jomini. Les hôpitaux également, qui font face à des enjeux logistiques majeurs pour piloter et gérer leurs flux d’approvisionnement (médicaments, organes) et de patients (optimisation des lits, des plannings d’opérations). Les administrations municipales, qui doivent de toute urgence repenser et encadrer la logistique à l’échelle de leur aire urbaine, sous peine de voir celles-ci s’engorger et pâtir d’une pollution sonore et environnementale. Et même des organisations humanitaires comme Médecins sans frontières ou Les Restaurants du Cœur, qui pour remplir efficacement leur mission doivent s’appuyer sur une logistique la plus performante et la moins coûteuse possible.

Camions sur une aire de l’A20 en Limousins. JPC24M/Flickr, CC BY-SA

La logistique, une industrie méconnue et en plein essor

La seconde raison est que la logistique recouvre plus largement une industrie : celle de la prestation de services logistiques, qui englobe toutes les entreprises qui réalisent des activités logistiques pour le compte d’autres organisations (industriels et distributeurs). Bien moins médiatisée que les industries automobile, aéronautique ou numérique (les fameuses GAFA), l’industrie de la prestation logistique est pourtant devenue peu à peu un véritable poids lourd de l’économie dans tous les pays ou presque.

Selon Armstrong et Associates, le marché mondial de la prestation logistique était en 2015 de plus de 720 milliards de dollars (24 milliards en France). Et les perspectives sont excessivement bonnes pour les spécialistes de la logistique, puisqu’ils ne prennent à ce jour en charge qu’une faible partie des dépenses logistiques des entreprises (environ 8 %). Ces dépenses logistiques, toujours selon Armstrong et Associates, s’élèvent à la somme faramineuse de 8 661,5 milliards de dollars, et représentent 11,7 % du PIB mondial…

De manière générale, les firmes qui composent cette industrie logistique proviennent historiquement d’horizons très différents. Certaines sont issues des Postes (DHL), d’autres du monde ferroviaire (DB Schenker), du transport routier (FM Logistic), de la commission de transport (Kuhne et Naegel), d’autres encore étaient des filiales d’industriels que ceux-ci ont fini par externaliser (GEFCO, issu de PSA).

Le porte-conteneur Jules Verne de la CMA-CGM. Fred Bigio/Flickr, CC BY

Pour l’ensemble de ces acteurs, l’objectif est de se positionner comme un spécialiste capable de concevoir et de réaliser tout type d’opérations logistiques (transport national, international, stockage, assemblage, co-packing…) pour le compte d’autrui. Cette ambitieuse finalité les a conduit à procéder à de multiples fusions et acquisitions au cours des dernières années. L’enjeu est d’élargir leurs compétences initiales afin de couvrir toute la gamme des activités logistiques, et surtout de se développer au niveau mondial. Leurs clients distributeurs et industriels se mondialisent, ils sont en effet à la recherche de prestataires capables de gérer mondialement leurs flux. Dans cette industrie en pleine consolidation, la question nationale est bien sûr celle de l’émergence d’un ou plusieurs champions capable d’inscrire dans une féroce compétition mondiale.

C’est pourtant sans émoi qu’en 2015, Norbert Dentressangle, fleuron logistique français, qui comptait plus de 42 000 collaborateurs et réalisait plus de 4,7 milliards d’Euros de chiffre d’affaires, a été racheté par l’américain XPO. Norbert Dentressangle n’est pas Alsthom…

La logistique, un gisement d’emplois variés et non délocalisables

La troisième raison pour revendiquer une stratégique nationale pour la logistique découle des deux points précédents : derrière la logistique se cachent de très nombreux emplois ! On estime qu’il y a en France environ 1,8 million d’emplois liés à la logistique (un chiffre à comparer avec les 200 000 emplois directs en France qui seraient liés au secteur automobile !). Ceux-ci englobent d’une part divers métiers peu qualifiés (cariste, chauffeur-livreur, etc.) qui sont donc accessibles à toute la population.

Zone logistique avec embranchement (Port-Saint-Louis-du-Rhône, 13). Jean-Louis Zimmermann/Flickr, CC BY

Tous ces emplois opérationnels permettent d’accueillir et d’intégrer de façon fluide et œcuménique dans notre « France » tous les travailleurs quelle que soit leur origine. Ils englobent d’autre part des fonctions d’encadrement (responsable logistique, supply chain manager), qui se situent désormais dans l’organigramme des entreprises au niveau des autres fonctions (marketing, finance, ressources humaines, etc.). Manager la logistique et la supply chain d’une entreprise est même désormais une voie pour devenir chef de l’entreprise, comme l’illustre le cas de Tim Cook devenu à la mort de Steve Jobs le PDG d’Apple !

Mais surtout, ce qui caractérise ces emplois logistiques, c’est que contrairement aux emplois industriels, ils ne sont pas réellement délocalisables. Le Smartphone produit en Chine, la voiture assemblée en Pologne ou le jean fabriqué au Maroc, lorsqu’ils sont achetés par un consommateur qui réside en France, doivent par définition transiter dans les mains de plusieurs salariés logistiques qui travaillent sur le territoire !

Ils sont employés dans les ports, les aéroports, les entrepôts, les entreprises de transport, au sein de chacun de ces maillons nécessaires à la distribution de tout produit physique jusqu’au client final (que la distribution se fasse en point de vente ou à domicile). Et quand bien même la robotisation en cours va à terme diminuer la main d’œuvre logistique nécessaire (entrepôts automatisés, véhicules autonomes), ce n’est pas demain que l’on pourra effectivement mettre en place une telle logistique sans employés !

Fret (Avignon). Jean-Louis Zimmermann/Flickr, CC BY

La logistique, un levier clef vers un développement plus durable

La quatrième raison pour laquelle une stratégie nationale est nécessaire, est que logistique est un levier qui ne peut être négligé si l’on veut mettre en place à l’avenir en France un développement plus durable. Elle est en effet génératrice de très importants effets néfastes pour l’environnement.

Pour le simple transport de marchandises (une partie seulement des activités logistiques !), on estime ainsi que les 230 milliards de tonnes-kilomètres transportés annuellement en France représentent une consommation de 50 millions de tonnes équivalent pétrole et surtout conduisent à une émission de 130 millions de tonnes de CO2.

Le transport de marchandises constitue ainsi une part massive de l’empreinte carbone française, qui était estimée pour l’année 2014 à environ 733 millions de tonnes de CO2 émises. Dans un tel contexte, on comprend qu’il est urgent pour la France de prendre des mesures afin de diminuer cet impact, comme cela avait le cas avec feu la taxe carbone…

Mais si elle est un problème pour l’environnement, la logistique est aussi une solution ! Un développement plus durable passe en effet par la mise en place de nouvelles logistiques. Nous voulons notamment parler des logistiques « inversées », nécessaires afin de mettre en œuvre le recyclage des produits et diminuer la production de déchets. Par exemple, si l’on veut réduire le gaspillage alimentaire dans les grandes surfaces ou chez les individus, il ne suffit pas de décréter une loi obligeant les acteurs de la distribution à confier les produits invendus à des associations.

Encore faut-il imaginer une logistique qui permette à un coût soutenable la redistribution efficace des articles en voie d’être périmés. De la même manière, le développement de circuits de distribution plus courts, nécessite de repenser les schémas logistiques existants, pour imaginer des logistiques qui seraient plus directes des producteurs jusqu’aux consommateurs, ou qui permettraient de faciliter les échanges entre les consommateurs (logique de pair à pair). Au total, c’est bien par la réingénierie des flux (réorganisation des chaînes, massification des flux en provenance de divers fournisseurs, vers différents clients, mutualisation) bien plus que par la mise en œuvre de solutions purement technologiques (nouveaux carburants, motorisations hybrides…) que passera la réduction des trajets (et donc de l’empreinte carbone).

Projet logistique. Jean-Louis Zimmermann/Flickr, CC BY

La logistique, des investissements qui façonnent le territoire

Enfin, la logistique s’appuie sur des infrastructures qui requièrent des investissements massifs comme les ports, les aéroports, ainsi que toutes les voies de transport (routières, ferroviaires, fluviales). Les choix qui sont faits en la matière ont un impact structurant sur l’aménagement du territoire, et peuvent désenclaver telle région, ou inversement isoler telle autre.

Plus largement, ils contribuent à améliorer (ou non) la compétitivité globale d’un pays sur le plan logistique, et à faire de celui-ci un territoire perçu comme accueillant par les acteurs économiques. Cela est encore loin d’être le cas de la France, puisque selon l’indice de la Banque Mondiale, la 5e économie mondiale n’atteignait en 2016 que le 16e rang sur le plan logistique.

Au-delà de ces grandes infrastructures, la logistique repose également sur des entrepôts qui ne doivent pas être négligés. On compte en France environ 60 millions de mètres carrés d’entrepôts répartis notamment sur l’axe Lille-Paris-Lyon-Marseille (le plus grand nombre se situant à proximité de Paris).

Alors qu’ils sont clefs pour optimiser la logistique, les entrepôts sont cependant très peu tolérés par les habitants des centres urbains. Du fait du coût du foncier dans les villes, cela conduit à ce qu’ils soient rejetés à la périphérie, dans des zones intermédiaires entre ville et campagne. Construits sans réelle réflexion architecturale ou urbanistique, profitant d’une réglementation assez peu contraignante, ils dénaturent à long terme le paysage. Leur position en périphérie amène en retour à ce que se multiplient les livraisons par camion vers les centres-ville, et avec eux la congestion, et la pollution sonore et environnementale…

La logistique, une affaire d’État !

On l’aura compris, derrière les camions, les palettes, les entrepôts, se joue avec la logistique une partie décisive. Cela justifie donc d’en faire une « affaire d’État », pour reprendre le titre d’un ouvrage publié en début d’année par deux de mes collègues, Laurent Livolsi et Christelle Camman.

Comment les pouvoirs publics en place et les candidats à la présidentielle appréhendent-ils la logistique ? Prévoient-ils d’utiliser ce levier pour accroître la compétitivité des organisations du pays ? Envisagent-ils de soutenir leurs champions nationaux dans la compétition mondiale ? Perçoivent-ils que le développement des emplois logistiques peut aider à réduire le chômage de masse qui ronge le pays ? Ont-il compris que la logistique était un levier clef pour mettre en œuvre une stratégie écologique et répondre aux objectifs de la COP21 ? Leurs choix d’investissements en infrastructures – et ceux de leurs collectivités territoriales – sont-ils orientés par un schéma logistique national ?

C’est ce que nous verrons dans un prochain article !

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