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Que peut la France au Moyen-Orient ?

Des avions dans le ciel de Beyrouth
Des jets de la Patrouille de France dégagent de la fumée aux couleurs du drapeau libanais alors qu'ils survolent le lieu de l'explosion du port de Beyrouth le 1er septembre 2020, jour du centième anniversaire de la proclamation du « Grand Liban ». Joseph Eid/AFP

Depuis l’explosion du 4 août, la France s’est activement impliquée pour parrainer une solution politique dans un Liban au bord de l’effondrement.

L’initiative française pour la formation d’un gouvernement de mission, déjà bien compromise, devait rehausser l’importance politique de Paris dans ce pays riverain de la Méditerranée orientale. Dans un contexte d’exacerbation des tensions avec la Turquie dans cette zone stratégique, des interrogations ont surgi sur la manière dont la France chercherait aujourd’hui à tirer parti de sa présence au Liban, et sur sa vision générale de son rôle au Moyen-Orient.

Le retour d’une approche « gaullo-mitterrandienne » ?

Au Moyen-Orient, le Liban est le dernier pays où la France dispose encore de leviers d’influence importants lui permettant de préserver ses intérêts stratégiques et sécuritaires.

Sur fond de crise profonde et multidimensionnelle, et face aux dramatiques conséquences sanitaires, économiques et sociales de l’explosion du 4 août, Emmanuel Macron a affirmé son soutien sans faille et souligné les liens privilégiés que la France entretient avec le Liban. Il a également adopté une position de « pont » entre toutes les communautés, sans exclure aucune partie du jeu politique.

En ce sens, son approche se distingue du soutien traditionnel de Paris aux élites maronites depuis l’indépendance, ou de l’appui, sous le mandat de Jacques Chirac, au premier ministre Rafic Hariri, assassiné en 2005.

Selon certains observateurs, la proposition française, en se dissociant de la position américaine au Liban puisque Paris considère le Hezbollah comme une force politique et sociale incontournable sans laquelle il ne pourrait y avoir de solution stable et durable, renouerait avec une tradition « gaullo-mitterrandienne ».

Dénoncée comme responsable de la catastrophe du 4 août et visée depuis octobre 2019 par une forte contestation populaire née sur le terreau de la faillite économique du pays, la classe politique libanaise dans son ensemble semblait acculée à accepter un compromis.

Un consensus forcé s’est, dans un premier temps, dessiné autour de la nomination de Mustapha Adib – un homme aux connexions françaises bien établies – comme chef d’un gouvernement de mission, et de la nécessité de mettre en œuvre la feuille de route française dévoilée lors de la rencontre avec Emmanuel Macron à la Résidence des Pins le 1er septembre dernier. Or si pour des considérations liées au rapport de force politique interne et à la distribution des portefeuilles, l’initiative française est pour l’instant bloquée, il n’en reste pas moins que Paris cherche à se positionner au Liban.

Les objectifs français au Liban, en Irak et ailleurs dans la région

Pour la France, la priorité est d’éviter une déstabilisation profonde et durable de ce pays qui mettrait en péril ses intérêts sécuritaires. Les Français, principaux contributeurs de la FINUL, au sein de laquelle leur contingent forme l’ossature de la Force Command Reserve, sont attachés à cette mission qui leur permet de jouer un rôle d’intermédiation au Proche-Orient. Le Liban est aussi une plateforme de migrants et de réfugiés, et la France cherche à tout prix à empêcher une situation de chaos qui favoriserait leur afflux vers l’Europe.

De surcroît, si les simples calculs commerciaux, à savoir l’obtention de parts de marché pour la reconstruction du port de Beyrouth, les travaux d’infrastructures et la construction du réseau électrique, ne constituent pas le fondement premier de l’implication française au Liban, ce facteur a néanmoins son importance dans un contexte global où les entreprises françaises subissent la concurrence américaine, chinoise et russe. Aussi, du fait de la profondeur des liens historiques et d’une importance politique française rehaussée en temps de crise, Paris pourrait bénéficier d’une préférence sur un marché de la reconstruction qui se chiffre en milliards.

Emmanuel Macron et un militaire sur un porte-hélicoptères au large de Beyrouth
Emmanuel Macron s’entretient avec Arnaud Tranchant, commandant du porte-hélicoptères Tonnerre, au large du port de Beyrouth le 1ᵉʳ septembre 2020. Stéphane Lemouton/AFP

L’enjeu commercial vaut également pour l’Irak, dans une configuration où la France n’a plus de politique d’ampleur régionale. En privilégiant depuis 2012, les relations avec l’Arabie saoudite, aujourd’hui fortement dégradées, et en agissant à l’ombre des États-Unis, l’influence régionale française ne pouvait que refluer. La nécessité de ne pas être complètement évincée par les reconfigurations géopolitiques a conduit la France à essayer de s’associer à l’Égypte dans son activisme régional et sa politique en direction de l’Irak pour développer les relations économiques et commerciales avec Bagdad.

Enfin, Beyrouth représente un point d’appui essentiel pour contrer les ambitions de la Turquie en Méditerranée orientale.

Situation complexe en Méditerranée orientale

Bien que le Liban soit un pays de taille très modeste et où les enjeux gaziers sont limités, il cristallise les tensions régionales et joue de ce fait un rôle clé dans la géopolitique de la Méditerranée orientale.

Les Turcs tentent aujourd’hui de s’imposer au Liban comme les leaders de la communauté sunnite, à la faveur du recul de l’Arabie saoudite qui a, il y a plusieurs années déjà, retiré son soutien à l’ancien premier ministre Saad el-Hariri sans retrouver depuis d’alternative crédible. La Turquie, par son activisme diplomatique et via son action associative (association des Frères musulmans libanais et « El-Irchad wa El-Islah » liée à une sensibilité des Frères mais présentant un caractère moins politique et développant principalement des activités sociale, éducative, culturelle), cherche ainsi à étendre son influence dans le Nord et dans la Bekaa ouest.

De son côté, la France, par son ancrage au Liban, entend empêcher une pénétration turque en Méditerranée qui remettrait en cause le statu quo dominant.

L’enjeu gazier n’est pas le principal facteur explicatif du durcissement de la confrontation stratégique entre la Grèce, Chypre, Israël, la France et l’Égypte d’une part, et la Turquie de l’autre. Prendre en compte Ankara dans le jeu gazier, autrement dit l’intégrer dans le partage du gâteau des ressources gazières des fonds marins entre États riverains du bassin de la Méditerranée, ne heurterait pas de plein fouet les intérêts économiques européens car ce scénario renferme la possibilité d’une coopération économique entre la Turquie et l’Europe. En revanche, la volonté d’affirmation d’une présence turque dans une zone stratégique sur laquelle l’Europe a toujours conservé la haute main est plus problématique dans un contexte où la Méditerranée apparaît de moins en moins comme une mer occidentale.

La Russie est en effet revenue dans cette zone à la faveur de la guerre en Syrie. Elle dispose d’un rail maritime entre la mer Noire et la Méditerranée orientale ainsi que de connexions aériennes entre la région et la mer Caspienne, et cherche à faire contrepoids à l’influence occidentale. Comme le notait déjà en 2014, Igor Delanoë, chercheur et directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe, « la crise syrienne a catalysé le réinvestissement de la scène navale méditerranéenne par la Russie, réinvestissement qui aurait de toute façon eu lieu même sans cette crise, mais selon un calendrier probablement plus étalé dans le temps ».

La Chine et l’Iran font également des incursions dans cette zone – une nouvelle réalité géopolitique qui fait dire aux observateurs que la Méditerranée n’est plus aujourd’hui un lac occidental dominé par les marines américaine, française et britannique mais apparaît de plus en plus comme une zone de confrontation majeure où toutes les grandes puissances internationales sont présentes.

Ainsi, le point fort de la Turquie est d’être parvenue à renforcer sa capacité manoeuvrière en jouant des contradictions entre les États-Unis et la Russie. Bien que membre de l’OTAN, Ankara a dernièrement resserré ses liens avec les Russes en matière de coopération énergétique, militaire, nucléaire, et se coordonne avec Moscou pour « geler les conflits ». En dépit de son engagement armé en Libye et en Méditerranée orientale, la Turquie est ménagée par les États-Unis qui ne veulent pas la laisser « dériver » vers l’est.

Les limites des capacités françaises au Moyen-Orient

Quant à la France, bien qu’elle tente aujourd’hui de s’affirmer comme intermédiaire privilégié sur la scène libanaise pour défendre plus largement ses intérêts régionaux, sa principale vulnérabilité est qu’elle n’incarne pas réellement un contrepoids à la politique américaine.

L’offre de méditation française a bénéficié du blanc-seing de Washington dans un contexte où la politique de pression américaine à l’encontre du Liban – qui s’est illustrée par des accusations visant le Hezbollah, des sanctions contre les banques et les hommes d’affaires et des hommes politiques – a montré ses limites. Cependant, il serait irréaliste de penser que la France aurait encore la prétention et les moyens d’assumer un rôle de puissance au Moyen-Orient.

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