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Redécouvrir la maison pédagogique de Madame de Genlis

Dans sa maison pédagogique, madame de Genlis a réuni filles et garçons. (ici, tableau de William Hogarth, Les Enfants Graham). Wikimédia/National Gallery ( Londres)

« J’étais un garçon faible, paresseux et poltron. Elle fit de moi un homme assez hardi et qui a du cœur »

C’est par ces mots que Louis-Philippe aurait rendu hommage à Madame de Genlis, première femme à accéder au poste de gouverneur de princes, et qui prit en charge son éducation. Si, les aristocrates du XVIIIe siècle confiaient leurs enfants en bas âge à des gouvernantes, celles-ci passaient le relais à des hommes pour l’éducation des garçons une fois venu le temps de l’instruction.

La promotion de Madame de Genlis est inédite, et sa réflexion sur la pédagogie mérite qu’on s’y arrête. Vingt ans après l’Emile de Rousseau, elle propose un véritable traité d’éducation dans son roman par lettres, Adèle et Théodore. En ces temps de confinement où, face à la fermeture des écoles, enseignants et parents sont sommés de réinventer l’accompagnement des élèves, les grands textes sur les apprentissages ne trouvent-ils pas un nouvel écho ? Et n’est-ce pas l’occasion de redécouvrir une figure trop méconnue aujourd’hui ?

Alors que l’essai Femmes et littérature (aux éditions Gallimard, sous la direction de Martine Reid), la replace dans le panthéon des autrices qui comptent, revenons sur la vie et l’œuvre de Madame de Genlis.

Espace éducatif

Portrait de Madame de Genlis par Marie-Victoire Lemoine (1791). Wikimedia

Née dans la noblesse d’épée en 1746, Caroline-Stéphanie-Félicité du Crest épouse à 17 ans le comte de Genlis, dont elle a deux filles. Dame de compagnie de la duchesse de Chartres, elle devient vite la maîtresse du duc de Chartres qui choisit de lui confier l’éducation de ses deux filles, Mme de Blois et Mlle d’Orléans, en 1779, puis, en 1782, de ses fils, dont le duc de Valois, premier prince de sang, héritier de la fortune familiale et des titres, futur roi Louis Philippe. La nomination de ce « gouverneur en jupons » fait scandale dans la haute société.

Pour leur donner une première formation idéale loin du monde « corrupteur », elle se retire avec ses élèves, garçons et filles, dans le pavillon de Bellechasse, que le duc a fait construire sur le terrain du Couvent de Saint Sépulcre, selon les plans qu’elle a préparés. Dans le roman par lettres Adèle et Théodore, elle décrit la maison pédagogique idéale, qu’elle a conçue.

Toute la maison est conçue comme un livre ouvert où les enfants déambulent dans le savoir. Dès le réveil, les décorations historiques des chambres donnent des notions que les enfants gardent en mémoire toute leur vie. Dans le salon, elles offrent des sujets de discussion en famille.

L’histoire antique, l’histoire de France et l’histoire sainte sont présentes dans les tapisseries qui illustrent l’histoire des grands hommes mais aussi des grandes héroïnes, « les dames romaines les plus célèbres du temps des Rois et de la République, Lucrèce, Clélie, Cornélie, Porcie […] et toutes les impératrices jusqu’à Constantin. »

Ces exemples peuvent ainsi se graver dans la mémoire des enfants. Chaque pièce est décorée selon un thème et une époque historique. Dans les escaliers prennent place des cartes de géographie, habilement placées pour faire retenir la position des pays du nord au sud, de haut en bas de la maison comme du globe.

Pour compléter ce dispositif fixe, des paravents, ancêtres de nos posters, constituent des expositions temporaires :

« J’ai encore dans un garde-meuble six grands paravents peints qui donnent une idée de la chronologie des histoires d’Angleterre, d’Espagne, de Portugal, d’Allemagne, de Malte et des Turcs. J’ai d’ailleurs une très grande provision de petits écrans de main, tous géographiques, de cartes anciennes et modernes, et sur le revers desquels j’ai fait écrire en anglais ou en italien une claire et courte description historique des pays représentés sur la carte. »

Madame de Genlis fait appel à des outils pédagogiques nouveaux, comme la lanterne magique, ou de nombreuses maquettes, auxquelles le musée des arts et métiers a consacré en 2002 une exposition.

Le jardin n’est pas laissé au hasard de la nature, tout peut y être utile. « De grands tapis de gazons et de jeunes plantations d’arbres étrangers » fournissent un complément idéal en botanique. Ils sont étiquetés, un jardinier est là pour apprendre aux enfants leur provenance et les soins nécessaires. De petites montagnes dans le parc permettent également de faire de l’exercice physique, mais aussi à travailler la géométrie sur le terrain :

« À la promenade, nos enfants ne s’exercent encore qu’à sauter, à courir, dans un an, nous les accoutumerons, ainsi que Rousseau le conseille, à mesurer des yeux, un espace quelconque, combien telle allée peut avoir d’arbres, combien telle terrasse a de pots de fleurs. »

Instruction commune

Dans cette maison, filles et garçons se promènent ensemble dans le savoir. Mais chacun a aussi des moments privilégiés avec le père ou la mère. Si le père enseigne plus l’art militaire à son fils, la mère accompagne sa fille dans ses lectures.

Madame de Genlis trace un programme de lecture de l’âge de deux ans à 18 ans pour Adèle, où l’on retrouve de grands écrivains comme Fénelon, mais également des autrices trop souvent oubliées aujourd’hui, comme Mme de La Fite et ses dialogues, Mme Riccoboni et ses Lettres péruviennes, le théâtre de Mlle Barbier, et bien sûr les Lettres de Mme de Sévigné.


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Les langues sont l’objet de pratiques régulières. Une préceptrice anglaise Miss Bridget est venue enseigner l’anglais à Adèle et Théodore, dès l’âge de 6 mois, pour les accoutumer aux sonorités. Un professeur de dessin italien joint l’enseignement de l’art du dessin et de la langue, avec de l’esprit et de la gaieté.

Chaque journée est rythmée par un programme rituel : toilette, déjeuner, soins du ménage, prière, puis lecture accompagnée de discussions, avec les enfants. Après le déjeuner en famille et une promenade dans les jardins, on s’amuse à regarder des cartes, des tableaux. Les enfants dessinent, réalisent des portraits. Au cours de petits jeux, la leçon de calcul se fait avec des jetons. Après le dîner, on joue de différents instruments et les enfants vont se coucher à 9h.

Mme de Genlis est l’autrice de contes et de pièces de théâtre pour enfants, donc la mise en scène fait également partie des activités familiales. À chaque séance se rejoignent le jeu et l’enseignement. Les savoirs sont toujours le sujet de discussions avec les parents, qui vérifient qu’ils sont bien compris.

L’expérience au cœur de l’apprentissage

La leçon de harpe donnée par Madame de Genlis à Mademoiselle d’Orléans, Jean Antoine Theodore Giroust. Dallas Museum of Art/Wikimedia, CC BY

Les parents accompagnent les enfants dans leurs découvertes et font en sorte qu’ils apprennent de chaque expérience. Lorsque Théodore est gourmand, après en avoir discuté, on lui confie un nombre bien défini de bonbons qu’il aura à gérer. Pour la première visite dans le monde d’Adèle, on la laisse se parer à outrance, et manger tant de gâteaux qu’elle en est malade, pour après pouvoir lui expliquer combien son attitude a été décevante et qu’elle apprenne de ses erreurs et ne recommence pas.

Les visites, lors de la sortie de la maison, ensuite seront pour voir des amis qui sont autant de modèles : la famille rend visite à des amis qui ont ouvert un hôpital près de Montpellier, en Bretagne, des amis qui vivent près de la nature. Chaque expérience doit marquer profondément le cœur et l’esprit.

La famille organise à l’adolescence un grand voyage, héritier du Grand Tour, en Italie puis en Hollande. Chaque moment dans la voiture ou à l’extérieur offre également le moyen de jeux ludiques et pédagogiques, d’échanges sur les lectures les choses vues entre parents et enfants. Plus tard, ils vont également au théâtre et visiter des entreprises nouvelles, font des recherches dans l’Encyclopédie pour compléter leurs apprentissages.

Émigrée pendant la Révolution, Madame de Genlis a reçu une pension de Napoléon Bonaparte, en échange d’une correspondance, puis le titre d’inspectrice des écoles publiques. Dès 1801, elle esquisse un projet d’écoles rurales pour les filles. Lorsqu’elle meurt à 84 ans en 1831, son élève le duc d’Orléans devenu roi sous le titre de Louis Philippe lui décerne des obsèques solennelles. Elle est l’auteur de plus de 130 œuvres.

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