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Redéfinir l’entreprise et sa contribution sociétale : pour que la loi PACTE ne soit pas un rendez-vous manqué

En l'état, le projet de loi éclipse la réflexion sur la contribution de l’entreprise à la société. Gorodenkoff/Shutterstock

L’examen par l’Assemblée nationale des 73 articles du projet de loi PACTE (Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises) a commencé le 5 septembre dernier. Les discussions devraient contribuer à apporter de nouvelles modifications à un plan ayant déjà largement évolué sous l’effet de nombreux ajouts successifs.

Mais il faut bien reconnaître qu’au fur et à mesure de son élaboration, le texte s’est éloigné de certaines des recommandations portées par le rapport Notat-Senard, point de départ du débat sur la loi PACTE. Mesure symbolique annoncée très tôt, la modification de l’objet social de l’entreprise risque de s’avérer moins ambitieuse que ce qui avait été envisagé à l’origine.

En début d’année, nous alertions dans ces colonnes sur les risques de ces ambitions revues à la baisse. Dans la dernière ligne droite avant le vote de la loi, nous réaffirmons le danger qui résulterait du choix de cette « voie du milieu ».

Pour un point de PIB en plus

En l’état actuel, le texte donne clairement la priorité aux objectifs traditionnels de croissance et d’emploi, éclipsant la réflexion sur la contribution de l’entreprise à la société. Il faut dire que les promesses macroéconomiques sont alléchantes. Selon l’évaluation ex ante des impacts réalisée par le Trésor (une évaluation plutôt consensuelle parmi un ensemble d’études aux conclusions divergentes), la loi PACTE permettrait de gagner un point de PIB sur le long terme (soit environ 20 milliards d’euros) pour un coût très raisonnable estimé à 1,1 milliard d’euros en 2019, et 1,2 milliard en 2020. Suffisant pour valider l’ensemble des propositions les yeux fermés ? Loin s’en faut…

Le texte propose bien de nouveaux leviers visant à simplifier la vie des entreprises et à stimuler l’économie, conditions sans doute de nature à permettre une baisse significative du chômage – bien qu’il ne garantisse en rien l’atteinte de l’objectif du candidat Emmanuel Macron de ramener le taux de chômage à 7 % en 2022 (un objectif tout de même assez ambitieux).

Mais la loi PACTE risque d’être bien insuffisante au moment où les déterminants externes (ceux qui sont à rechercher dans les politiques menées par nos partenaires et le contexte macroéconomique et géopolitique global) occupent un poids croissant vis-à-vis de notre capacité à réduire le chômage. Or, ces facteurs externes prennent essentiellement des allures de menaces associées à la multiplication des mesures protectionnistes de toutes sortes.

Un impact social et environnemental insuffisamment présent

Admettons toutefois que la croissance et le contenu en emplois de la croissance sont bien présents après l’entrée en vigueur de la loi. Dans ce cas, sans redéfinition de l’objet social de l’entreprise, ce sera la question complémentaire (et sans doute la plus importante) du contenu en bien-être des emplois qui restera sans réponse totalement satisfaisante. Bien sûr, la réduction du chômage constituerait déjà en soi une contribution sociale réelle, mais une telle analyse serait un peu rapide et facile. Trop de pays offrent des exemples concrets de la coexistence d’un taux de chômage réduit et d’une dégradation concomitante de la qualité de vie (avec la nécessité pour de nombreuses personnes d’exercer deux ou trois petits boulots mal payés).

Il y a pourtant urgence : en France, les conditions de vie au travail apparaissent dégradées et n’amènent plus que 6 % des salariés à affirmer être engagés au travail, selon un sondage réalisé par l’institut Gallup en février-mars 2018. En comparaison, aux États-Unis, ce chiffre, certes toujours discutable et résultant de différences culturelles bien connues, est de… 33 % !

Au-delà du bien-être au travail, la protection de l’environnement et des espèces qui nous entourent est un enjeu qui doit devenir un réel objectif pour tous les acteurs de la société et les entreprises en particulier, comme l’explique très bien Thomas Durand, professeur au CNAM, dans la vidéo ci-dessous :

Il est heureusement encore temps de remettre l’économie au service de la cité, de la qualité de vie au travail et de la qualité de vie tout court. Considérant qu’une loi réellement ambitieuse sur ces sujets soit de nature à faire école, bien au-delà des frontières nationales, la mission des députés qui examinent le projet de loi est aujourd’hui essentielle. Puissent-ils ne pas sacrifier les objectifs sociétaux majeurs à une focalisation excessive sur la croissance et l’emploi. Bien que l’urgence soit grandissante, il n’est pas encore trop tard…

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