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Réforme de l'ISF : le ni-ni de Macron

Un programme encore flou. Pietro Piupparco / Flickr, CC BY-SA

Comme Emmanuel Macron le proclame, il est « ni de droite, ni de gauche ». En matière d’ISF cela se traduit par je suis ni pour l’ISF actuel ni pour sa suppression. C’est ainsi que le candidat du mouvement En Marche ! ne propose pas de supprimer purement et simplement cet impôt contestable et contesté, mais de le réformer.

Privilégier l'investissement contre la rente immobilière

Comme pour la plupart des propositions économiques du candidat de « En Marche ! », on dispose pour l’instant de peu d’informations précises sur son projet de réforme de cet impôt sur le patrimoine des ménages. Ce que l’on sait, c’est qu’il est question d’exonérer « l’ensemble des valeurs mobilières » pour se concentrer uniquement sur l’immobilier. Par valeurs mobilières il faut entendre les actions cotées ou non mais aussi les obligations.

L’idée fondamentale est de s’attaquer à la « rente immobilière » et d’exonérer les capitaux qui s’investissent dans les entreprises. Il est vrai qu’il y a péril en la demeure : plus de 50 % du capital des entreprises du CAC 40 sont aux mains d’investisseurs étrangers et le nombre d’actionnaires individuels a fondu comme neige au soleil. Depuis 2008, leur nombre a été divisé par deux pour s’établir à seulement 3 millions.

Entre temps, c’est vrai que poussé par les différentes mesures de défiscalisations, l’immobilier a drainé et continue à attirer avec les taux d’intérêts très faibles actuels l’essentiel de l’épargne des français. Il faut aussi ajouter l’assurance vie qui malgré la baisse des rendements, continue à attirer une part importante de l’épargne de nos compatriotes, notamment dans les fonds en euros sans risque.

Orienter l'épargne vers les entreprises

Alors que penser de la proposition du candidat de En Marche ! ? Tout d’abord, avec cette proposition d’exonération des valeurs mobilières, Emmanuel Macron ne fait qu’agrandir les trous du périmètre des actifs détenus par des particuliers assujettis à l’ISF.

Rappelons en effet que les œuvres d’arts, dont certaines peuvent valoir plusieurs millions d’euros, n’entrent pas dans la base imposable de l’ISF. Les actifs professionnels – l’outil de travail - détenus par les particuliers n’entrent également pas dans le périmètre taxable. C’est ainsi que le fonds de commerce d’un pharmacien – ou de tout autre commerçant – n’est pas considéré comme un élément du patrimoine taxable. Certes il le deviendra lors de sa cession, mais pour ceux qui en jouissent il est exonéré.

L’idée d’orienter l’épargne des français vers les entreprises n’est pas nouvelle et c’est même une bonne idée. Déjà en en 2012 (dans son entretien publié dans Le Monde, 5 octobre 2012) la ministre Fleur Pellerin nous expliquait que “ce que nous voulons de manière très ferme, c’est fiscaliser le capital dormant, certainement pas désinciter à la création d’entreprise et à la prise de risque ».

« Bon » et « mauvais » capital

Et dans ce capital dormant se trouve, selon cette analyse, l’immobilier. À l’instar du cholestérol, il existerait donc un mauvais capital (le dormant dans l’immobilier, mais pas dans les oeuvres d'art) et un bon capital (le productif) celui qui s’investit dans les entreprises. Afin de réorienter les flux d’épargne vers les entreprises il suffirait donc de taxer encore plus lourdement l’immobilier. C’est le sens de la réforme de l’ISF proposée par Emmanuel Macron. Oui mais…

Exonérer les valeurs mobilières, donc notamment les actions cotées et non cotées est une mesure favorable aux PME et autres entreprises de taille intermédiaires (ETI). En effet, ces entreprises sont souvent amenées à verser des dividendes à leurs actionnaires familiaux pour payer l’ISF et cela contribue à limiter leurs capacités d’investissement et de développement. C'est donc une bonne mesure.

Une prime aux très grandes fortunes (plutôt qu'aux classes moyennes)

Mais en exonérant toutes les valeurs mobilières on favorise aussi les très grandes fortunes, celles qui détiennent des montants très élevés de capital action. Certes, cela permettra de limiter leur exode fiscal ; ce qui est déjà pas mal.

Mais alors sur qui va reposer l’ISF revu et corrigé par Emmanuel Macron ? Eh bien sur les classes moyennes et moyennes supérieures. Rappelons que pour ces contribuables l’essentiel du patrimoine (entre 70 et 80 %) est composé d’immobilier : résidence principale (quid du maintien de l’abattement ?), parfois secondaire et quelques biens de rapport pour préparer la retraite. Ce sont donc eux qui vont être mis à contribution et non pas les très riches contribuables dont l’essentiel de la fortune se trouve en valeurs mobilières.

De très nombreuses questions sans réponses

Mais l’incertitude pour nos classes moyennes n’est pas levée. Car comment seront considérés les contrats d’assurance vie ? Comme des valeurs mobilières concourant au financement de « l’économie réelle » ou comme des rentes sans risque ? Quand on sait que la très grande majorité des contrats d’assurance vie sont en euros, malgré l'incitation proposée par Dominique Strauss Kahn pour les contrats en unités de compte, on peut s’interroger sur leur sort. Est-ce que seuls les contrats en unités de compte seront exonérés d’ISF ? Le fisc devra-t-il traquer la composition des différents contrats d’assurance vie pour faire la part des capitaux qui financent l’économie réelle (les entreprises) de ceux qui financent l’Etat (via sa dette) ? Et puis, in fine, pourquoi faire une telle distinction ? Est-ce vraiment justifié économiquement ?

La réforme de l’ISF proposée par le candidat d'En Marche !, est encore floue, mais elle soulève de très nombreuses questions et sera difficile à mettre en œuvre si jamais elle devait l’être. En fait, Emmanuel Macron, qui se veut « ni de droite, ni de gauche », louvoie dans cette affaire. Il ne peut dire pour des raisons politiques qu’il va supprimer totalement l’ISF car il sait que les français (dont la très grande majorité ne paye pas cet impôt) sont opposés à sa suppression.

Mais, en tant qu’inspecteur des finances et rapporteur de la commission Attali, il est à même de comprendre le mal que fait cet impôt aux entreprises et à la France avec l’exil fiscal qu’il entretient. Aussi, il cherche un juste milieu.

Le problème, c’est qu’en la matière le juste milieu n’existe pas. En voulant sauver le capital qui s’investit dans les entreprises, et en exonérant les très grandes fortunes mobilières, il en arrive à taxer seulement les classes moyennes et moyennes supérieures qui détiennent de l’immobilier et des contrats d’assurance vie en euros. Est-ce vraiment cela que veulent les épargnants et les électeurs ?

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