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« Réforme de l’orthographe » : le débat est-il de (au) bon niveau ?

Pourquoi tant de fureur ? Stephane de Sakutin/AFP

Face aux réactions provoquées par la réforme de l’orthographe en France et la fameuse disparition programmée de l’accent circonflexe, nous publions cette semaine des textes venus de l’étranger, mais aussi des points de vue décalés et informés sur un sujet qui passionne.

La (prétendue) réforme de l’orthographe a provoqué un tumulte considérable, et déclenché un véritable pataquès. Pourquoi tant de fureur et de bruit, à propos d’une réforme qui, pour la ministre de l’Éducation nationale, « n’existe pas » ?

Sans prendre parti sur la validité de l’effort de « rectification orthographique » qui est à l’origine de ce tumulte (nous laisserons cela aux linguistes et aux didacticiens), nous voudrions simplement faire observer que le débat se situe à trois niveaux différents, qu’il y a lieu de bien distinguer, sous peine d’être englouti dans une bataille dont le sens même nous échapperait.

Un enjeu technique

Le premier niveau est technique. Il concerne la nature des changements proposés en 1990 par le « Conseil supérieur de la langue française », et approuvés par l’Académie française, comme en témoigne le Journal officiel de la République française du 6 décembre 1990.

Les commentateurs les plus lucides paraissent s’accorder à reconnaître que les rectifications orthographiques ne bouleversent pas les règles, mais s’efforcent de les renforcer, dans le sens d’une rationalisation de la langue écrite. On pourra certes discuter des motivations de ces rectifications : faut-il vouloir simplifier l’apprentissage du français ? De leur opportunité : faut-il vouloir harmoniser et simplifier le lexique, et supprimer les signes obsolètes ? De leur étendue : 2 400 mots, est-ce trop, ou trop peu ? Et enfin de leur force normative : les rectifications doivent-elles être, ou non, obligatoires ?

Mais on devra en discuter d’autant plus calmement que l’on sait que le dernier mot appartient toujours à l’usage, qui tranche finalement entre ce qui est admis, et ce qui ne l’est pas. D’où vient alors la passion qui enflamme le débat ? Sans doute du fait qu’il engage deux autres niveaux.

Une enjeu social

Le deuxième niveau est social. Il a pour enjeu la place et le statut de l’écrit dans la vie des Français. C’est en ce sens, par exemple, que la responsable des correcteurs du journal Le Monde « regrette que la langue parlée, avec ses impropriétés, ait tendance à se substituer à la langue écrite » (20/O2/16).

Un combat pour la défense de l’écrit peut être jugé aujourd’hui nécessaire. Dans un pays qui révère la littérature, c’est une affaire sérieuse. D’autant plus que l’utilisation massive de moyens de communication tels que les SMS, voire les tweets, se traduit, de fait, par un moindre respect des exigences de la langue écrite.

Ce combat pourra rencontrer celui de ceux qui prônent un retour de la dictée, ou affirment la nécessité de continuer à offrir à tous la richesse de la langue classique. Mais le souci d’éviter une dégradation de la langue française doit-il se traduire par un respect religieux de toutes ses particularités ? La question mérite d’être posée, et traitée, avec sérénité. Car la défense d’une langue riche ne peut se limiter au seul immobilisme orthographique.

Un enjeu politique

Mais c’est au troisième niveau, quand le débat devient politique, que le risque de sombrer dans une « polémique absurde » (Najat Vallaud-Belkacem) devient très fort.

L’enjeu est alors de terrasser des adversaires politiques, et la passion de la victoire l’emporte sur celle de la langue ! L’orthographe n’est plus qu’un prétexte à une bataille de chiffonniers. Que voit-on en effet ? Des combattants partir sabre au clair contre leurs ennemis politiques.

L’Académie (du moins son actuelle secrétaire perpétuelle) proclame son « opposition à toute réforme de l’orthographe »… pour mieux sabrer la réforme du collège (Le Monde du 13/2/16 ).

Et la ministre a alors beau jeu de parler de « tartufferie » et d’« imposture ». Les uns, en se posant en défenseurs de la langue, volent au secours d’une identité nationale qu’ils jugent menacée. Les autres font valoir que l’urgence est à promouvoir l’égalité des développements. Chacun accuse son adversaire de vouloir occulter un débat nécessaire, celui sur « notre système éducatif », et « l’éducation de nos enfants », soit en tentant d’imposer une réforme dérisoire, soit en polémiquant sur une réforme qui n’existe pas.

Dans une telle guerre de postures, c’est l’idéologie qui triomphe.

Le bon sens exigerait que l’on retournât aux deux premiers niveaux de débat, en s’interrogeant sur les plus intelligentes façons de défendre la langue écrite, et de permettre à tous de devenir, selon le mot de Cécile Ladjali (Le Monde du 19/02/16 ), « riche de mots ». L’éducation de nos enfants exige mieux qu’un bal des hypocrites.

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