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Dimant de synthèse en gros plan
Les techniques de fabrication des diamants de synthèse exigent un chauffage à 5500 °C pendant plusieurs semaines. James St. John/Flickr, CC BY-SA

Saint-Valentin : la face cachée du diamant de synthèse

En cette Saint-Valentin, vous avez peut-être pour projet d’acheter un diamant… et il se pourrait bien que votre bijoutier vous propose un diamant de synthèse. C’est le symbole de l’amour éternel depuis le judicieux slogan du diamantaire De Beers en 1947, « A diamond is forever ». Et quand on aime, on ne compte pas

Mais il se trouve qu’aujourd’hui le « solitaire » en diamant naturel n’est plus « seul » sur son marché. Depuis sa mise au point en 1954 par le chimiste américain Tracy Hall, le diamant de synthèse constitue en effet un concurrent sérieux. Si séduisant, qu’en 2018, l’entreprise De Beers elle-même a succombé. Après des années de dédain pour ces pierres artificielles qu’elle réservait à l’industrie… elle se mit à en proposer en joaillerie !

Deux frères jumeaux

Chimiquement, comme le diamant naturel, le diamant de synthèse se forme grâce à la cristallisation du carbone, soumis à des conditions de chaleur et de pression extrêmes. Seuls l’origine et le lieu de ce phénomène diffèrent. Le diamant naturel est né il y a 2,5 milliards d’années, dans les entrailles de la Terre. Son rival, obtenu en laboratoire en quelques semaines, est le pur produit de la main de l’homme.


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Sémantiquement, une bataille de terminologie s’est engagée et deux storytellings s’affrontent aujourd’hui. Le diamant naturel impose le respect en s’appuyant sur des valeurs d’infini et de rareté ; le diamant de synthèse offre un récit alternatif, qui convoque une forme d’alchimie verte. Vanter « la magie alliant science et nature », comme peuvent le faire certaines marques, semble judicieux. Porté par des valeurs écologiques et éthiques, ce récit réconforte les acheteurs qui culpabilisent à l’idée d’acheter un diamant naturel.

Un duel aux enjeux actuels

Économiquement, il faut dire que l’enjeu est de taille… En 2020, une étude quantitative a estimé que 42 % des Français déclaraient vouloir acheter un diamant « au moins une fois dans leur vie ». Cette proportion grimpe même à 65 % chez les 25-34 ans.

Lors de ma recherche doctorale portant sur les phénomènes de storytelling, j’ai investigué ce secteur qui semblait ne pas échapper aux accusations de « greenwashing ». Ces nouveaux enjeux sur la consommation responsable constituent un des axes majeurs traités par le Lifestyle Research Center de emlyon qui étudie les nouveaux phénomènes de consommation grâce à des recherches auprès des acteurs de terrain.

Le diamant synthétique esquive les critiques

Lors de mon enquête, j’ai compris que le succès du diamant de synthèse s’est notamment bâti en contrepoint des dérives persistantes du diamant naturel.

Tout d’abord, il ne semble pas réservé à une élite, affichant des prix de 30 à 40 % moins chers. Une responsable marketing d’une des maisons de haute joaillerie les plus réputées me précise :

« C’est normal, cette filière bénéficie d’une réduction du nombre d’intermédiaires, et d’une facilité de production en laboratoire. La concurrence actuelle entre les laboratoires fait même pression sur les prix ».

Ensuite, le diamant de synthèse ne provient pas de mines à ciel ouvert qui génèrent de véritables scandales écologiques. Pour trouver quelques carats de diamants naturels, il faut extraire des millions de tonnes de minerai dans des zones fragiles, ce qui détériore considérablement les écosystèmes naturels. Les sols, les baies et les berges qui ont été fouillés restent perturbés pendant des décennies avant que la faune et la flore ne retrouvent leur équilibre.

Trop jeune pour être coupable

Contrairement à son grand frère, le diamant de synthèse n’est pas entaché par l’échec du processus de Kimberley (forum de négociation international réunissant les représentants des États, de l’industrie et de la société civile) mis en place il y a une vingtaine d’années pour encadrer la traçabilité de la filière diamantaire. Renié en 2011 par l’organisation non gouvernementale (ONG) Global Witness qui en était pourtant à l’origine, le PK est désormais dans le viseur des associations humanitaires comme Amnesty International.

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Le mouvement Unita en Angola, les deux guerres au Congo, et la spirale mafieuse du Liberia et de la Sierra Leone ont en effet terni la filière historique. L’invasion de l’Ukraine par la Russie, le plus gros extracteur de diamants naturels, en réactive aujourd’hui la critique.

En conséquence, le diamant de synthèse ne souffre pas d’une mauvaise image dans l’opinion publique alors que celle du diamant naturel est fissurée. Certes, il y a exactement un demi-siècle, Hollywood servait d’écrin au diamant naturel : en 1953, Marilyn Monroe chantait « Diamonds are a girl’s best friend ». Mais les temps ont changé. En 2006, le film Blood Diamonds révélait l’horreur des conditions de travail dans les mines diamantifères. Très marqué par son rôle, Leonardo Di Caprio est aujourd’hui un porte-parole virulent contre les diamants naturels. Depuis 2014, il est même actionnaire de Diamond Foundry, important producteur de diamants de synthèse aux États-Unis.

Campagne d’Amnesty International « Quel prix pour ces diamants ? » (2003). Adforum

Alors, face au risque du désamour du public, la filière traditionnelle entend bien montrer qu’une fois observé à la loupe, le diamant de synthèse, lui non plus, n’offre pas que des facettes reluisantes.

Le diamant naturel contre-attaque

Au niveau mondial, le Natural Diamond Council utilise son slogan pour afficher ses ambitions de reconquête : « Only natural diamonds » (« seulement des diamants naturels »). En France, le Collectif Diamant, qui regroupe les organisations référentes de la filière, relaie l’étude de la société Trucost, leader mondial en matière d’évaluation des risques environnementaux.

Ces campagnes visent à braquer les projecteurs sur la face cachée du diamant de synthèse.

Ces groupements précisent ainsi qu’il est issu de techniques de production très énergivores. Une des techniques, dite HPHT (Haute Pression, Haute Température) requiert une pression équivalente à 58 000 fois celle observée en moyenne au niveau de la mer et un chauffage à plus de 1400 °C pendant plusieurs semaines. Ainsi, les estimations d’émissions de CO2 associé à la consommation d’énergie dans la production synthétique seraient près de trois fois supérieures à celle des diamants naturels.

Les détracteurs du diamant de synthèse rappellent aussi que sa production, récente, reste peu encadrée. La plupart des centres se situent en Chine et en Inde avec impossibilité de surveiller ce qui s’y fait, tant d’un point de vue écologique qu’éthique.

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En outre, sa qualité est restreinte en taille et en couleur. Le plus gros diamant de synthèse pèse seulement 9 carats alors que le plus gros diamant brut extrait d’une mine au Botswana en 2021, pèse 1174 carats. Les diamants naturels offrent également une palette de teintes bien plus large. Évalué selon les 4C institués par De Beers, à savoir, cut (taille), colour (couleur), clarity (pureté) et carat (poids), le diamant de synthèse ne rivalise pas encore.

Enfin, le concurrent du diamant naturel ne concerne que des scientifiques en laboratoires et de la main-d’œuvre qualifiée en usine, alors que l’exploitation minière peut se targuer d’employer plus de 77 000 personnes pauvres, principalement en Australie, au Botswana, au Canada, au Lesotho, en Namibie, en Russie, en Afrique du Sud et en Tanzanie. Vouloir éradiquer un écosystème économique réel dans des pays particulièrement pauvres reste un discours difficile à tenir.

Un face-à-face fratricide ?

Aujourd’hui, le diamant naturel résiste encore à la concurrence… décidément, c’est un matériau robuste ! Une étude du National Jeweler estime que la part de marché volume du diamant synthétique reste inférieure à 10 %. Elle a quintuplé en cinq ans, dépassant les 6 milliards de dollars… Mais les diamants de synthèse sont désormais eux aussi au cœur d’une controverse et pourraient bien vaciller.

En conclusion, même consciente des progrès à réaliser, la filière diamantaire peine à trouver une alternative. Pas évident de séduire les nouvelles générations d’amoureux avec deux filières ni éthiques ni écologiques qui ternissent l’image l’une de l’autre… au risque de se décrédibiliser toutes les deux.

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