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Silence, déclassement et dépendance : la vie des personnes âgées vivant avec le VIH au Sénégal

Réunion de personnes âgées organisée par le Conseil national des Aînés du Sénégal
Réunion de personnes âgées organisée par le Conseil national des Aînés du Sénégal, sur le rôle des aidants dans la prise en charge des maladies chroniques à Dakar, 2023. S. Sagne, CNAS, Fourni par l'auteur

En Afrique, grâce à l’efficacité des traitements antirétroviraux (ARV) qui ont été généralisés à partir des années 2000, de plus en plus de personnes vieillissent avec le VIH. On estime que le nombre de personnes vivant avec le VIH âgées de plus 50 ans devrait tripler d’ici 10 ans, et atteindre 6 à 10 millions en Afrique sub-saharienne. Elles subissent les effets physiologiques universels du vieillissement, cumulés avec ceux des traitements médicamenteux et de l’infection virale sur le long terme. Vieillir avec le VIH en Afrique devient une expérience – somatique et sociale, individuelle et collective – de plus en plus fréquente.

Le Sénégal fut le premier pays d’Afrique francophone à avoir rendu disponibles les antirétroviraux (ARV), dès 1998. En 2022, les personnes âgées de plus de 50 ans vivant avec le VIH (PAVVIH) représentent plus du tiers des 31 637 personnes traitées. Certaines le sont depuis plus de 20 ans.

Comment ces personnes et leurs proches vivent-ils le vieillissement avec le VIH ? Comment la société gère-t-elle leur santé ? Une étude anthropologique « Grand âge et VIH » est actuellement en cours à Dakar et à Yaoundé (Cameroun) auprès de personnes âgées de plus de 70 ans, vivant avec de VIH, de leurs proches et des soignants pour analyser le vécu et les perceptions du vieillissement avec le VIH. Les premiers résultats de l’étude à Dakar sont ici présentés.

Vivre avec le VIH dans la longue durée

« On vit avec ça, cela ne nous pose plus de problème, on s’est habitué, on oublie presque que l’on est malade », déclare Aminata, âgée de 70 ans, qui reçoit un traitement antirétroviral depuis 21 ans (tous les prénoms sont fictifs).

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Dans les années 2000, la prise des traitements contre le VIH était très contraignante. Le nombre des comprimés était élevé – jusqu’à 20 comprimés par jour – et certains traitements avaient des effets secondaires éprouvants. Vingt ans après, ces traitements, rendus gratuits, ont été simplifiés et se résument souvent à la prise quotidienne d’un seul comprimé. Généralement dépistées alors qu’elles étaient dans un état grave, ces personnes ont retrouvé santé et vie « normale » ; certaines se qualifient de « survivantes ». Elles font preuve d’une très bonne adhésion aux soins et au traitement ARV.

Mais avec l’âge, elles sont confrontées à diverses pathologies liées au vieillissement qui surviennent plus précocement que chez les personnes non infectées par le VIH. Les plus fréquentes sont l’hypertension artérielle, le diabète et leurs complications (maladies cardiaques, oculaires, AVC, etc.) Ces maladies complexifient leur suivi médical et les contraignent à fréquenter diverses structures de santé, en plus de leur visite semestrielle pour le VIH. Certaines PAVVIH témoignent de difficultés à suivre les traitements pour ces autres maladies qu’elles jugent moins prioritaires, d’autant que les médicaments sont souvent coûteux.

Secret, silence, partage

Au moment du diagnostic, les personnes se sont parfois confiées à quelques proches : le conjoint, la personne qui les accompagnait aux consultations ou qui finançait les soins. Par la suite, rares sont celles qui l’ont révélé à d’autres personnes.

D’une manière générale, les personnes considèrent que « le VIH est une maladie qu’il ne faut pas divulguer », car « cette maladie n’est pas jolie ». La crainte d’un jugement moral sur les circonstances de la contamination demeure le principal motif du maintien du secret. En 2022, le VIH demeure une maladie stigmatisante.

Les femmes âgées vivant avec le VIH sont souvent veuves parce que leur conjoint est décédé du VIH et en raison de la différence d’âge liée au contexte de polygamie. Elles subissent une pression au remariage de la part de la famille et de la société, mais peu d’entre elles acceptent de se remarier, de crainte que leur nouveau conjoint divulgue leur maladie.

Les enfants des PAVVIH sont également peu informés, même si ce sont des adultes. « Je vis comme si je n’avais pas cette maladie, je la garde pour moi, même à mes enfants, je n’ai rien dit » témoigne Ibrahima, âgé de 72 ans ; d’autres s’accommodent d’une forme de non-dit : « Je n’ai jamais discuté de la maladie avec mes enfants ; ils savent parce qu’en 2000 c’est ma fille aînée qui m’accompagnait à l’hôpital, mais je n’ai jamais fait face à eux pour en parler », explique Ousseynou, 84 ans, traité par ARV depuis 22 ans. Ces réticences sont majorées chez les personnes dépistées à un âge avancé, en raison du tabou portant sur la sexualité des personnes âgées.

Mais la survenue d’incapacités fonctionnelles (cécité, difficultés à se déplacer, etc.) nécessitant une aide pour les activités quotidiennes (prise des médicaments ou trajets pour les consultations) oblige à revoir ces choix. Au mieux, l’annonce à l’un des enfants clarifie un non-dit ou suscite une sollicitude ; mais parfois, cela ravive des conflits anciens et des accusations de dissimulation.

Déclassement économique et précarité

Avec l’avancée en âge, l’arrêt de toutes activités professionnelles se traduit pour la majorité des personnes âgées par une diminution majeure de leurs ressources économiques. Au Sénégal, seules 24 % des personnes de plus de 60 ans ont une pension de retraite, au montant souvent modeste, le minimum étant de 53 € par mois. À travers les dispositifs de réversion, les veuves reçoivent des pensions encore plus faibles, notamment dans les cas de partage lié à la polygamie.

Les personnes qui avaient une activité professionnelle dans le secteur informel, et qui n’ont plus de revenu, constatent avec inquiétude l’érosion de leur capital économique. Certaines se retrouvent contraintes à des déménagements successifs qui les repoussent progressivement vers la périphérie urbaine pour trouver des loyers moins onéreux.

Les PAVVIH tentent de travailler tant que leur condition physique le leur permet, afin de repousser le moment où elles n’auront plus d’autonomie économique. Cette perte d’autonomie se traduit pour toutes par un déclassement économique et par l’exacerbation de situations de précarité et de dépendance qui ont un impact direct sur leur santé physique et psychologique.

Dans le même temps, leurs dépenses de santé augmentent. En effet, au Sénégal, si les médicaments ARV et certains examens biologiques sont gratuits depuis 2003, une partie des coûts des soins liés au VIH et ceux des autres maladies sont supportés par les patients. Or la moitié des PAVVIH présentent au moins une comorbidité qui nécessite un traitement régulier. Une étude réalisée en 2021 à Dakar évalue entre 34 et 40 € le reste à charge d’une consultation pour des patients âgés présentant une hypertension artérielle ou un diabète, ce à quoi s’ajoutent les coûts du transport pour se rendre dans les structures de soins. Alors que le dispositif de protection sociale prévu pour les plus de 60 ans – le Plan Sésame – fonctionne mal, ces dépenses de santé constituent souvent un véritable casse-tête pour les PAVVIH et leur famille.

Dépendance

Le manque de ressources place les personnes âgées, et notamment les PAVVIH, en situation de dépendance économique à l’égard de leurs proches. Les aides dont elles peuvent bénéficier sont fonction de la nature et de la qualité des liens, une forme d’héritage des relations familiales sur l’ensemble de leur vie.

Les personnes le plus souvent sollicitées sont les enfants, les frères et sœurs utérins, puis les descendants indirects (neveux et nièces) ; moins souvent, des relations amicales anciennes ou des parents aisés plus éloignés ; plus rarement encore, le voisinage. Les PAVVIH déploient parfois toute une stratégie pour éviter la honte de devoir quémander (la sutura) et ne pas solliciter trop souvent les proches au risque de les « fatiguer ».

« Je vis avec l’aide des gens et la grâce divine », reconnaît Habib, 84 ans, traité depuis 20 ans qui précise que ce sont ses voisins qui financent le déplacement pour se rendre à l’hôpital (2 €). Le code d’honneur est souvent évoqué : « Mon fils gère la vie dans la maison : s’il me donne, je vais prendre, mais ma dignité ne me permet pas de lui demander. »

Au Sénégal, la cohabitation intergénérationnelle est fréquente, la taille moyenne des ménages étant de dix personnes. Cette situation peut favoriser une entraide au bénéfice des personnes âgées. Mais les difficultés d’accès à l’emploi conduisent souvent à ce que ce soient les personnes âgées disposant d’une pension de retraite qui entretiennent la maisonnée. Il leur faut alors choisir entre les dépenses familiales et celles concernant leurs dépenses médicales, souvent au détriment de leur santé.

Une entrée « digne » dans les rôles sociaux du grand âge avec le VIH

Les PAVVIH ne vivent heureusement pas toutes dans des situations dramatiques. Notre étude a permis d’identifier les conditions favorisant une entrée « digne », pour les personnes vivant avec le VIH, dans les rôles sociaux du grand âge.

Fatou, 74 ans, veuve, est traitée par ARV depuis 2006 ; elle habite avec ses deux fils, ses belles-filles et cinq petits-enfants scolarisés. Seul son fils aîné est informé de sa maladie. Elle dit vivre une vieillesse heureuse. Ses enfants la prennent en charge et elle s’occupe de ses petits-enfants : « Je ne fais rien comme activité à part garder mes petits-enfants qui me tiennent compagnie, je suis la « yaay » (mère de famille) ».

Dans le contexte actuel de dépendance économique de la plupart des PAVVIH, ces rôles sociaux sont rendus possibles lorsque leurs enfants sont socialement insérés, à travers un emploi et des revenus stables. Ils peuvent alors se répartir la prise en charge financière de leurs parents ; en retour, ceux-ci peuvent s’investir dans leur rôle au sein de la famille ou de la communauté.

À défaut du soutien familial, il est de la responsabilité collective d’assurer une vie digne aux PAVVIH. Des associations de personnes vivant avec le VIH commencent à se mobiliser en faveur de leurs ainés. Plus largement, des collectifs comme le Conseil national des Ainés du Sénégal militent pour un meilleur fonctionnement du Plan Sésame et la création d’un minimum vieillesse pour les personnes démunies. Au Sénégal, les personnes de plus de 60 ans ne représentent que 6 % de la population. Dans un pays où le grand âge est valorisé, s’occuper des aînés devrait être l’une des valeurs cardinales d’une société solidaire, tout comme cela devrait l’être dans le reste du monde.


Le projet « Grand âge et VIH au Cameroun et au Sénégal, anthropologie du vieillissement et de la maladie » est financé par Sidaction-Ensemble Contre le Sida. Les investigateurs principaux sont au Cameroun : Laura Ciaffi, Marie-José Essi, Antoine Socpa ; au Sénégal : Gabrièle Laborde-Balen, Khoudia Sow, Bernard Taverne ; au Sénégal, les enquêtes ont été réalisées par Seynabou Diop, Catherine Fall et Marcel Ndiana Ndiaye.

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