Menu Close

« T’aimerais être prof, toi ? »

De moins en moins de jeunes veulent devenir profs. Jeff Pachoud / AFP

Prof ? On le disait volontiers « le plus beau métier du monde ». Ah oui…. ? Tiens, voilà qu’il est réputé franchement moins attractif de nos jours, ce métier-là. Et pourtant, direz-vous, l’industrie cinématographique s’intéresse à cette profession, ce que ne dément pas le succès de films comme La guerre des boutons, Mourir d’aimer, Les choriste, Être et avoir, Les profs, Le pion, Les désarrois de l’élève Törless, Diabolo Menthe, ou encore de documentaires comme Sur le chemin de l’école, dont certains sont disponibles en streaming, voire de séries TV à heure de grande écoute comme Parents-Profs.

Le site SensCritique propose même de passer aux élèves des films sur les profs. Alors que penser de ce métier ?

Chacun d’entre nous a en mémoire un enseignant qu’il a apprécié ou détesté ! Pas vrai ? Certains parlent avec des trémolos dans la voix de leur premier enseignant (la mienne avait de longs cheveux bruns… le mien était trop sévère…).

Donc les profs influencent leurs élèves, semble-t-il. La relation est importante dans l’acte d’apprendre, nul ne le contredit. Et le « modèle » de l’enseignant demeure un paramètre central de l’apprentissage, du moins aux dires des apprenants. « Et toi, tu veux devenir prof ? », se demandent pourtant les jeunes.

Prof, un métier nettement moins en vogue

Une récente publication de l’OCDE (2015) s’intéresse à l’envie de devenir professeur chez les étudiants des pays de l’OCDE.

Elle aboutit au constat que seuls 5 % d’entre eux choisissent cette profession avec une légère préférence chez les filles : 3 % sont des garçons, 6 % des filles, mais sans aucune incidence de genre dans certains pays comme la Bulgarie, l’Indonésie, le Japon, ou la Suisse.

Le niveau de rémunération est sans nul doute une explication à ce désamour de la profession enseignante, puisque les enseignants gagnent en proportion et en moyenne 85 à 92 % du salaire des employés du secteur tertiaire, toujours selon les chiffres de l’OCDE. Ils sont donc rémunérés en dessous des autres employés du tertiaire.

Nombre de détracteurs diront toutefois à tort que leur salaire est à rapporter aux vacances dont ils bénéficient. Les enseignants en France n’ont pas vu de réactualisation de leur point d’indice depuis… 2010 ! Ceci s’est apprécié à la manifestation du 26 janvier avec ses 130 à 150 000 personnes dans la rue.

Cela n’étonnera guère : c’est dans les pays où l’enseignant est le mieux rémunéré que la profession semble la plus attractive : c’est le cas de la Corée, de l’Indonésie, de l’Irlande du Sud, du Japon ou encore du Luxembourg et de la Turquie, pour ne nommer que ces pays arrivant en tête des statistiques.

On peut retenir de l’étude de l’OCDE que la valeur sociale attribuée à toute profession génère pour elle une plus ou moins grande attractivité chez les jeunes qui s’interrogent sur leur avenir à l’heure du choix.

Effectivement, depuis des décennies en France, la profession enseignante a perdu de son statut social élevé. Qui ne se souvient pas des instituteurs de campagne ? L’instituteur était l’un des notables de village dans les années d’après-guerre encore. Il n’en est plus ainsi, preuve en sont les agressions dont sont victimes les enseignants et les scandales qui entachent la profession, auxquels certains confèrent une valeur généralisante.

La situation devient problématique dès lors que le vivier de personnes désirant entrer dans la profession n’est pas suffisant au regard du nombre de postes offerts. Le recrutement peut certes se targuer d’être fait par concours, mais certaines disciplines sont dans la pénurie de candidats, notamment les mathématiques dans le secondaire, ou l’anglais, alors que d’autres professions mieux valorisées socialement et financièrement sont offertes à niveau de formation égal, attirant, toujours selon l’OCDE, les candidats les plus performants.

En outre, la garantie d’emploi dans la fonction publique conférée par le concours de recrutement ne fait plus vraiment recette pour une génération qui se dit qu’elle n’exercera sans doute pas le même métier toute sa vie.

Étre prof en France

En France, les conditions d’exercice de la profession enseignante s’avèrent difficiles au quotidien : classes chargée, programmes lourds, contextes d’écoles peu porteurs, trop rare formation aux mutations de la société, tels la violence, le handicap, le plurilinguisme, les migrations, logique descendante de mise en œuvre, non-concertation et faible congruence du top down et du bottom up, attentes fortes des parents et démotivation des jeunes… Un constat alarmant.

La formation initiale dans les ESPÉ (écoles supérieures du professorat et de l’éducation) revisite régulièrement cette profession à grands coups de référentiels de compétences, mais le résultat chez les jeunes enseignants reste déprimant : la pédagogie reste l’une des premières sources de problèmes pour eux.

L’alternance est trop ponctuelle, le geste n’est pas accompagné avec suffisamment de régularité ou de cohérence, ni vraiment en situation, parfois il ne conduit pas à une posture de « praticien réfléchi », les questions vives demeurent et la prise en compte des recherches les plus récentes reste souvent lettre morte dans la formation.

Les profs n’ont plus le même prestige qu’avant. Jeff Pachoud/AFP

Les représentations du métier et de la discipline constituent des obstacles non négligeables. Certains outils de réflexivité comme les portfolios ne sont pas ou sont peu diffusés par les formateurs. Ainsi, les blogs fleurissent pour aider et soutenir et ce sont souvent eux qui apportent des solutions par le biais des pairs.

Et la recherche ? Bien des laboratoires, mais aussi l’Ifé, à Lyon dans ses dossiers de veille et avec sa chaire UNESCO, travaillent sur la professionnalisation des enseignants. Voilà un sujet porteur.

Le numéro de janvier 2016 des dossiers de veille Ifé porte de façon non innocente sur le changement : le changement, c’est comment ?. Ce qui permet à Olivier Rey, le rédacteur en chef, de constater que si les structures et dispositifs changent, les pratiques d’enseignement, elles, font preuve d’une impressionnante stabilité. Là aussi, un constat inquiétant.

Efficacité et changement de l’institution scolaire

Le changement a été longtemps sollicité par une conception top down des politiques éducatives en France. On en veut pour preuve le rôle des IPR (inspecteur pédagogique régional) et IEN (inspecteur de l’éducation nationale). Il a ensuite été encouragé par le recours à la diffusion de bonnes pratiques reconnues, dont on attend qu’elles soient pour ainsi dire transférables, sans avoir à être repensées, voire recontextualisées. Notons que l’Europe a été un fort pourvoyeur de bonnes pratiques dans les années 2000, avec, par exemple, le financement de projets et d’outils accompagnant le Cadre européen Commun de référence pour les Langues vivantes en 2001.

Ces deux approches, le top down et les bonnes pratiques, centrent l’école et le métier d’enseignant sur des aspects modélisables. La part d’autonomie, de réflexion et de décision de l’enseignant y est minime.

Où trouver le sens des apprentissages ? On n’est pas loin d’envisager que les réformes successives depuis les années 70 adossées à ces principes aient pu démoraliser ou faire démissionner certains enseignants par le côté séquentiel et techniciste à l’œuvre. Bien des enseignants en quête de recettes en sont les héritiers.

Depuis deux décennies environ, un courant venu des USA pénètre l’institution scolaire, le School effectiveness ou le School improvement. Ce courant recherche les conditions locales de l’efficacité au niveau des établissements. Il s’agit d’une approche plus globalisante et compréhensive des situations. De modèles intangibles, on passe aux dispositifs et environnements favorisant le changement. Les acteurs y trouvent mieux leur place.

La recherche s’oriente depuis vers une réflexion plus holistique de ce qui peut contribuer au changement, comme le montrent les travaux de Hopkins (2016) ou ceux de Spillane (2014) qui recentre l’analyse sur les contenus didactiques et notamment sur les interactions.

Mais les enjeux suffisent-ils à engager l’action ? À produire du changement ? Rey affirme : « Autrement dit, on accepte l’idée que ce qu’on appelle le système éducatif soit le produit d’interactions entre acteurs et organisations qui disposent parfois d’une certaine autonomie et n’obéissent pas tous à la même logique. Cette vision accorde plus d’importance à la pluralité des logiques qui coexistent tant au niveau « vertical » (Éducation nationale, administration, disciplines…) qu’au niveau « horizontal » entre établissements, réseaux, collectivités ».

A-t-on perdu l’enseignant en route ?

Depuis quelques années existe le concept de « didactique professionnelle », une logique non bureaucratique dont les acteurs sont essentiels à l’aide au changement. Il y a beaucoup à chercher de ce côté là.

Le mouvement de balancier prof/enseignement-élève/apprentissage-didactique professionnelle intéresse au plus haut point. De nos jours, la valeur de l’action partagée et de l’expérience d’une communauté enseignante (visible sur les sites et forums), de l’organisation apprenante contribuent à impulser l’idée selon laquelle le groupe est déterminant à côté de l’intention ou de l’action du professionnel isolé.

Pour caractériser le changement, l’affaire est assez complexe. On retient des moments-clés critiques, qui caractérisent les ruptures et engagent le changement.

Il semble que « la composante clé dans le processus du développement professionnel soit le fait qu’un individu reconnaisse et prenne en compte un changement comme une meilleure manière de faire que celle qui précédait » (Rey, 2016). Ainsi, les représentations sociales et les croyances à l’œuvre sont-elles centrales dans l’évolution que peut espérer l’école pour professionnaliser ses enseignants.

Dès lors, les politiques publiques semblent-elles à la recherche de l’efficacité au risque de stigmatiser les enseignants. Ne nous trompons pas de responsable, comme le dit Alain Rey : « Bien souvent, ce sont de vrais choix de conception de politique publique qui expliquent les difficultés rencontrées, choix dont ils les [décideurs] sont éminemment responsables… ».

La recherche actuelle se centre sur la connaissance des gestes professionnels de l’enseignant, sur ses pratiques données à voir et dites, sur ses croyances également. C’est la Teacher cognition.

Connaître les enseignants et mesurer – dans le sens non d’évaluer, mais de comprendre – leurs schèmes d’action aiderait à mieux les accompagner dans leur professionnalisation et de ce fait à leur faciliter l’exercice de leur quotidien.

Être prof aujourd’hui, un joli défi, mais bien peu de jeunes y vont…

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 180,400 academics and researchers from 4,911 institutions.

Register now