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Foule brandissant des drapeaux soudanais autour d'une voiture
Le leader d'opposition Succes Masra est accueilli par les partisans de son parti Les Transformateurs à N'Djamena, le 19 novembre 2023. Denis Sassou Gueipeur/AFP

Tchad : un référendum constitutionnel à haut risque

Le 17 décembre, plus de huit millions de Tchadiens, selon les chiffres de la Commission nationale chargée de l’organisation du référendum constitutionnel (CONOREC), sont appelés aux urnes pour se prononcer sur l’adoption d’une nouvelle Constitution.

Mais le jeu semble biaisé d’avance à cause du simple fait que le gouvernement n’a pas respecté la recommandation du dialogue national – celle de laisser le peuple libre de choisir la forme de l’État. Deux projets de lois devraient être mis sur la table et non un seul, celui de l’État unitaire, soutenu par le pouvoir. Le gouvernement a donc fait le choix à la place du peuple avant cette consultation référendaire.

Dans ce contexte, une grande partie de l’opposition appelle à voter « non ». Un troisième camp appelle au boycott, estimant que le vote constitue une violation de la politique de transition entamée en 2021 après le décès du président Idriss Déby Itno, qui a succombé à des blessures par balles lors d’affrontements avec des rebelles.

Les questions de gouvernance au cœur de la campagne

Cette transition dirigée par Mahamat Idriss Déby, fils du défunt chef de l’État, et soutenue par le gouvernement français, vise le retour à l’ordre constitutionnel et la résolution de la crise politico-militaire ouverte par la disparition de l’ancien président du cinquième pays le plus vaste d’Afrique.

Mais une partie importante des Tchadiens ne soutiennent pas l’équipe en place. C’est spécialement le cas du parti Les Transformateurs, dont le président, Succès Masra, estime que l’on assiste en réalité à une succession du père par le fils à la tête de l’État, ce qui n’est pas acceptable. Le Conseil national de Transition (CMT), composé de 14 généraux en plus du président, qui avait pour mission de remettre le pouvoir aux civils par une élection démocratique en 18 mois, a prolongé son mandat de deux ans en 2022.

Ce processus se déroule dans un contexte marqué par la rébellion, dans le nord du pays, du FACT (Front pour l’Alternance et la Concorde au Tchad), l’un des mouvements rebelles les plus actifs dans le pays. Aujourd’hui composé de plus d’un millier et demi de combattants, le groupe a été fondé en 2006 par Mahamat Mahdi Ali à Tanoua (Nord du Tchad), à la suite de l’éclatement de l’Union des Forces pour la Démocratie et le Développement (UFDD) de Mahamat Nouri. Le FACT, qui dispose d’armement lourd d’origine russe récupéré en Libye après la mort de Mouammar Khadafi, est considéré par les autorités de N’Djamena comme étant responsable de la mort de Déby-père

  • Le principal objectif du mouvement est de mettre fin au régime des Déby et de remettre le pouvoir entre les mains des civils.

Depuis son indépendance en 1960, presque tous les dirigeants du Tchad, qui compte aujourd’hui 17 millions d’habitants, sont arrivés au pouvoir par un coup de force militaire. Il existe donc, pour des raisons historiques, un risque de conflit à l’issue du vote dans ce pays qui reste l’un des plus pauvres au monde.

En outre, le référendum est marqué par des préoccupations quant à son impartialité, le gouvernement de transition favorisant ouvertement le « oui ». Le premier ministre actuel, Saleh Kebzabo, utilise en effet les ressources matérielles, financières, humaines et logistiques de l’État pour mener la campagne.

Dans le camp d’en face, le bloc fédéral est composé de plusieurs formations : le Parti pour la Justice et la Liberté (PJL), dirigé par Warimi Wardougou Tourki, le Mouvement des patriotes tchadiens pour la République (de Bruce Mbaimon), l’Alliance pour la Démocratie (de Pasteur Moyade Naredroum Koumouana), Intégrité et Liberté (ADIL, de Natoi-Allah Ringar), etc. Les partisans du « non » critiquent le modèle d’État unitaire existant depuis 63 ans et voient dans ce scrutin une occasion de rompre avec le paternalisme présidentiel. Une grande partie de la population souhaite également mettre fin à la gouvernance accusée de favoriser la corruption, considérée comme la source de nombreux problèmes du pays.

Un projet proposé par le gouvernement

Le lien est fait ici avec le système de continuité que Déby-fils maintient à travers le gouvernement de transition. Les mêmes personnes qui ont dirigé le pays sous Deby-père sont toujours aux manettes. Le système Déby est donc menacé par le résultat de ce référendum qui pourrait marquer une nouvelle ère et qui soulève en même temps la question des risques d’embrasement qui l’accompagne.

D’ailleurs, nous l’avons dit, un seul projet de Constitution a été proposé par le gouvernement de Transition et adopté par le Conseil national de transition. Ce texte reprend l’architecture de la Constitution de 1996 axée sur l’État unitaire. Dans la norme des choses, deux projets de Constitution, un de type unitaire et l’autre de type fédéral, devraient pourtant être mis en place afin que le peuple puisse faire librement son choix. Or ce n’est pas le cas et le « oui » est largement favorisé dans la campagne. De plus, la Conorec, qui supervise le scrutin, apparaît partisane puisqu’on retrouve à sa tête le ministre actuel de l’Administration du Territoire, Mahamat Limane.

Un scrutin illégitime ?

Certains contestent donc la légitimité du scrutin en raison du manque de transparence et de neutralité du gouvernement de transition. Cette partialité alimente en effet les craintes d’un processus électoral biaisé, similaires à d’autres scrutins contestés par le passé au Tchad en raison de bourrages d’urnes ou de manipulations des chiffres.

Ce camp, mené par l’ex-premier ministre de la Transition phase I, Pahimi Padacké Albert, président du parti politique le RNDT/Réveil, appelle à un boycott du scrutin. Il brandit à cet égard la violation de l’article 7 de la Charte de Transition selon lequel les opérations électorales relèvent de la compétence d’une structure nationale impartiale et indépendante. Les partisans du « non » estiment ainsi que le scrutin s’apparente à une forfaiture anticonstitutionnelle.

Il existe donc un risque de conflit à l’issue du vote. Certains groupes cherchent à empêcher la tenue du scrutin, tandis que le camp du « non » pourrait contester les résultats, à l’image de la manifestation organisée par le parti Les Transformateurs en octobre 2022, et qui fut réprimée dans le sang par l’armée. Le camp du « oui », a le monopole de la violence et commence déjà à l’utiliser en empêchant certains partisans du « non » de faire campagne. Le bloc fédéral est constitué d’une coalition où toutes les couches sociopolitiques, culturelles et économiques sont représentées et qui dispose d’une forte capacité de mobilisation de masse.

Enfin, l’attitude de mouvements rebelles tels que le FACT, jusqu’ici en marge du processus politique, pourrait changer en fonction des résultats définitifs. Une escalade risquerait de conduire rapidement à une guerre civile, plongeant le pays dans une nouvelle phase de conflit dont les conséquences pourraient, notamment, provoquer un nouveau recul de l’influence de la France en Afrique, après la succession de coups d’État depuis 2020 au Mali, en Guinée ou encore au Niger.

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