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Un bot pour l’emploi

Nous, chercheurs en informatique (en bases de données et apprentissage automatique), pensons que nos recherches peuvent aussi servir les gens. Un des domaines dans lesquels ces recherches pourraient servir est celui de l’emploi. Comment trouver un premier emploi, comment retrouver un emploi après un licenciement ou une interruption ? C’est souvent le problème le plus important pour les personnes concernées ; c’est aussi un des problèmes les plus difficiles pour l’État. Or, le big data peut apparemment tout (ou presque) pour l’innovation, la santé, le commerce, etc. ; peut-il quelque chose pour l’emploi ? Cet article est publié en collaboration avec le blog Binaire.


E-coaching

La recherche d’un emploi s’apparente à un parcours du combattant, à une loterie, à un examen scolaire, à un concours. Il faut rédiger un curriculum vitae. Comment mettre en valeur ce qu’on a fait ? Comment décrire ses hobbies ? Comment répondre à des questions comme : quel est votre principal point faible ? On peut se repasser de bonnes réponses entre amis (mon défaut est d’être trop perfectionniste) ; mais une bonne réponse trop connue n’est plus une bonne réponse.

Idéalement, un conseiller infatigable et dévoué, au courant de votre cas personnel, de l’état de l’emploi dans votre branche, des aides gouvernementales, de la situation régionale, etc., vous donnerait jour après jour les meilleurs conseils. Il commencerait par apprendre à vous connaître, pour vous aider : à faire le tri, à chercher aux bons endroits, à ne pas se décourager.

Un plan pour l’emploi des seniors. Philippe Tastet, Author provided

E-commerce

On peut aussi s’inspirer de ce qui existe dans le domaine du commerce sur Internet. Après tout, on cherche un emploi un peu comme on cherche un produit dans un site de commerce en ligne. Dans les deux cas, la personne cherche ce qui correspond le mieux à ses besoins. Il y a évidemment de grandes différences. Par exemple, l’emploi ne s’achète pas, l’information est rare. Une similitude est la difficulté de trouver, de choisir. Un site de commerce en ligne (par exemple Amazon) propose énormément plus de produits qu’un magasin physique. Le catalogue des produits est plus long qu’une encyclopédie ; il faut donc aider le client à s’y retrouver. Ainsi apparaissent les moteurs de recommandation. Les techniques qu’ils utilisent pourraient-elles nous aider à recommander des emplois ? Dans la vente par correspondance, on s’inquiète par exemple des produits de la « longue traîne », c’est-à-dire les produits moins populaires, très nombreux, qui sont, du coup, délaissés. Dans l’emploi aussi.

Comment fonctionne un moteur de recommandation

Une première stratégie se résume à recommander « plus de la même chose ». Vous êtes allé à Romorantin ; le moteur continue de vous proposer des voyages pour Romorantin, ce qui est pertinent si votre petit ami vient de déménager à Romorantin mais ce qui l’est moins si vous avez rompu avec lui. Une autre approche consiste à utiliser des corrélations simples : Vous avez aimé les couches P, vous aimerez les bières K. Pourquoi ? Parce que dans les faits les gens qui ont acheté des couches P ont aussi souvent acheté des bières K. Cela ne donne pas non plus les meilleures recommandations.

En fait, ce qui marche bien, c’est une troisième méthode. Elle a été popularisée en 2006 avec le Concours Netflix, doté d’un prix d’un million de dollars, dont le but était de recommander à une personne les films que cette personne aimerait. Les données utilisées sont les notes données par les clients aux films que chaque client a vus. Même si chaque client a vu une poignée de films, l’ensemble des clients permet de couvrir une masse considérable de films. L’idée de cette technique est que si quelqu’un a vu et apprécié une partie des films que j’ai vus et appréciés, j’aimerai peut-être les autres films que cette personne a appréciés, même si, pour certains d’entre eux, je n’en ai jamais entendu parler. L’algorithme essaie donc de découvrir des proximités de goût entre des clients et base ses recommandations sur ces proximités. Des proximités entre des clients qui ne se sont le plus souvent jamais rencontrés !

Typiquement, les moteurs de recommandation s’intéressent à des clients qui viennent et reviennent sur la plate-forme d’achat – qu’on finit donc par connaître assez bien en fonction de leurs achats passés. Par contre, un demandeur d’emploi cherche en général un seul emploi, et s’arrête de chercher une fois qu’il l’a trouvé. Il faudra faire avec le peu d’information dont on dispose. On connaît son CV, les offres auxquelles il a postulé, celles qui lui ont accordé un entretien, etc. On applique une approche à la Netflix.

Des sites de recherche d’emploi comme LinkedIn, Indeed, Monster, MindMatcher, ou Qapa, ont développé des algorithmes pour mesurer la « distance » entre un CV et une offre d’emploi. Un tel site peut utiliser des algorithmes de traitement de la langue naturelle sur les documents (CV et offres), ou analyser les données des graphes sociaux. Il essaie de « matcher » les CV avec les offres d’emplois. Si l’histoire de Sarah ressemble à celle de Sylvie, on peut lui signaler un emploi qui ressemble à celui que Sylvie a obtenu (ou pour le moins pour lequel elle a eu un entretien).

Bobemploi. Author provided

Le site bob-emploi, par exemple, accompagne le chercheur d’emploi. Il lui demande de décrire rapidement son profil (moins de 5 minutes), fait de bonnes suggestions, signale des ressources utiles, s’adapte à votre niveau d’énergie du jour (trois niveaux). Certains conseils sont de bon sens comme : n’envoyez pas un CV par mail sans y joindre une lettre de motivation, expliquant pourquoi vous voulez le poste, et pourquoi le poste vous veut ; ou utilisez les réseaux professionnels, mais attention aux traces que vous laissez sur Internet, qui vous suivront comme un « casier judiciaire social ».

D’autres conseils sont plus obscurs. Par exemple, formulez vos savoir-faire en termes de verbes plutôt que de noms ; ce conseil se fonde sur le fait que les recruteurs cliquent plus (toutes choses égales par ailleurs) sur un CV rédigé avec des verbes, qu’avec des mots. Ces observations peuvent être expliquées a posteriori : les verbes font plus dynamique, plus précis, montrent qu’on ne subit pas son sort, etc. Mais la raison en fin de compte est empirique : d’après les données, ça marche mieux. Ça marche en général. Mais est-ce que cela fonctionnera avec des recruteurs pertinents pour votre recherche d’emploi, qui sont les seuls qui vous intéressent après tout ? Et surtout, est-ce que cela marchera encore quand le conseil aura été rabâché dans toutes les revues et les magazines ?

Rodage

Au début 2017, le site bob emploi est en mode rodage (version bêta). Une certaine frustration des utilisateurs est parfois visible, due à l’écart entre leurs attentes et le fonctionnement actuel du site. Le site indique fréquemment qu’il est en phase d’apprentissage, demande si l’utilisateur a trouvé utiles les conseils fournis, et rappelle que le site s’enrichit au fur et à mesure des réponses.

La satisfaction de l’utilisateur – disons Georges – dépend naturellement de la qualité des conseils que le site lui donne, et surtout du fait que ces conseils soient bien adaptés à la situation particulière de Georges. Il faut donc que le site soit bien nourri : qu’il connaisse le profil de Georges, ou qu’il connaisse des gens semblables à Georges et qu’il sache ce que ces gens ont aimé… Et puis, quand on s’attaque à un problème humain comme l’emploi, on fait face – comme on pouvait s’y attendre – à la difficulté des relations avec les humains… Supposons que l’algorithme découvre ce qui bloque les candidatures de Georges et les empêche de déboucher sur un entretien. Faut-il lui annoncer ? Oui sans doute ; mais comment ? Comment mettre cette connaissance à son service, sans le décourager : c’est tout sauf simple.

Une frustration exprimée dans le forum est : Ce site est fait pour les super-diplômés, moi qui suis serveuse, ça ne me sert à rien. Peut-être est-ce parce qu’il n’y a encore peu de données sur les serveuses dans bob-emploi ? Un problème général est qu’on a peu de données utiles pour les gens qui ont le plus besoin d’aide : si les gens sont peu ou pas diplômés (17 % de chômage pour les non-diplômés en janvier 2015), leurs CV contiennent peu d’information ; et la situation est pire pour les jeunes non diplômés (presque 40 % pour les moins de 29 ans). Il faut laisser du temps à bob-emploi.

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Et puis, n’oublions pas ce nombre important de demandeurs d’emploi qui n’a pas accès à des sites comme bob-emploi, peut-être parce qu’ils n’ont pas les moyens de s’offrir un accès à Internet, un ordinateur, ou parce qu’ils ne sont pas à l’aise avec l’informatique. Des associations comme Emmaüs Connect les aident à écrire leur CV, à acquérir le coup de main pour les interactions de base avec Internet.

Pour écrire cet article, nous avons rencontré Paul Duan, le fondateur de Bob-emploi : avec enthousiasme et simplicité, avec résolution et modestie, il conçoit des algorithmes et services web pour servir les gens. Il n’assène pas de certitudes ; il sait qu’on apprend en marchant ce qui est utile, ce qui sert, et il sait qu’il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. Il se pose la question d’être utile dans le temps, sans nuire aux utilisateurs :

  • Le service doit vivre et se déployer

  • Les données, forcément confidentielles, ne doivent pas se retourner contre les gens vulnérables.

  • Les algorithmes doivent être ouverts, vérifiables, pour que d’autres puissent les améliorer, ou vérifier leur absence de biais…

Nous avons demandé à Paul où il allait. Sa réponse : « À court terme, nous voulons améliorer Bob-emploi. À long terme : l’étendre pour d’autres pays ; et développer des services pour les gens dans d’autres domaines. »

Bien sûr, d’autres pays ont des problèmes d’emploi… Et, dans bien d’autres domaines, les gens auraient l’utilité d’un site qui agrège les informations, les règles, les aubaines, et aide chacun : pour l’orientation scolaire, pour la création d’entreprises… Des associations s’attaquent déjà à ces domaines : les besoins et les possibilités sont immenses…

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