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Un détail de l'affiche; exposition Metal à la Philharmonie de Paris.

Une expo, un chercheur : « Metal » à la Philharmonie avec le psychiatre Laurent Karila

Saturations, distorsions, voix d’outre-tombe, iconographies choquantes : le metal est subversif, dans le discours comme dans la forme. Depuis sa genèse, il y a près de cinquante ans, le genre résiste à toute institutionnalisation, mais le nombre de ses adeptes ne faiblit pas. Jusqu’au 29 septembre 2024, la Philharmonie explore ce territoire, ses codes et la richesse de ses mythes. À rebours des caricatures auxquelles le metal est souvent réduit, l’exposition dresse, pour la première fois en France, un tableau documenté de ce mouvement, où dialoguent musique, culture populaire, vision anthropologique et arts contemporains. Laurent Karila, psychiatre, addictologue, chercheur et enseignant à l’Université Paris-Saclay est aussi un très grand fan de hard rock et de metal, rédacteur pour le site « Radio Metal » et podcasteur avec ADDIKTION. Au sujet de ces genres musicaux, il parle même d’addiction positive, concept qu’il développe dans son dernier livre « Docteur : Addict ou Pas ? » (Harper Collins) ! Nous avons recueilli ses réactions enthousiastes au cours d’une visite de l’exposition.


Mortel ! C’est ce que je me suis dit en entrant dans l’exposition à la Philharmonie dédiée au Metal (Félicitations à toute l’équipe organisatrice et à Jean-Pierre Sabouret en particulier). En authentique metalhead, quand je vois la guitare de Joe Satriani, d’Eddie Van Halen ou de Kirk Hammett, je me sens comme un gosse à Disneyland !

Le hard rock et le heavy metal, c’est toute mon adolescence, mes années collège et lycée… et cette passion ne m’a jamais quitté. Tout a commencé avec la découverte de Kiss, en 1983 : j’adorais le bassiste, Gene Simmons. Mais parmi mes groupes de prédilection, à l’époque, il y avait aussi Metallica, Ratt, les Scorpions (leur album Black Out en particulier), ou Def Leppard. Mon premier 45 tours, je m’en souviens très bien, c’était un disque d’Iron Maiden. J’avais une guitare électrique, des bracelets à clous, une veste à patches, les cheveux longs – c’est toujours le cas pour tout ! Il y avait tout un rituel autour de la sortie des disques, on faisait la queue à la FNAC, c’était un événement à chaque fois.

À voir les objets, les slogans, les illustrations sur les pochettes, les photos des musiciens de Rammstein, l’évocation des mises en scène d’Alice Cooper incluant guillotine, faux sang et autres, on pourrait croire à une apologie de la violence : il n’en est rien. Tout ça, c’est du jeu, du théâtre, du cirque : le « shock rock », inspiré des films d’horreur, c’est pour le fun !

Laurent Karila dans son élément, à l’expo « Metal » de la Philharmonie. Fourni par l'auteur

Folklore viril

Évidemment, quand on plonge dans cet imaginaire, cette mythologie du metal – la moto à flammes de Mötley Crüe, le bracelet à clous de Rob Halford (Judas Priest), la basse en forme de hache de Gene Simmons (mon idole), la pochette trash censurée de l’album des Guns N’Roses en 1987, « Appetite for Destruction » (L’image en question est une œuvre du peintre californien Robert Williams, et représente un robot violeur sur le point d’être châtié par un Metal Avenger, NDLR) on se rend compte que le référentiel du metal, ancré dans les années 1970 et 1980, est très « sex, drugs and rock’n’roll », célébrant une forme de masculinité caricaturale qui, même si elle relève aussi d’un folklore qu’il ne faut pas nécessairement prendre au premier degré, reste très loin des considérations contemporaines post #MeToo.

Axe bass, maculée de faux sang de Gene Simmons (Kiss), Hard Rock International, Miami. Philharmonie

Aujourd’hui, tout ce spectacle ne pourrait plus être accepté. Je me réjouis qu’à présent, le monde du metal ait une autre image plus respectueuse, et soit plus ouvert aux musiciennes, au public féminin, aux roadies femmes aussi – même s’il reste encore majoritairement masculin, en témoigne la salle d’exposition qui propose une immersion dans le public – très pacifique – du Hellfest.

J’aime aussi le thrash metal de Metallica, Slayer, Anthrax, Death Angel par exemple, qui se sont développés parallèlement au hard rock, au glam metal que j’adorais. C’était une image différente de tout ce côté spectaculaire avec des looks et une scénographie extravagante, une réaction à ce genre très poseur. Les looks étaient sobres, c’étaient plutôt des non-looks, une attitude dérivée du punk. C’était plus agressif, plus violent, aussi. Les textes traitaient plutôt des phénomènes de notre société (politique, guerre, maladies…). Les guitares étaiant en osmose émotionnelles avec les paroles. Je me souviens lorsque j’ai écouté « Fight Fire with Fire » de Metallica la première fois, j’ai pris une grosse claque psychique. C’était Motörhead qui rencontrait Diamond Head et les punks de San Francisco. Jamais entendu un truc pareil ! J’appréciais donc 2 styles de musique différents et ça rythmait ma vie et mes émotions. Il ne faut pas oublier la scène magique française avec Tagada Jones, Mass Hysteria, Loudblast, Hangman’s Chair aussi !

Ian Fraser Kilmister, dit Lemmy Kilmister, c’est vraiment la légende absolue du heavy metal, une véritable idole pour moi. C’est le type qui ne faisait aucun compromis. Sa philosophie de vie, c’était le rock’n’roll matin midi et soir. Il vivait à 100 % ce qu’il faisait et pour le coup, c’était sex, drugs & rock’n’roll. Cette icône était respectueuse de tout et un grand adepte de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale.


Vignette de présentation de la série « Une expo, un chercheur », montrant une installation artistique de l’artiste Kusama

« Une expo, un·e chercheur·euse » est un nouveau format de The Conversation France. Si de prime abord, le monde de l’art et celui de la recherche scientifique semblent aux antipodes l’un de l’autre, nous souhaitons provoquer un dialogue fécond pour accompagner la réflexion sans exclure l’émotion. Cette série de rencontres inattendues vous guidera à travers l’actualité des expositions en les éclairant d’un jour nouveau.


J’ai découvert Motörhead en 1983 avec le titre « Ace of Spades » (titre tatoué sur l’avant-bras de Lemmy) et c’était la même logique pour moi en terme musical : j’adorais. Ma tenue relax à la maison ou le week-end, c’est un pantalon de jogging, une veste et un tee-shirt de son groupe ! Mon grand regret est de ne pas avoir assez vu Motörhead en concert. Je ne l’ai vu qu’une fois, quelques mois avant la mort de Lemmy. Quand je suis allé à Los Angeles, dans le bar où il venait tous les soirs, le Rainbow, il n’était déjà plus de ce monde [Lemmy est mort en 2015, ndlr], mais j’ai quand même posé à côté de sa statue, en hommage, et c’était très émouvant pour moi.

Émotions positives

Du point de vue émotionnel, c’est une musique très riche, et qui suscite chez moi comme chez tous les fans de metal des sensations de bien-être, de plaisir, active le fameux système de récompense dans le cerveau. Je ne passe pas un jour sans en écouter, sans porter un de mes t-shirts de metal (ma collection en compte 500), y compris sous ma blouse en consultation !

L’une de mes internes en psychiatrie, Antonella Picollrovazzi, a fait sa thèse pour le diplôme de docteur en médecine (une première en France) sur les effets psychologiques de la musique metal au travers d’une immersion dans l’expérience vécue par les artistes. Je vous recommande sa lecture, son travail va être présenté dans des congrès. Cela peut sembler paradoxal, mais pourtant ces sonorités violentes, dissonantes, distordues, ces rythmiques particulières ont tendance à calmer ceux qui les écoutent. Si on se sent mal, angoissé, ça permet de retrouver une forme de tranquillité. Et cette même musique apporte aussi des bénéfices quand on est en forme, en venant stimuler notre bien-être, apportant énergie et euphorie.

D’ailleurs, avec Renaud Hantson du groupe Satan Jokers, j’ai écrit les livrets de trois concept-albums : AddictionS, Psychiatry et Sex Opera, pour parler de manière différente des addictions (drogues, sexe) et des maladies psychiatriques. Ce travail artistique et thérapeutique a été validé par la Mildeca (Mission interministérielle contre les drogues et les comportements addictifs). Une initiative qui permet de voir les addictions sous un autre jour, mais aussi de s’appuyer sur les vertus du metal pour amorcer une réflexion ou une rémission. En bref, le metal, ça fait du bien ! Et comme je le dis souvent, le metal c’est vital !

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