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Vous entendez des voix ? Vous n’êtes pas seuls…

Près de 9 millions de Français-es disent entendre des voix. Et pourtant, ce vécu reste associé à l’isolement. À qui s’adresser lorsqu’on n’est plus tout seul dans sa tête ?
Près de 9 millions de Français-es disent entendre des voix. Et pourtant, ce vécu reste associé à l’isolement. À qui s’adresser lorsqu’on n’est plus tout seul dans sa tête ? Keyut Subiyanto/Pexels, CC BY-NC-ND

Cette petite voix qui nous rabâche que nous sommes nuls, cette voix démoniaque qui appelle au sacrifice ou encore celle qui nous prodigue des conseils… L’expérience de l’entente de voix est plus courante qu’on ne le pense. On estime en effet que nous sommes 13,2 % à entendre des voix. Ramené à la population française, cela fait 9 millions d’entendeurs. Et pourtant, ce vécu reste associé à l’isolement. À qui s’adresser lorsqu’on n’est plus tout seul dans sa tête ?

Depuis quelques décennies, le mouvement international pour l’entente de voix milite pour améliorer l’accueil de ce vécu. En développement dans l’hexagone depuis une décennie, deux récentes études conduites à l’Université de Lorraine (et récemment soumises pour publication) ont évalué comment ce mouvement a influencé notre système de santé.

Les fourches caudines de la psychiatrie

Ni une ni deux, le couperet tombe : nous sommes fous. Comment pourrait-il en être autrement ? Nul besoin d’un « psy » pour nous l’entendre dire. Toute notre culture nous inculque que le « Moi » doit rester maître en sa demeure.

En psychiatrie, le fait d’entendre des voix sans sources objectives est assimilé à une hallucination, qui serait l’expression manifeste d’une psychose. Jusqu’à récemment, le seul symptôme des voix conversant entre elles suffisait à poser un diagnostic de schizophrénie, c’est-à-dire un trouble mental grave. Pourtant, même les manuels psychiatriques évoluent…

Au-delà de la psychose, qui est parfois avérée, ces expériences surviennent spontanément lors d’états non ordinaires de conscience, suite à des deuils ou des traumas, etc. Les « voix » sont souvent accompagnées de visions, de messages télépathiques, de mouvements automatiques… Bref, de paranormal. Qu’adviendrait-il de Jeanne d’Arc si elle consultait un psychiatre en 2023 ?


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Moins seuls ensemble

Les chercheurs distinguent désormais l’expérience des voix et leurs appropriations négatives qui engendrent de la détresse. Difficile néanmoins d’y trouver du bon dans une culture adepte de la chasse aux sorcières !

Or, depuis les années 1980, des personnes se sont reconnues comme « entendeuses de voix ».

The voices in my head, Eleanor Longden, 2014.

Leur point commun ? Être parvenues à mobiliser des ressources pour faire face à ces vécus, sans nécessairement en passer par la psychiatrie. En se regroupant, d’abord aux Pays-Bas puis dans un mouvement d’ampleur internationale, elles ont compris qu’elle possédait un « savoir expérientiel » utile pour s’entraider et inverser la stigmatisation qu’elles subissaient.

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Certains cliniciens et chercheurs ont soutenu cette révolution participative dont le mot d’ordre est « rien sur nous sans nous ».

Exit les hallucinations accoustico-verbales, bienvenue aux voix. Le changement de vocabulaire n’est d’ailleurs qu’une marque du changement global de perspective sur fond de démocratie sanitaire et de renforcement des rôles citoyens.

Le changement inclusif

Le mouvement « milite en faveur de l’abandon des modèles pathologisant ces expériences », explique Magali Molinié, psychologue et enseignante-chercheuse aux universités de Paris 8 et de Cornell, et co-fondatrice en 2011 du Réseau français sur l’entente de voix. Les entendeurs préfèrent considérer que les voix sont réelles – même si les avis divergent quant à leurs explications –, qu’elles peuvent avoir un sens et être reliées à des traumatismes.

Parmi les alternatives favorisées par le mouvement, on trouve notamment les Groupes d’entendeurs de voix (GEV), au nombre de 180 rien qu’au Royaume-Uni. Poussant comme des champignons, ils se retrouvent désormais dans 30 pays répartis sur cinq continents et plus d’une cinquantaine ont vu le jour en France en seulement une décennie.

Témoignages de groupes d’entendeurs de voix (Ma Santé Ré).

Ces groupes d’entraide n’ont pas de visée thérapeutique affichée. Ici se rebâtit une microsociété inclusive où il est enfin souhaitable de confier toutes ses expériences étranges et les événements dont elles sont solidaires. L’ensemble s’inscrit dans le courant de la démocratie sanitaire et de l’empowerment des usagers recommandé par l’Organisation mondiale de la santé.

L’efficacité des Groupes d’entendeurs de voix

Chaque GEV a son fonctionnement et sa personnalité propre. Comment en évaluer les avantages et les inconvénients ? Un questionnaire conçu conjointement avec des entendeurs de voix anglais a été adapté en français. L’étude a comparé les effets des GEV avec ceux de groupes thérapeutiques ordinaires. ayant eu lieu durant la période de pandémie du Covid-19, les groupes tournaient au ralenti et seuls 20 entendeurs ont complété l’étude parmi les 50 groupes existant en France. Leur bilan est très positif.

De manière très significative, depuis qu’ils viennent au GEV, les participants se sentent mieux vis-à-vis d’eux-mêmes, ont plus d’espoir, se sentent moins seuls, moins anxieux et plus heureux. Le groupe leur a apporté un soutien qu’ils n’avaient pas pu trouver ailleurs, ainsi que des informations utiles pour donner du sens à leurs expériences d’entente de voix. Une majorité se sent désormais capable d’aider à leur tour d’autres entendeurs. L’un des participants le compare même aux « alcooliques anonymes pour schizophrènes ». Sans que ce fût un objectif en soi, l’entente des voix a même diminué pour 7 d’entre eux.

En somme, les quelques entendeurs qui ont bien voulu participer à notre étude ne tarissent pas d’éloges vis-à-vis des GEV. Mais est-ce vraiment suffisant pour recommander ce dispositif à tous ?

Pareils, autrement

Le score total de satisfaction s’élève à 74 %. Or, le groupe contrôle composé de 14 participants à des groupes d’entraînement métacognitif (pour développer la capacité à mieux penser) obtient un score de 74,5 %. Ainsi, les participants aux GEV les trouvent véritablement efficaces, et cette efficacité est comparable à celle obtenue par des pratiques mieux éprouvées sur le plan scientifique.

En regardant dans le détail, nous constatons peu d’effets spécifiques aux GEV. Certes, ils diminuent la stigmatisation associée au diagnostic de schizophrénie, auquel l’entente de voix est abusivement assimilée. Mais surtout, ils attirent des personnes qui n’ont pas de diagnostic psychiatrique ou qui ne l’acceptent pas totalement. En l’absence de tels espaces, ces entendeurs auraient davantage tendance à contourner le circuit médico-psychologique pour lui préférer des offres de soins non conventionnels et mal réglementés, tels que les médiums qui interprètent les voix comme un don de communication avec les défunts.

Notre étude exploratoire montre que les GEV ne semblent pas être la panacée ultime pour les entendeurs de voix. Toutefois, ils ne déméritent en rien. Leur intérêt ne réside pas tant dans leur capacité à remplacer les prises en charge existantes qu’à les compléter.

Dans la tête des soignants

Ainsi, les bénéfices des GEV se logent également dans leur terre d’accueil : la psychiatrie leur offre-t-elle vraiment l’hospitalité ? En sondant 79 soignants en santé mentale français, notre deuxième étude montre que les représentations positives dominent.

Toutefois, il y a des inadéquations entre ce que sont les GEV et la manière dont les professionnels les appréhendent. Une tendance se dessine, qui tend à réduire les GEV à une offre médicale parmi d’autres, peu utile sur le plan de la réduction des symptômes, indiquée uniquement pour les patients psychotiques entendeurs de voix, ce qui tient à chaque fois du malentendu.

Toutefois, notre étude montre aussi que plus on se familiarise avec les GEV et plus ces opinions évoluent, si bien qu’un progrès possible serait de faire en sorte qu’une information de qualité circule sur l’entente de voix, soit faire du fou d’hier un citoyen à part entière.

Pour avoir l’occasion d’être sensibilisés à ce sujet, rien de mieux peut-être que de se rendre à la 14e édition du Congrès mondial sur l’entente de voix qui se tiendra exceptionnellement à Paris les 26 et 27 octobre 2023…

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